© AP Photo/Hussein Malla

Liban. Certains éléments attestent l’utilisation illégale de phosphore blanc par Israël dans le sud du Liban, à l’heure où les hostilités transfrontalières s’intensifient

L’armée israélienne a tiré des obus d’artillerie contenant du phosphore blanc, une arme incendiaire, lors d’opérations militaires menées le long de la frontière sud du Liban entre les 10 et 16 octobre 2023, a déclaré Amnesty International mardi 31 octobre. L’une des attaques menées contre la ville de Dhayra le 16 octobre doit faire l’objet d’une enquête pour crime de guerre, car il s’agit d’une attaque menée sans discernement, qui a blessé au moins neuf civils et endommagé des biens de caractère civil, et qui était donc illégale, a ajouté l’organisation.

Les hostilités transfrontalières dans le sud du Liban se sont considérablement intensifiées depuis le 7 octobre. Les bombardements israéliens au Liban ont tué au moins quatre civil·e·s et 48 membres du Hezbollah jusqu’à présent. Le Hezbollah et d’autres groupes armés ont également tiré des roquettes vers le nord d’Israël, tuant six soldats israéliens et un civil israélien, selon l’armée israélienne. Amnesty International enquête actuellement sur les attaques menées par le Hezbollah et d’autres groupes armés contre le nord d’Israël afin de déterminer si elles ont violé le droit international humanitaire.

 Il est effroyable que l’armée israélienne ait utilisé du phosphore blanc sans discrimination, en violation du droit international humanitaire. L’utilisation illégale de phosphore blanc dans la ville de Dhayra, au Liban, le 16 octobre, a gravement menacé la vie de civil·e·s, dont beaucoup ont été hospitalisés et déplacés, et dont les maisons et les voitures ont pris feu

Aya Majzoub, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International

« Alors que l’on craint de plus en plus une intensification des hostilités dans le sud du Liban, l’armée israélienne doit immédiatement cesser d’utiliser du phosphore blanc, en particulier dans des zones peuplées, conformément à sa promesse de 2013, oubliée depuis, de cesser d’utiliser ces armes. Elle doit respecter son engagement et s’abstenir de mettre davantage en péril la vie des civil·e·s au Liban. »

L’utilisation du phosphore blanc est limitée en vertu du droit international humanitaire. S’il existe des types d’utilisation légaux, il ne doit jamais être tiré sur ou à proximité d’une zone civile peuplée ou d’une infrastructure civile, en raison de la forte probabilité de propagation des incendies et de la fumée qu’il provoque. De telles attaques, qui ne font pas la distinction entre les civil·e·s et les combattants, et entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires, sont aveugles et donc interdites.

Le phosphore blanc est une substance incendiaire surtout utilisée pour créer un épais écran de fumée ou pour marquer des cibles. Exposé à l’air, il brûle à des températures extrêmement élevées et déclenche souvent des incendies dans les zones où il est déployé. Les personnes exposées au phosphore blanc peuvent souffrir de lésions respiratoires, de défaillances organiques et d’autres blessures très graves et susceptibles de changer le cours de la vie, notamment des brûlures extrêmement difficiles à traiter et que l’on ne peut pas éteindre avec de l’eau. Des brûlures n’affectant que 10 % du corps sont souvent mortelles.

Les éléments de preuve examinés par Amnesty International indiquent qu’Israël a utilisé des obus d’artillerie fumigènes au phosphore blanc lors d’une attaque contre la ville de Dhayra, située à la frontière sud du pays, une zone civile peuplée. Le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International a confirmé l’authenticité de vidéos et de photos montrant l’utilisation d’obus d’artillerie fumigènes au phosphore blanc à Dhayra le 16 octobre. Des spécialistes d’Amnesty International ont interrogé le maire de Dhayra, un habitant de Dhayra, un secouriste ayant aidé à transporter des civil·e·s blessés vers un hôpital voisin et un médecin urgentiste travaillant dans l’hôpital ayant accueilli les civil·e·s blessés.

L’équipe a également recueilli des preuves déterminantes de l’utilisation de phosphore blanc dans trois autres cas entre le 10 et le 16 octobre à Dhayra et dans les villes frontalières d’al Mari et d’Aita al Chaab, en examinant des vidéos et des photos de ces attaques.

Utilisation de munitions au phosphore blanc à Dhayra

Le Laboratoire de preuves d’Amnesty International a examiné une vidéo montrant des colonnes de fumée dispersées par des pièces d’artillerie, correspondant à des munitions au phosphore blanc, le 16 octobre à Dhayra.

Le docteur Haitham Nisr, urgentiste à l’hôpital libano-italien, a déclaré à Amnesty International que les 16 et 17 octobre, des équipes médicales avaient soigné neuf personnes originaires des villes de Dhayra, Yarine et Marwahin qui souffraient d’essoufflement et de toux, ce qui était, selon lui, dû à l’inhalation de phosphore blanc. La plupart des patient·e·s sont sortis de l’hôpital le jour même, a-t-il ajouté.

Ali Safieddine, directeur régional de la Défense civile libanaise, qui a facilité le transport de civil·e·s blessés vers l’hôpital le 16 octobre et l’évacuation ultérieure de la ville le 17 octobre, a déclaré à Amnesty International que la Défense civile avait reçu des appels à l’aide de la part d’habitant·e·s qui parlaient « de bombes dégageant une odeur nauséabonde et provoquant la suffocation une fois inhalées […] Quatre membres de notre personnel, ainsi qu’un certain nombre de personnes vivant à Dhayra, ont été hospitalisés pour asphyxie ces derniers jours. »

Nous ne pouvions même pas voir nos propres mains du fait de l’épaisse fumée blanche qui a recouvert la ville toute la nuit et jusqu’à ce matin.

« Nous ne pouvions même pas voir nos propres mains du fait de l’épaisse fumée blanche qui a recouvert la ville toute la nuit et jusqu’à ce matin [17 octobre] », a déclaré Ali Saffiedine à Amnesty International. Cette description correspond à celle du phosphore blanc, dont se dégagent une épaisse fumée blanche et une odeur d’ail.

Selon le maire de Dhayra, Abdullah al Ghrayyeb, le bombardement de la zone, notamment au phosphore blanc, a commencé vers 16 heures (heure locale), le 16 octobre et s’est poursuivi dans la nuit.

« Une odeur nauséabonde et un énorme nuage ont recouvert la ville, de sorte que nous ne pouvions pas voir à plus de cinq ou six mètres devant nous. Les gens se sont mis à fuir leur logement avec frénésie. Lorsque certains sont revenus deux jours plus tard, leurs maisons brûlaient encore. Des voitures ont pris feu. Des terres ont également été brûlées. Aujourd’hui encore, on continue à trouver des restes – de la taille d’un poing – qui se rallument lorsqu’ils sont exposés à l’air », a expliqué Abdullah al Ghrayyeb à Amnesty International.

Le Laboratoire de preuves d’Amnesty International a analysé une vidéo montrant un tampon de feutre recouvert d’une croûte de phosphore blanc qui se rallume dans le jardin d’un habitant lorsqu’on le remue avec une pierre. Selon Abdullah al Ghrayyeb, l’habitant a filmé cette vidéo le 25 octobre, neuf jours après le bombardement de Dhayra au phosphore blanc. Le phosphore blanc peut se rallumer lorsqu’il est exposé à l’oxygène, même plusieurs semaines après son déploiement.

En vertu du droit international humanitaire, toutes les parties à un conflit doivent, en toutes circonstances, faire la distinction entre les civil·e·s et les combattants, et entre les biens à caractère civil et les objectifs militaires, et ne diriger leurs attaques que sur des combattants et des objectifs militaires. Les attaques menées sans discrimination – qui ne font pas la différence entre civil·e·s et objectifs militaires, comme cela est exigé – sont interdites. Le fait de lancer une attaque sans discrimination entraînant des blessures chez des civil·e·s ou mettant fin à la vie de civil·e·s ou endommageant des biens de caractère civil est un crime de guerre.

Le phosphore blanc ne devrait donc jamais être utilisé dans des zones où vivent des civil·e·s, en raison de la forte probabilité que des incendies et de la fumée se propagent, ce qui en ferait des attaques sans discrimination. Menée sans discrimination, cette attaque sur Dhayra, qui a blessé des civil·e·s et endommagé des biens de caractère civil, est donc illégale. Elle doit donner lieu à une enquête pour crime de guerre.

Amnesty International a par ailleurs vérifié une vidéo de Dhayra datée du 13 octobre, montrant des volutes de fumée dispersées par des pièces d’artillerie, qui correspondent à des munitions au phosphore blanc. L’organisation a également analysé des images filmées par un journaliste le 10 octobre à Dhayra, qui semblent montrer la dispersion de phosphore blanc prenant feu au contact de l’air.

Utilisation de phosphore blanc à Aita al Chaab et al Mari

Le Laboratoire de preuves d’Amnesty International a également vérifié des images montrant le bombardement de la ville frontalière d’Aita al Chaab et des environs de la ville d’al Mari, dans le sud du Liban.

Deux vidéos vérifiées par le Laboratoire de preuves d’Amnesty International, filmées le 10 octobre aux alentours d’al Mari, montrent des tampons de feutre enflammés qui descendent vers le sol et provoquent des incendies de grande ampleur, ce qui indique très certainement l’utilisation de phosphore blanc.

Amnesty International a également confirmé l’authenticité d’une vidéo et de cinq photos du bombardement d’Aita al Chaab le 15 octobre, qui montrent très probablement l’utilisation d’un mélange d’obus au phosphore blanc et de projectiles d’artillerie classiques hautement explosifs.

Obus au phosphore blanc à la frontière israélo-libanaise

Le Laboratoire de preuves d’Amnesty International a vérifié des photos prises par des photographes de l’AFP le 18 octobre près de la frontière libanaise. Ces photos montrent des obus fumigènes au phosphore blanc de 155 mm alignés à côté d’obusiers M109 de l’armée israélienne. Ces obus ont une couleur vert pâle distinctive et des bandes de couleur rouge et jaune, ainsi que des marques visibles indiquant M825A1 et D528, respectivement la nomenclature de l’obus et le code d’identification du ministère américain de la Défense (DODIC) pour les munitions à base de phosphore blanc, comme l’a déjà constaté Amnesty International près de la clôture de Gaza. Bien qu’il s’agisse de codes et de nomenclatures américains, Amnesty International n’est pas en mesure de confirmer où ces obus ont été fabriqués.

Droit international

Le phosphore blanc n’est pas considéré comme une arme chimique car il fonctionne principalement par le biais de la chaleur et de flammes, plutôt que par effet toxique, ce qui en fait une arme incendiaire. Son utilisation est réglementée par le Protocole III de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC). Le Liban a adhéré à ce protocole en 2017, mais Israël ne l’a pas fait.

Le Protocole III interdit l’utilisation d’armes incendiaires larguées par aéronef dans les « concentrations de civils » et limite l’utilisation licite d’armes incendiaires lancées depuis le sol – comme avec l’artillerie décrite ici – dans les zones où il y a des concentrations de civils. Le protocole définit les armes incendiaires comme des armes « principalement conçues » pour déclencher des incendies et brûler des personnes, excluant l’utilisation d’armes incendiaires à d’autres fins, notamment comme écrans de fumée.

Complément d’information

Les hostilités transfrontalières se sont intensifiées depuis les attaques menées dans le sud d’Israël le 7 octobre, lors desquelles le Hamas et d’autres groupes armés ont tué au moins 1 400 personnes et pris plus de 200 otages, civils pour la plupart, selon les autorités israéliennes. Les forces israéliennes ont procédé à des milliers de frappes aériennes et terrestres contre la bande de Gaza, tuant plus de 8 000 personnes, principalement des civil·e·s, dont au moins 2 704 enfants, d’après le ministère palestinien de la Santé de Gaza. Plus de 17 439 personnes ont été blessées et plus de 2 000 dépouilles se trouvent encore sous les décombres, tandis que le système de santé est exsangue.

En octobre, Amnesty International a recueilli des éléments concernant l’utilisation par l’armée israélienne d’obus au phosphore blanc contre des zones civiles densément peuplées à Gaza ; certains de ces cas peuvent être considérés comme des attaques menées sans discernement, et donc de façon illégale. Le 14 octobre, les autorités israéliennes ont nié avoir utilisé du phosphore blanc dans leurs opérations militaires à Gaza et au Liban. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, au 27 octobre, près de 20 000 résident·e·s du sud du Liban avaient été déplacés en raison des hostilités. Les autorités israéliennes ont également annoncé qu’elles évacuaient 28 villes du nord d’Israël situées le long de la frontière avec le Liban, ce qui représente environ 60 000 habitant·e·s.

Génocide à Gaza

X