Six ans après que les Tawarghas ont été chassés de leur ville par les milices de Misratah en août 2011, la communauté qui compte environ 40 000 membres ne peut toujours pas rentrer chez elle en toute sécurité, a déclaré Amnesty International le 22 août 2017.
Il y a deux mois, en juin, un accord politique a été signé, ouvrant la voie au retour des Tawarghas. Toutefois, les conditions de cet accord n’ont pas été appliquées et certains de ceux qui ont tenté de rentrer chez eux ont fait l’objet de menaces et d’actes d’intimidation. En outre, l’accord ne garantit pas l’accès à la justice et aux réparations pour les Tawarghas, victimes ces dernières années de terribles violations des droits humains.
« Le fait que les responsables de la longue liste de violations que les Tawarghas ont subies depuis qu’ils ont été déplacés n’aient pas à rendre de comptes témoigne des conséquences catastrophiques du chaos qui règne depuis plusieurs années en Libye, où les milices commettent en toute impunité des violations flagrantes des droits humains, a déclaré Heba Morayef.
« Sans une volonté politique claire de mettre en œuvre l’accord pour que les Tawarghas puissent rentrer chez eux en toute sécurité, les engagements pris publiquement en juin ne seront qu’un geste vide de sens. »
En août 2011, les combattants de Misratah ont attaqué la ville voisine de Tawargha, qui servait de base aux forces fidèles au colonel Mouammar Kadhafi pour lancer des attaques. Ils ont chassé tous les habitants, pillant et incendiant leurs maisons et transformant Tawargha en ville fantôme.
Pendant les six années qui ont suivi, la communauté des Tawarghas a été la cible d’actes de représailles imputables aux combattants de Misratah – arrestations arbitraires, torture et autres mauvais traitements, disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires notamment. À ce jour, aucune enquête n’a été menée sur ces agissements et personne n’a eu à rendre de comptes pour ces crimes.
Auparavant, des responsables militaires et politiques avaient à maintes reprises déclaré qu’ils s’opposeraient au retour des Tawarghas dans leur ville natale. Les anciens habitants de la ville sont désormais dispersés à travers tout le pays, vivant dans des logements de fortune, souvent dans des conditions déplorables.
Rien n’est fait pour lutter contre l’impunité
L’accord signé le 19 juin 2017 entre des dirigeants de Tawargha et de Misratah, le gouvernement d’accord national et des représentants des autorités, ne garantit pas l’obligation de rendre des comptes pour les crimes relevant du droit international et d’autres graves violations des droits humains commis contre les Tawarghas, ce qui renforce le climat d’impunité. Pourtant, de nombreux Tawarghas se sont félicités de cet accord parce qu’il semblait au moins garantir les conditions d’un retour en toute sécurité.
« Un accord qui ignore les crimes horribles commis contre les Tawarghas était forcément voué à l’échec. Seul un accord qui garantisse le droit de la communauté de rentrer en toute sécurité et accorde la priorité à la justice en veillant à ce que les auteurs présumés des atrocités rendent des comptes pour leurs actes pourra permettre d’avancer », a déclaré Heba Morayef.
Impossible de rentrer chez eux
Les premières familles tawarghas ont tenté de rentrer chez elles trois jours après la signature de l’accord en juin. Des représentants des autorités de Misratah ont soutenu publiquement cet accord, mais des personnes de Misratah ont menacé et intimidé les familles à un poste de contrôle. Elles ont été contraintes de faire demi-tour et de retourner à Tripoli.
Emad Irqayh, un militant tawargha, a déclaré à Amnesty International qu’il est parti pour la ville dans un convoi de 35 véhicules le 22 juin, après s’être coordonné avec des habitants de Misratah qui soutenaient leur retour. Selon son témoignage, il se trouvait à un kilomètre du dernier poste de contrôle lorsqu’il a vu deux voitures faire demi-tour. « Ils m’ont dit qu’ils avaient été stoppés et menacés. Alors, j’ai appelé les familles qui se trouvaient à bord des voitures derrière moi et je leur ai dit de faire demi-tour pour éviter toute confrontation ; certaines femmes se sont mises à pleurer », a-t-il déclaré.
Le 29 juin, pendant l’Aïd, un petit groupe de familles a fait une nouvelle tentative pour rentrer chez elles. Un membre de la communauté des Tawarghas, voyageant avec sa mère de 87 ans, a raconté le chagrin et la déception qu’il a ressentis à son retour dans la ville, où il n’a pas pu rester. « C’était un moment très fort en émotions, je ne vais pas vous mentir, j’avais les larmes aux yeux, mais notre ville natale est détruite à un tel point, c’est bouleversant », a-t-il raconté, ajoutant que lui-même et sa mère n’y ont passé que quelques heures avant de devoir partir.
« Les factions politiques libyennes doivent veiller à ce que les Tawarghas soient protégés contre toutes les formes d’intimidation, de menaces et d’attaques, et doivent ordonner à toutes les milices affiliées de leur permettre de rentrer chez eux en toute sécurité, a déclaré Heba Morayef.
« Il est crucial que le gouvernement d’accord national et les autorités de Misratah, notamment le Conseil local de Misratah, montrent la voie afin de permettre aux Tawarghas de rentrer chez eux en toute sécurité. Il s’agit notamment de surveiller le processus de retour et d’installation, ainsi que la rénovation des habitations, des écoles et des infrastructures de la ville. »
Tout en garantissant le retour sûr des familles déplacées à Tawargha, les autorités de Misratah, les membres du Conseil municipal de Misratah, le Conseil présidentiel du gouvernement d’accord national et le ministère de la Justice doivent faire respecter le droit des victimes tawarghas d’obtenir vérité, justice et réparations pour les violations des droits humains qu’elles ont subies et continuent de subir.
Pour en savoir plus sur les atrocités commises contre les Tawarghas, veuillez consulter les documents suivants :
« Nous ne sommes en sécurité nulle part. » Les Tawarghas en Libye