Les condamnations de plus de 30 responsables du régime Kadhafi, dont neuf condamnations à mort, ont été prononcées mardi 28 juillet à l’issue de procès entachés de graves irrégularités qui mettent en évidence l’incapacité de la Libye à administrer la justice efficacement, dans le respect des normes internationales d’équité, a déclaré Amnesty International.
Parmi les neuf condamnés à mort pour crimes de guerre et autres infractions commis durant le conflit armé de 2011, figurent le fils du colonel Mouammar Kadhafi, Saïf a Islam Kadhafi, et l’ancien directeur des services de renseignement, Abdallah al Senoussi. Vingt-trois anciens hauts responsables ont été condamnés à des peines allant de cinq ans de prison à la réclusion à perpétuité, quatre ont été acquittés et un accusé a été transféré pour recevoir des soins médicaux et n’a pas été condamné.
« Loin de contribuer à établir la vérité et à garantir l’obligation de rendre des comptes pour les graves violations commises durant le conflit armé de 2011, ce procès met en lumière les faiblesses d’une justice pénale qui ne tient plus que par un fil dans un pays déchiré par la guerre, sans autorité centrale, a déclaré Philip Luther, directeur du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.
« Cette affaire aurait forcément été un test pour l’appareil judiciaire, mais au final elle montre à quel point il est difficile de rendre justice alors que la loi des armes prévaut sur les principes du droit.
« Ces condamnations à mort, ultime violation des droits humains, sont d’autant plus alarmantes et doivent être annulées en appel. »
Les condamnations prononcées devraient faire l’objet d’un appel auprès de la chambre de cassation de la Cour suprême libyenne. Le droit à un procès équitable des accusés déclarés coupables aujourd’hui suppose un examen exhaustif, indépendant et impartial des procédures et des éléments de preuve retenus contre eux. La Cour suprême, en examinant cet appel, devra traiter les graves allégations relatives à des violations de l’équité des procès et à des atteintes aux droits humains dans cette affaire. Elle doit exercer son pouvoir de réviser à la fois les preuves présentées au tribunal et l’interprétation de la loi faite lors du procès.
Amnesty International demande depuis longtemps que Saïf al Islam Kadhafi soit remis à la Cour pénale internationale (CPI), qui a émis un mandat d’arrêt à son encontre.
« Les autorités libyennes ont refusé de le remettre à la CPI, parce qu’elles voulaient démontrer qu’elles sont capables de rendre justice au niveau national. Force est de constater qu’elles ont échoué : Saïf al Islam Kadhafi a été victime de toute une série de violations des droits humains. Il a été jugé et condamné par contumace et continue d’être détenu à l’isolement dans un lieu tenu secret, sans pouvoir s’entretenir avec un avocat, a déclaré Philip Luther.
« Afin de rendre véritablement justice aux victimes de graves crimes perpétrés durant le conflit de 2011, il faut remettre Saïf al Islam Kadhafi à la CPI et garantir des procès équitables pour tous les fidèles de Kadhafi placés en détention. »
Complément d’information
Le procès des « symboles de l’ancien régime », comme on l’a baptisé en Libye, s’est déroulé du 24 mars 2014 au 21 mai 2015. Saïf al Islam Kadhafi, Abdallah al Senoussi et 35 hauts responsables, dont d’anciens diplomates, ministres et membres des services de sécurité, ont été inculpés d’une série d’infractions commises durant le soulèvement de 2011 et le conflit qui s’en est suivi – notamment de bombardements aveugles, d’incitation au viol, d’avoir donné l’ordre d’ouvrir le feu sur les manifestants, d’avoir recruté et armé des mercenaires et de s’être livrés à des actes de vandalisme, de pillage et d’homicide.
L’organisation estime que la plupart des 37 accusés ont été privés de leurs droits d’être assistés par un avocat, de garder le silence, d’être tenus rapidement informés des charges retenues contre eux, de contester les preuves retenues contre eux, et d’être présents lors de leur procès. Dans certains cas, ils ont été détenus au secret et dans des lieux de détention non officiels pendant des périodes prolongées.
Saïf al Islam Kadhafi, détenu aux mains des milices à Zintan, et sept autres accusés détenus à Misratah, ont été jugés par visioconférence. Parfois, la mauvaise qualité de la liaison satellite ne leur permettait pas de suivre correctement la procédure. Saïf al Islam Kadhafi a dans les faits été jugé par contumace, puisqu’il n’est plus apparu dans les communications vidéos après le début du conflit dans l’ouest de la Libye en 2014, qui s’est terminé par l’évacuation de Tripoli des brigades de Zintan.
Amnesty International croit savoir que de nombreux accusés ont été interrogés en l’absence d’un avocat, malgré des demandes répétées et les garanties prévues par le droit libyen. Les allégations de torture et de mauvais traitements formulées par la défense n’ont semble-t-il pas fait l’objet d’une enquête approfondie. Certains accusés se sont vus désigner des avocats commis d’office alors que le procès avait déjà débuté, compromettant leur droit à une défense efficace.
De nombreux avocats n’ont pas pu rendre visite à leurs clients en privé dans la prison d’al Hadba, prison de haute sécurité où s’est déroulé le procès. Certains ont abandonné l’affaire, affirmant avoir été menacés, intimidés et harcelés.
Le dossier de l’accusation reposait principalement sur les preuves obtenues auprès de 240 témoins, mais aucun d’entre eux n’a été appelé à la barre ni soumis à un contre-interrogatoire. En revanche, les avocats de la défense ont été autorisés à ne citer que deux témoins par accusé et ont fait part de leurs difficultés à faire comparaître des témoins en raison de la situation de sécurité.
Le procès s’est déroulé sur fond d’une recrudescence des conflits, qui ont entraîné la chute de l’autorité centrale et une séparation des institutions de l’État mi-2014. Depuis, toutes les parties au conflit ont commis de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire, qui constituent parfois des crimes de guerre. Les violences ont fortement compromis la capacité de la communauté internationale à suivre le procès et ont affaibli le système de justice pénale. Le ministère de la Justice du gouvernent reconnu par la communauté internationale, établi dans l’est du pays, a déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas le verdict rendu par le tribunal.