Luxembourg, 29 octobre 2012. Amnesty International demande aux membres nouvellement élus du Conseil de sécurité de l’ONU (dont le Luxembourg) de s’engager à renforcer le rôle que joue l’organe le plus puissant des Nations unies en matière de protection des droits humains et de consolidation de la justice internationale.
L’Argentine, l’Australie, le Luxembourg, la Corée du Sud et le Rwanda ont été élus pour un mandat de deux ans qui prendra effet le 1er janvier 2013. Ils rejoindront alors un Conseil de sécurité qui, malgré les progrès accomplis ces 30 dernières années, notamment pour faire de la protection des droits humains et de la sécurité humaine une priorité, reste trop souvent paralysé par des intérêts partisans et des querelles politiques lorsqu’il doit réagir à des violations flagrantes des droits humains et à des crimes relevant du droit international. Au cours des 18 derniers mois, le Conseil s’est montré incapable de parler d’une seule voix pour exiger que cessent les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les autres violations des droits humains en Syrie. Cette inaction est le symptôme le plus atroce des maux qui l’accablent.
Le manque de cohérence dont il fait preuve quant aux renvois devant la Cour pénale internationale (CPI) et à la prise en compte des droits humains dans le cadre des opérations qu’il autorise ou qu’il soutient constitue une source d’inquiétude permanente. Le risque omniprésent qu’il puisse perdre des acquis que l’on croyait irréversibles est tout aussi préoccupant.
Pourtant, depuis la fin de la Guerre froide, le Conseil de sécurité s’est doté d’instruments efficaces pour lutter contre les violations des droits humains et du droit humanitaire international, protéger les civils lors des conflits armés (notamment les enfants en danger), combattre les violations des droits humains liées au genre et faire en sorte que les responsables de crimes de droit international répondent de leurs actes. Par exemple, le Conseil a demandé au procureur de la CPI d’examiner les situations du Darfour (Soudan) en 2005 et de la Libye en 2011. Ces deux renvois méritent d’autant plus d’être rappelés que trois des membres permanents du Conseil, sans l’accord desquels la CPI n’aurait pu être saisie, ne sont pas parties au Statut de Rome, le traité qui a donné naissance à cette juridiction.
Le Conseil a pris une autre initiative sans précédent en instaurant, en 2005, le Groupe de travail sur les enfants et les conflits armés. Cette instance innovante, composée de tous les membres du Conseil, a pour mission d’empêcher le recrutement d’enfants soldats, d’obtenir leur libération ou leur démobilisation et de faciliter leur réinsertion dans la société. Lorsque ses recommandations ne sont pas mises en oeuvre, le Groupe de travail peut demander au Conseil d’adopter des sanctions contre les gouvernements ou les groupes rebelles qui utilisent des enfants dans des situations de conflits armés.
Les mesures que peut prendre le Conseil de sécurité pour protéger les civils en périodes de conflit armé sont définies par la résolution 1674, adoptée à l’unanimité le 28 avril 2006. Ce texte réaffirme le principe selon lequel chaque État membre a pour responsabilité de protéger sa population civile, et établit un cadre juridique et politique régissant les interventions éventuelles du Conseil visant à mettre fin aux violations des droits humains. Les États sont également tenus de mettre un terme à l’impunité et de traduire en justice les responsables présumés de génocides, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et d’autres violations du droit international. La protection des civils figure désormais officiellement parmi les priorités du Conseil, et il veille à intégrer cette question aux opérations de maintien de la paix qu’il met en place. C’est d’ailleurs la principale priorité de la mission de maintien de la paix déployée en République démocratique du Congo.
Le Conseil de sécurité a reconnu que les femmes jouaient un rôle décisif en matière de rétablissement et de consolidation de la paix dans la Résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité (adoptée en 2000), ainsi que dans les Résolutions 1820, 1888, 1889 et 1960. Aussi le Conseil est-il tenu de veiller à ce que les femmes participent pleinement et activement aux actions qu’il entreprend, sur un pied d’égalité avec les hommes et à toutes les étapes de la prévention des conflits, du processus de paix (formel et informel) et de l’établissement d’une justice de transition.
Mais l’acceptation de normes, de règles et de pratiques sur le papier ne garantit pas pour autant leur application dans les faits. Si le Conseil a su réagir rapidement pour protéger les civils en Libye, il reste paralysé face à la situation en Syrie, ce qui s’explique en partie par la façon dont le mandat accordé pour la Libye a été exécuté. Malgré la reconnaissance de l’importance du travail accompli par les différentes instances chargées de traiter la question des enfants impliqués dans les conflits armés, le Conseil s’est avéré incapable d’approuver à l’unanimité une résolution ordinaire sur ce thème présentée le 19 septembre, l’un des membres du Conseil ayant contesté la façon dont il était décrit dans un rapport rédigé par un expert sur le sujet. Cette réaction montre une fois de plus que les sensibilités et les considérations politiques continuent parfois de l’emporter sur les problèmes de fond.
Des retours en arrière dans un certain nombre de domaines aggravent les effets négatifs que peuvent avoir certaines pratiques du Conseil sur la protection des droits humains, la justice et la dignité. Le recours irresponsable au veto, ou la menace de son utilisation, est un problème qui a récemment pris de l’ampleur. La Russie et la Chine ont exercé leur droit de veto à plusieurs reprises pour empêcher le Conseil d’agir avec fermeté en Syrie, et les États-Unis l’ont utilisé maintes fois pour protéger le gouvernement israélien au sein du Conseil.
En 2012, année du 10e anniversaire de la Cour pénale internationale, ses relations avec le Conseil ont été particulièrement mouvementées. Tant dans le cas du Darfour que dans celui de la Libye, le travail de la CPI a été sapé par les lacunes des résolutions du Conseil (Résolution 1593 pour le Darfour et Résolution 1970 pour la Libye) et par l’incapacité du Conseil à soutenir ses efforts et rappeler l’importance de la coopération des États. En particulier, il n’existe aucun motif raisonnable justifiant que le Conseil ait décidé de demander – et non d’exiger – la coopération de tous les États avec la Cour, notamment en ce qui concerne l’arrestation des suspects et leur remise à la CPI.
Si les États récemment élus au Conseil de sécurité ne sauraient remédier à l’ensemble des carences de celui-ci, son efficacité dépend des membres qui le composent. Bien que les membres élus aient moins de pouvoir que les cinq membres permanents, ils peuvent exercer une influence considérable sur l’ordre du jour du Conseil et les actions qu’il entreprend. Ils disposent également d’une certaine légitimité, assortie d’un devoir de représentation, du fait qu’ils ont été élus par l’ensemble des États membres des Nations unies. Amnesty International espère qu’ils sauront prendre leurs responsabilités et faire preuve d’initiative, non seulement pour empêcher le Conseil de perdre les acquis obtenus en matière de protection des droits humains et de consolidation de la justice internationale, mais aussi pour saisir chaque occasion de faire avancer le travail du Conseil de sécurité dans ces domaines.
Amnesty International encourage vivement les nouveaux membres du Conseil de sécurité de l’ONU à :
soutenir la saisine immédiate du procureur de la Cour pénale internationale au sujet de la situation en Syrie ;
demander aux membres permanents de ne pas exercer leur droit de veto pour bloquer les initiatives du Conseil visant à prévenir ou à faire cesser des génocides, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre ;
apporter un soutien sans réserve à la CPI en s’efforçant d’adopter une approche cohérente quant à sa saisine par le Conseil ;
assurer le suivi des dossiers confiés à la CPI en insistant sur l’importance de la coopération, notamment en réagissant rapidement aux cas de non-coopération signalés par la CPI ;
préserver les progrès accomplis dans la lutte contre l’utilisation des enfants dans les conflits armés et en particulier l’intégrité du mandat de la représentante spéciale du secrétaire général, le groupe de travail du Conseil de sécurité et le mécanisme de communication de l’information du secrétaire général ;
prendre des mesures concrètes et quantifiables pour garantir la mise en œuvre de la Résolution 1325 (2000) sur les femmes, la paix et la sécurité, ainsi que des Résolutions 1820, 1888, 1889 et 1960 ; à cette fin, il convient de reconnaître pleinement le rôle décisif des femmes dans la résolution des conflits, et de prévoir leur participation entière et active, sur un pied d’égalité avec les hommes, à toutes les étapes de la prévention des conflits, du processus de paix et de l’établissement d’une justice de transition ; le Conseil doit veiller à ce que les responsables de violations des droits fondamentaux des femmes et de violences sexuelles perpétrées lors de conflits aient à répondre de leurs actes ;
faire en sorte que les composantes et les orientations de toutes les interventions mises en place, approuvées ou renouvelées par le Conseil de sécurité respectent les droits humains, et que le Conseil puisse rendre compte publiquement de cet aspect de son travail si nécessaire.