Les nombreux enlèvements commis par des groupes armés font désormais partie de la vie quotidienne en Libye, a déclaré Amnesty International mercredi 5 août, lors du lancement de sa synthèse de campagne intitulée ‘Vanished off the face of the earth’: Abducted civilians in Libya. L’organisation appelle à mettre un terme à ce phénomène généralisé, qui représente un fléau pour le pays.
Selon le Croissant-Rouge libyen, plus de 600 personnes ont disparu depuis 2014 et l’on ignore toujours ce qu’il est advenu d’au moins 378 d’entre elles. Les chiffres réels sont probablement bien plus élevés.
« Les civils de Libye vivent sur le fil du rasoir. L’état de non-droit et de chaos qui règne dans le pays est encore aggravé par des enlèvements fréquents, tandis que les groupes armés raffermissent leur emprise sur le territoire », a déclaré Saïd Boumedouha, directeur par intérim du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. « Des centaines de civils ont été enlevés sur un coup de tête, uniquement en raison de leurs origines géographiques ou parce qu’ils sont soupçonnés de soutenir un groupe politique rival. Dans de nombreux cas, ils sont utilisés comme otages pour pousser un groupe armé à procéder à un échange de prisonniers ou pour forcer leur famille à verser une rançon.
L’effondrement de l’autorité centrale et l’absence de maintien de l’ordre et d’un système judiciaire fonctionnel en Libye ont engendré un climat d’impunité généralisée qui permet aux auteurs d’enlèvements d’éviter d’être poursuivis et d’avoir à rendre des comptes. »
La prise d’otages civils est interdite aux termes du droit international humanitaire et, lors d’un conflit, équivaut à un crime de guerre.
Amnesty International demande à la communauté internationale de renforcer son soutien auprès de la Cour pénale internationale (CPI) pour que cette dernière enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en Libye. À ce jour, le procureur de la CPI n’a ouvert aucune enquête sur les crimes relevant du droit international commis par des groupes armés depuis 2011.
Les personnes enlevées par des groupes armés sont régulièrement victimes de torture ou d’autres mauvais traitements durant leur séquestration. Beaucoup sont rouées de coups, menacées de mort, maintenues les yeux bandés pendant plusieurs jours, agressées physiquement et verbalement et, souvent, électrocutées et forcées à rester dans des positions douloureuses ou angoissantes. Plusieurs personnes sont mortes des suites des actes de torture qu’elles avaient subis ou ont été sommairement exécutées, et leurs corps ont été abandonnés plus tard au bord de la route.
Les groupes armés doivent libérer les civils, traiter humainement tous leurs détenus, y compris les combattants capturés, et fournir des informations sur le sort réservé aux personnes disparues et l’endroit où elles se trouvent. Toute personne maintenue en détention devrait en outre être autorisée à avoir régulièrement des contacts avec sa famille.
Parmi les victimes de ces enlèvements se trouvent des militants, des fonctionnaires et d’autres civils capturés par des agresseurs inconnus, en raison de leur affiliation politique ou de leur travail.
Suleiman Zobi, 71 ans, ancien membre du Congrès général national, et Abdel Moez Banoun, blogueur et militant en faveur des droits politiques, en font partie. Ce dernier a été enlevé alors qu’il se trouvait dans une voiture garée près de son domicile. Il s’était prononcé contre la présence de milices à Tripoli et avait organisé des manifestations sur ce thème. Abdel Moez Banoun est porté disparu depuis plus de 300 jours. Selon les termes de son frère, il a « disparu de la surface de la terre ».
Le procureur Nasser al Jaroushi a été enlevé après avoir enquêté sur le meurtre de Salwa Bugaighis, militante en faveur des droits humains, et s’être intéressé à des gangs criminels liés au trafic de drogue.
Les travailleurs humanitaires Mohamed al Tahrir Aziz, Mohamed al Munsaf al Shalali et Waleed Ramadan Shalhoub ont été enlevés le 5 juin, alors qu’ils étaient en chemin pour distribuer des provisions dans des villes du sud-ouest de la Libye touchées par les combats.
D’autres personnes sont également visées, comme des travailleurs migrants, le personnel des représentations diplomatiques étrangères, ou encore les habitants déplacés de Tawargha, forcés de quitter leur ville en 2011.
Dans sa synthèse de campagne publiée mercredi 5 août, Amnesty International appelle les groupes armés à mettre un terme aux enlèvements et à condamner publiquement ces agissements, ainsi que la torture.
Le dialogue politique mené actuellement sous l’égide de l’ONU, qui a pour objectif de mettre un terme à la violence et de former un gouvernement d’union nationale, prévoit également de se pencher sur le problème des enlèvements et des détentions illégales dans le cadre d’un ensemble de mesures de confiance. Les participants à ce dialogue, y compris les dirigeants municipaux locaux, doivent maintenant exercer leur influence auprès des commandements des groupes armés et intervenir afin d’obtenir la libération de tous les civils enlevés.