Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Le regroupement familial refusé aux réfugiés reconnus – quelle logique ?

Le Luxembourg a signé la convention de Genève et garantit refuge à toute personne persécutée pour des raisons liées à la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social et les opinions politiques. Il accorde ainsi chaque année le statut de réfugié politique reconnu (1254 en 2014).

La plupart des réfugiés pensent qu’au moment où ils reçoivent enfin le statut de protection internationale sur le territoire luxembourgeois leurs problèmes sont résolus, qu’ils peuvent enfin faire venir leur famille et profiter ensemble de la sécurité accordée. Or dans le travail quotidien de nos associations traitant des questions d’immigration et d’asile, plusieurs incohérences nous sont apparues à ce sujet.

Ces incohérences résultent d’une lecture combinée des articles 50 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et 69 (2) de la de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Ainsi, l’article 50 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile octroie aux réfugiés politiques reconnus un accès à l’assistance sociale nécessaire équivalent à celui d’un Luxembourgeois. Alors que l’article 69 de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration établit dans son second paragraphe un délai de 3 premiers mois suivant l’octroi du statut de réfugié politique durant lequel les réfugiés politiques reconnus sont exemptés de remplir certaines conditions nécessaires à une demande de regroupement familial, tels que la preuve des ressources financières suffisantes par les 12 dernières fiches de salaire ou la condition d’un logement approprié.

Dans un premier temps, le délai des 3 premiers mois pour bénéficier de la procédure simplifiée de regroupement familial ne reflète pas la réalité du terrain, car les personnes concernées viennent de pays en guerre et auront donc des difficultés de taille à rassembler tous les documents nécessaires dans ce très court délai. Il peut y avoir des problèmes pour l’obtention du passeport, d’un acte de naissance, d’un casier judiciaire, d’un acte de mariage ou quelconque autre document officiel. Le traitement préférentiel qui découle du statut de réfugié politique reconnu n’apporte alors aucun avantage concret.

Nous constatons en outre que le Ministère refuse le regroupement familial en évoquant qu’il ne serait pas prouvé que les membres de la famille pour lesquelles le regroupement est demandé seraient à charge du réfugié reconnu. Il ne serait pas non plus prouvé  » qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans le pays où ils séjournent actuellement « . Le Ministère interprète donc très restrictivement le regroupement familial, même s’il s’agit de familles syriennes. Ceci est en contradiction flagrante avec les belles paroles du Ministre Asselborn s’engageant à accueillir plus de réfugiés syriens au Luxembourg. 

C’est d’autant plus contradictoire et absurde que la loi sur l’immigration dispense les réfugiés reconnus de faire preuve de moyens de subsistance suffisants, à condition de faire leur demande dans les 3 mois de la reconnaissance du statut de réfugié. Or, comment peut-on dispenser d’un côté quelqu’un de faire preuve de revenus suffisants et, d’un autre côté, exiger qu’il prouve que les membres de famille qu’il veut faire venir au Luxembourg sont à sa charge ?

Dans un second temps, une fois les 3 mois écoulés, les réfugiés politiques tomberont sous le régime « normal » des demandes de regroupement familial d’un ressortissant de pays tiers. Ainsi, ils devront fournir comme pièces angulaires de leur dossier, les 12 dernières fiches de salaire et une preuve de logement, et cela revient à reporter d’un an la possibilité d’introduire une telle demande. La directive  » Regroupement familial  » – directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 Dans le chapitre V – Regroupement familial des réfugiés Article 12, point 1er, § 3 dit  » Les États membres peuvent exiger du réfugié qu’il remplisse les conditions visées à l’article 7, paragraphe 1, si la demande de regroupement familial n’est pas introduite dans un délai de trois mois suivant l’octroi du statut de réfugié.  »

Donc c’est une condition optionnelle. A noter que le Luxembourg et l’Allemagne appliquent cette règle en invoquant cette directive européenne. En Belgique, les conditions plus souples de la procédure pour les réfugiés reconnus sont valables jusqu’à un an de l’obtention du statut. En France, la législation nationale n’a pas soumis ce traitement plus favorable des réfugiés politiques à un délai. D’autres pays ont également décidé de ne pas délimiter cette procédure simplifiée dans le temps, tel que l’Autriche, l’Espagne et la Suède.

La Commission estime d’ailleurs que vu la situation particulières des réfugiés pour lesquels ce délai peut constituer un obstacle pratique au regroupement familial, il est le plus approprié de ne pas appliquer cette limitation. Elle invite les Etats Membres à fournir des informations claires sur le regroupement familial aux réfugiés d’une manière opportune et compréhensible, par exemple, lors de l’octroi de la protection internationale.

D’autant plus que le réfugié va éprouver de réelles difficultés à trouver un emploi. Effectivement, étant donné les situations conflictuelles des pays dont les réfugiés proviennent et les persécutions et maltraitances auxquelles ils ont été soumis, la transition sur le marché de l’emploi s’avère souvent difficile. Les traumatismes psychiques qui résultent de ces expériences difficiles s’ajoutent aux difficultés liées à la procédure complexe pour les demandeurs d’asile pour obtenir une affectation d’occupation temporaire durant leur procédure d’asile. La longue durée d’inactivité qui en découle a comme conséquence que la réintégration au marché du premier emploi s’avère pénible.

Le cumul de tous ces facteurs peut entraîner des cas de figure où l’unité familiale se trouve menacée. Quelle logique y-a-t-il à mettre l’unité familiale des réfugiés reconnus en péril alors qu’ils ont subi des persécutions dans leurs pays d’origine et sont sortis de la longue procédure de protection internationale avec succès? Cela ne reviendrait-il pas à une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) relatif au droit au respect de la vie privée et familiale?

Eu égard aux potentielles répercussions néfastes que les règlements actuellement en vigueur peuvent occasionner, nous estimons qu’il serait plus convenable de considérer les situations des réfugiés politiques individuellement afin de faire prévaloir l’intérêt supérieur de l’enfant si tel est le besoin. Cette méthode permettrait ainsi au Ministre de veiller à ce que l’unité familiale soit maintenue, tel que prévu à l’article 45, paraphe 1er la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile.

A l’occasion d’une prochaine réforme législative de la législation sur l’immigration, il nous paraît indispensable de revoir les dispositions relatives au regroupement familial en ce qui concerne les bénéficiaires de la protection internationale. Pareille réforme pourrait ainsi s’inspirer des dispositions plus favorables prévues dans l’article 68 (1) de la loi du 5 mai 2006 sur le droit d’asile en ce qui concerne les bénéficiaires de la protection temporaire. Il y est prévu que « le bénéficiaire de la protection temporaire peut solliciter le regroupement familial en faveur d’un ou plusieurs membres de sa famille si la famille était déjà constituée dans l’Etat d’origine et qu’elle a été séparée en raison de circonstances entourant l’afflux massif. »

Transposés aux cas des bénéficiaires de protection internationale, pareille disposition pourrait prévoir que le regroupement familial sera accordé aux membres de la famille si celle-ci était déjà constituée dans le pays d’origine et qu’elle a été séparée en raison des circonstances ayant motivé l’octroi de la protection internationale.

Sur base de tous ces éléments, nous sommes d’avis que les demandes de regroupement familial provenant de réfugiés politiques reconnus devraient être traitées de manière à empêcher des conséquences graves sur l’avenir de leur vie familiale au Luxembourg.

Amnesty International Luxembourg et l’ ASTI étaient déjà intervenues à ce sujet auprès du Ministère des Affaires étrangères mi décembre sans réponse à leur demande jusqu’à ce jour.

Le fait que des obstacles au regroupement familial de réfugiés soient posés aussi bien pour des demandes de regroupement familial dans le délai de 3 mois après l’obtention du statut que pour ceux après ce délai témoigne d’une politique restrictive envers les réfugiés reconnus en contradiction avec les belles paroles de nos politiques.

L’ASTI asbl et Amnesty International Luxembourg.