Frank Wies, Vice-président d'AIL

Le Qatar, un pays ami?

Les relations entre le Luxembourg et le Qatar sont-elles celles d’une « histoire d’amour » fonctionnant sur le mode « gagnant-gagnant », comme on a pu le lire dans la presse ?

Après l’euphorie déclenchée par l’afflux de capital qatari sur le marché luxembourgeois, l’heure semble venue de revenir à une vue plus sobre et plus réaliste des choses. A ce propos, l’histoire du poète qatari Mohammed al-Ajani, que je me permets de résumer ci-dessous, est susceptible de nous ouvrir les yeux sur les visées réelles du Qatar.

Selon Amnesty International, Mohammed al-Ajani a été arrêté le 16 novembre 2011 à Doha, la capitale du Qatar. Il a désormais passé près d’un an derrière les barreaux, en détention à l’isolement. Il risque d’être jugé en secret sous l’inculpation d’ « incitation au renversement du régime » et d’ « outrage à l’émir ». L’accusation reposerait sur un poème qu’il a écrit en 2010 et dans lequel il critique l’émir, et, plus vraisemblablement, sur un autre poème, intitulé « Jasmine Poem » écrit en 2011 au moment des troubles au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Dans ce dernier poème, il critique largement les gouvernements du Golfe persique, affirmant : « Nous sommes tous la Tunisie face à l’élite répressive ». Or, l’ « incitation au renversement du régime » est passible de la peine de mort au Qatar et l’ « outrage à l’émir » est puni d’une peine de cinq ans d’emprisonnement.

S’il s’avère que cet homme a été arrêté uniquement pour avoir exprimé de manière pacifique des critiques, même visant la plus haute autorité du pays, il s’agit, aux yeux d’Amnesty International, d’un prisonnier d’opinion qui doit être libéré immédiatement et sans condition.

Le cas de Mohammed al-Ajani m’amène à formuler un certain nombre de questions à l’adresse du gouvernement luxembourgeois : Au moment de nouer des relations privilégiées avec le Qatar, notre gouvernement a-t-il dûment pris en compte la situation des droits de l’homme dans ce pays ? Ses responsables savaient-ils, par exemple, que la liberté d’expression y est soumise à un contrôle étatique rigoureux, interdisant toute opinion critique à l’égard du régime ? Comment comprendre, en effet, que le Qatar et sa chaîne satellitaire Al Jazeera aient activement soutenu les révoltes en Tunisie, en Egypte et en Libye, alors que la simple mention du Printemps arabe dans un poème soit sévèrement réprimée au Qatar même ?

Bien plus, le gouvernement luxembourgeois a-t-il tenu compte du fait que le Qatar soutient, semble-il, les groupes islamistes armés dans le nord du Mali, qui y répandent la terreur en appliquant la charia au sens strict ? Comment notre gouvernement juge-t-il le fait que l’émir du Qatar a été récemment en visite officielle à Gaza, y apportant un cadeau de 400 millions de dollars et contribuant par là à revaloriser le Hamas, toujours considéré, faut-il le rappeler, comme organisation terroriste par l’Union européenne ?

S’il est vrai que le Qatar soutient partout dans le monde les Frères musulmans et les salafistes armés, n’est-il pas urgent de s’interroger sur les véritables intentions de l’émirat et de faire une réévaluation sérieuse des relations politiques et économiques entre le Luxembourg et cet Etat ? Dira-t-on toujours, comme le fit l’empereur Vespasien : « Non olet ! » / « Il (l’argent) n’a pas d’odeur ! » ? Si oui, pourquoi s’embarrasser alors des droits de l’homme ?

Robert Altmann Président honoraire d’Amnesty International Luxembourg