C’est une histoire au dénouement improbable. Un combat à l’image de David contre Goliath.
D’un côté, 20 familles vivant dans les ruines de ce qui fut jadis un quartier animé abritant 600 familles, édifié il y a 50 ans devant ce qui est aujourd’hui le Parc olympique de Rio – et un site très convoité d’un point de vue immobilier.
De l’autre, la volonté inébranlable des autorités de Rio de Janeiro, décidées à vider les lieux, alors qu’elles avaient accordé à la communauté le droit d’y résider pendant un siècle.
Des mois de lutte implacable ont suivi, devant les tribunaux et dans les rues ; plus de la moitié des habitants de la communauté ont été harcelés pour les pousser à partir et certains ont été violemment expulsés.
Maria da Penha, 51 ans, mère d’un enfant, et membre de la communauté au franc-parler, sourit enfin, mais avec prudence.
Contre toute attente, la campagne qu’elle a menée pendant des mois a débouché sur un accord avec la municipalité locale pour permettre aux 20 familles toujours là de rester sur leur terrain. La municipalité a accepté de construire de nouveaux logements – les travaux doivent débuter en mai.
" La méfiance reste de mise, à cause de tout ce que les autorités nous ont fait, de tout ce que nous avons traversé. Lorsqu’ils commenceront à construire les maisons promises, ce sera une victoire pour nous, pour tous ceux qui nous ont soutenus et pour la ville dans son ensemble. Nous espérons une fin heureuse ", a déclaré Maria depuis l’église où elle a élu domicile depuis que la maison qu’elle avait construite a été démolie en mars dernier.
Un chemin chaotique vers la victoire Perdues au milieu de l’un des futurs quartiers de Rio de Janeiro, à 45 minutes de la plage très prisée d’Ipanema, à peine 30 maisons se dressent dans les ruines du quartier qui abritait jadis quelque 600 familles.
Les derniers habitants sont entourés des vestiges de la longue et douloureuse bataille menée pour garder leurs maisons – tas de décombres, graffitis, sacs brûlés de déchets, jouets jetés et postes de télévision cassés.
Il y a un an, Vila Autódromo était encore une communauté très vivante. Elle était connue comme l’une des rares " favélas paisibles " de Rio de Janeiro, épargnée par la guerre implacable contre la drogue qui a brisé des millions de vies. Il y avait des restaurants, un parc pour les enfants, un centre culturel et une église.
Pourtant, le site étant soumis à une forte pression foncière dans l’une des villes les plus cotées d’Amérique du Sud, et à l’approche de l’ouverture de la cérémonie des Jeux olympiques de Rio 2016, les autorités ont décrété que la communauté devait partir.
Maria et ses voisins ont livré pendant des années une bataille juridique pour rester sur un terrain qu’ils avaient le droit d’occuper.
Une longue bataille Peut-être sans en avoir conscience, au fil de cette bataille interminable pour protéger sa communauté, Maria da Penha Silva et nombre de ses voisins sont devenus des militants. Elle s’est installée à Vila Autódromo il y a près de 30 ans, nourrissant l’espoir d’une vie paisible. Quelques années plus tard, les autorités ont commencé à harceler les familles pour qu’elles quittent leurs logements.
La dernière menace est survenue dès que Rio de Janeiro s’est vue attribuer les Jeux olympiques : les autorités se sont mises en quête de sites pour de nouvelles installations. Cette belle langue de terre, surplombant un lac, était un emplacement idéal.
La construction a démarré presque immédiatement. Les autorités voulaient s’assurer que lorsque Rio accueillerait le monde entier, le Parc olympique – avec ses gymnases, piscines, stades et centres médias – et la route très passante qui le relie au centre-ville seraient bordés uniquement par un parc tiré au cordeau.
Certains habitants se sont vus proposer de l’argent ou de nouveaux appartements en échange de leur départ. Parmi ceux qui sont partis, beaucoup se plaignent des dangers et des malfaçons de leur nouveau logement. Ceux qui ont rejeté l’offre sont devenus la cible d’une pression croissante. L’eau et l’électricité ont été coupés, la collecte des ordures stoppée et, finalement, la garde municipale est arrivée avec des bulldozers, procédant à des expulsions sans avis préalable. Maria et d’autres ont été grièvement blessés au cours de ces expulsions.
Et Maria a perdu la maison avec trois chambres qu’elle avait passé six ans à construire. Elle vit aujourd’hui avec un voisin dans l’ancienne église de la communauté, ses quelques affaires stockées dans des sacs poubelles et des cartons.
" Ce fut vraiment très difficile. J’ai la chance d’avoir eu la force d’y résister. Ils démolissent nos maisons, mais ils ne peuvent pas démolir notre droit d’être ici ", a déclaré Maria.
Maria passe ses jours et ses nuits à parcourir son quartier, rendant visite à ses voisins qui sont devenus sa famille et expliquant aux visiteurs ce qu’était cet endroit.
Il faut faire preuve d’imagination pour arriver à visualiser le décor qu’elle dépeint avec une telle passion. Pour s’imaginer la maison qu’elle a construite, voir les rues libérées des décombres et des ordures, visualiser les 500 arbres qui entouraient jadis la communauté et la protégeaient de la chaleur torride de Rio. Mais la voix de Maria peine à se faire entendre dans le brouhaha assourdissant des camions occupés à la construction du Village olympique voisin.
Aujourd’hui, Vila Autódromo et le Parc olympique incarnent les problèmes du Brésil. Ce symbole du statut international de Rio se dresse près du site de la tragédie vécue par Maria, de l’autre côté de l’abîme séparant la minorité de riches citoyens des masses marginalisées au sein de la principale économie d’Amérique du Sud. Bâtiments étincelants d’un côté, décombres et désespoir de l’autre.
Leur combat est un exemple pour de nombreuses communautés qui, à travers le Brésil, continuent de lutter pour le droit de ne pas être expulsés.
Malgré l’accord qu’ils sont parvenus à conclure avec les autorités, de nombreuses questions demeurent – comment va-t-il être mis en œuvre et quand les habitants de Vila Autódromo pourront-ils entrer dans leurs nouveaux logements ?
Pour l’instant, Maria est heureuse.
" Ils m’ont laissé sans argent, sans logement, sans rien, mais je n’abandonnerai jamais. Certaines choses n’ont pas de prix. Vous ne pouvez pas donner un prix à votre bonheur, pas plus qu’aux droits fondamentaux. "