Après cinq années de négociations, le Parlement européen est sur le point de voter l’adoption finale du « paquet asile ». Sans aucun doute, ceci représente un autre tournant dans le processus d’harmonisation dans le domaine de l’asile, initié en 1999 à Tampere où les chefs d’États européens se sont engagés à établir un Système d’asile européen commun (SAEC) fondé sur l’application pleine et exhaustive de la Convention de Genève. Cet engagement a été réaffirmé en 2009 dans le Programme de Stockholm appelant à un SAEC basé sur des normes de protection élevées, un traitement égal des demandes d’asile similaires avec des résultats identiques, indépendamment de l’État membre où elles sont enregistrées. Aujourd’hui, ceci est loin d’être le cas pour les demandeurs d’asile qui arrivent sur le sol de l’Union européenne et qui peuvent encore se trouver confrontés à des obstacles concernant l’accès aux procédures d’asile, à des conditions d’accueil inadéquates, des difficultés pour recevoir une assistance légale de qualité prenant en compte les questions spécifiques au genre, et des disparités dans les taux de reconnaissance en fonction de l’État membre responsable de l’examen de leur demande d’asile. Le vote du Parlement européen annonce la nouvelle phase opératoire du SAEC au lieu de marquer son accomplissement.
Nous reconnaissons que la refonte de la législation relative à l’asile inclut certaines améliorations significatives telles que le renforcement du droit à un entretien individuel y compris dans les cas relevant de la procédure de Dublin, le droit à un recours efficace, une meilleure représentation pour les enfants non accompagnés et une progression concernant les statuts de protection sous le droit de l’UE. Cependant, la législation fournit un cadre légal encore imparfait pour le SAEC qui n’existe aujourd’hui que sur le papier. Même si de sérieux efforts ont été accomplis afin d’assurer l’alignement des législations européennes avec le droit relatif aux droits humains, des inquiétudes persistent. Quelques dispositions législatives restent légalement floues et sont ambigües alors que d’autres accordent trop de discrétion à des États membres, ce qui pourrait, à long terme, avoir pour effet de saper l’objectif global d’obtenir des normes élevées et harmonisées de protection en Europe. Selon notre point de vue, ceci se reflète particulièrement dans les aspects clés suivants de la législation qui doit être votée cette semaine :
La rétention : Les motifs pour la rétention définis dans la refonte de la Directive relative aux conditions d’accueil risquent de mener à une interprétation excessivement large par les États membres, encourageant de ce fait un usage de la rétention des demandeurs d’asile plus systématique au lieu de rendre cette pratique véritablement exceptionnelle. Les normes de l’UE ne sont pas en adéquation avec le droit international relatif aux réfugiés et aux droits humains qui présupposent, comme règle générale, que les demandeurs d’asile ne doivent pas être détenus sauf cas vraiment exceptionnel et seulement dans le cadre de mesures de sauvegarde complètes en vigueur. Les États membres doivent clairement interdire la rétention des enfants et toujours considérer en premier lieu des alternatives à la rétention.
Garanties procédurales pour les personnes vulnérables : Tous les demandeurs d’asile sont en soi vulnérables. Cependant, au regard de certaines vulnérabilités particulières, certains demandeurs d’asile comme les victimes de torture ou les enfants non accompagnés présentent des besoins procéduraux particuliers qui doivent être identifiés et pris en compte afin de garantir un examen correct de leur besoin de protection. En refusant d’exempter certaines personnes de procédures accélérées à la frontière, la refonte de la Directive relative aux procédures d’asile ne reconnait pas entièrement leur vulnérabilité.
Assistance légale : L’accès à une assistance légale de qualité en pratique est un élément crucial dans la garantie d’une protection juridique efficace. Les normes législatives en vigueur ne constituent pas un progrès majeur dans ce domaine. La refonte de la Directive relative aux procédures d’asile n’inclut pas d’obligation de la part des États membres de fournir une assistance légale gratuite et une représentation en première instance lors de la procédure d’asile alors qu’au niveau de la procédure d’appel, cette obligation peut être conditionnée au regard des chances que la procédure puisse aboutir avec succès. Maintenant plus que jamais, avec la mise en œuvre des procédures complexes de demande d’asile, la présence d’une assistance légale de bonne qualité est essentielle afin d’assurer des procédures de demande d’asile justes et efficaces en pratique.
Règlement Dublin II : De récentes recherches indiquent que le système de Dublin est appliqué de manière préjudiciable, sapant les droits fondamentaux des demandeurs d’asile et entraînant des délais d’attente plus longs dans l’examen des demandes d’asile. Lors de la phase suivante du SAEC, le défi de l’UE sera d’appliquer la refonte du Règlement Dublin dans le respect des droits fondamentaux de ceux qui sont concernés. Tant que les convergences et l’harmonisation des politiques et des pratiques d’asile en Europe seront limités, les problèmes du système de Dublin persisteront. Sur le long terme, nous demandons à ce que le système de Dublin soit fondamentalement révisé afin de garantir aux demandeurs d’asile que leurs droits soient sauvegardés de manière efficace.
Nous, organisations soussignées, sommes convaincues que l’Europe ne peut se permettre de manquer cette opportunité de transposer ces nouvelles normes législatives de l’acquis communautaire en matière d’asile en normes élevées de protection au niveau national. En matière de transposition de la législation européenne, nous demandons aux États membres de créer ou de maintenir des normes de protections plus favorables que celles définies dans le droit d’asile européen existant. Les États doivent maintenant agir dans le bon sens, en accordant aux demandeurs d’asile une chance juste de voir leur dossier correctement examiné, en mettant un terme à la rétention de ceux qui fuient la persécution et en permettant aux réfugiés de reconstruire leur vie et d’apporter leur contribution à la société. Dans aucun cas la transposition des normes communes européennes ne doit résulter en la dévalorisation des systèmes d’asile nationaux dans la législation et dans la pratique.
Nous demandons à la Commission d’allouer les ressources suffisantes au contrôle efficace de la mise en œuvre du droit européen, y compris pour garantir sa conformité avec le droit européen et international relatif aux droits humains et traiter toute détérioration des pratiques en lançant rapidement des procédures d’infraction. De la même manière, le Bureau européen d’appui en matière d’asile jouera un rôle capital dans le développement concret du SAEC dans la législation et la pratique. Les organisations de la société civile possèdent une expertise et des connaissances inestimables et fournissent des services importants aux demandeurs d’asile. Ainsi, il est capital que la Commission et le Bureau européen d’appui en matière d’asile collaborent de manière significative avec ces organisations dans le cadre de leurs rôles respectifs dans le contrôle de la mise en œuvre et du mécanisme d’alerte précoce et de préparation ; dans l’amélioration de la coopération pratique sur les problèmes d’asile et dans le soutien des États membres. Le soutien des organisations de la société civile dans la délivrance de services essentiels et dans la mise à disposition d’informations sur les pratiques dans les États membres dans ce domaine est vital. De ce fait, des ressources et capacités adaptées seront nécessaires pour favoriser l’atteinte de cet objectif en pratique, et devront être intégrées dans les prochaines discussions relatives aux politiques à adopter dans le cadre du futur Fonds « Asile et migration ».
Lors de la prochaine phrase de transposition et de mise en œuvre, les États membres et les institutions européennes doivent s’engager dans un débat ouvert, transparent et régulier avec le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés et les organisations de la société civile afin de créer une Europe de la protection et de l’intégration de toutes les personnes à la recherche d’une protection internationale sur notre sol.
Bruxelles, 10 juin 2013.