Le président sud-africain Jacob Zuma, en novembre 2016. CRÉDITS : GIANLUIGI GUERCIA/AFP

L’Afrique du Sud renonce à son projet de loi portant sur le retrait de la CPI, qui en sort renforcée

Alors que les menaces de certains États africains de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI) s’estompent, de nouveaux défis se profilent à l’horizon, émanant des pays du Nord. Netsanet Belay et Matthew Cannock   Le 14 mars, le gouvernement sud-africain a renoncé au projet de loi portant sur le retrait de la Cour pénale internationale (CPI) qui devait être débattu au Parlement. Cette décision fait suite à celle, le 8 mars, de révoquer la notice adressée à l’ONU concernant son intention de se retirer du Statut de Rome. Le gouvernement d’Afrique du Sud fait ainsi un pas crucial dans la bonne direction – en revenant sur sa décision de faire obstacle à la recherche de la justice.   Cette mesure fait écho à celle prise par le gouvernement nouvellement élu du président Adama Barrow en Gambie, qui a annulé en février son retrait du Statut de Rome. Le Burundi – qui s’est retiré de la CPI en octobre 2016 – fait ainsi davantage figure d’exception que d’initiateur de tendance.   Reste à savoir si l’annulation du gouvernement sud-africain signifie qu’il n’a plus l’intention de se retirer de la CPI – comme c’est le cas pour la Gambie. À n’en pas douter, le retrait de l’Afrique du Sud aurait affaibli la CPI, privée du soutien politique et pratique d’un poids lourd régional et international. Enhardis, ses opposants auraient sauté sur l’occasion d’intensifier leurs efforts contre la Cour s’ils avaient vu de solides partisans jeter l’éponge.   L’Afrique du Sud a aujourd’hui la chance de pouvoir réintégrer le peloton et de se tenir aux côtés d’une Afrique solide qui exprime haut et fort son soutien à la CPI et à sa quête d’une justice internationale plus sincère. Elle se doit de la saisir.   Le changement de cap de la Gambie, réorientation opportune, a eu pour effet immédiat de couper court aux discours et aux articles dans les médias qui parlaient déjà d’un « retrait massif » des gouvernements africains de la CPI.   L’adoption par l’Union africaine (UA) d’une soi-disant « stratégie de retrait de la CPI », lors de son sommet en janvier, était émaillée de réserves importantes de la part de plusieurs États africains. En fait, il ne s’agissait pas d’une « stratégie de retrait », mais d’une stratégie qui traçait les contours d’une feuille de route proposant un engagement prolongé de l’UA vis-à-vis de la CPI. Elle faisait écho à de nombreuses réaffirmations de soutien à la CPI, particulièrement de la part d’États africains, lors de la dernière rencontre de l’Assemblée des États parties en novembre 2016.   Ces évolutions témoignent du large soutien apporté à la justice internationale à travers l’Afrique et l’année 2017 montrera sans nul doute que la CPI, et la justice internationale, ont grand besoin de l’appui de la Gambie et d’autres États membres africains pour pouvoir relever les défis à venir. Particulièrement lorsqu’elle sera amenée à mener des enquêtes sur des États et des acteurs plus puissants.   En 2016, le bureau de la procureure de la CPI a ouvert une enquête sur la situation en Géorgie, y compris sur les crimes internationaux qu’auraient commis les forces armées russes. Auparavant, il a ouvert une enquête préliminaire sur les crimes internationaux qu’auraient commis en Palestine les forces palestiniennes et les Forces de défense d’Israël en janvier 2015. La CPI serait également sur le point d’ouvrir une enquête sur les crimes relevant du droit international commis en Afghanistan.   Au regard des crimes commis en Afghanistan, État partie à la CPI, le bureau de la procureure affirme qu’il existe des motifs raisonnables d’enquêter sur les crimes commis par les talibans, les forces du gouvernement afghan et les forces militaires américaines – dont des cas possibles de crimes de guerre sous la forme de torture et de mauvais traitements imputables aux forces américaines déployées en Afghanistan dans les centres de détention secrets gérés par l’Agence centrale du renseignement (CIA). Fait essentiel, ces investigations vont amener la CPI à déployer son action en dehors du continent africain et à faire sans nul doute face à d’importants défis en termes politiques et logistiques, ainsi qu’à une réaction violente des puissances dont les ressortissants feront l’objet d’investigations.   En conséquence, la CPI pourrait bien se retrouver de plus en plus isolée du fait de l’orientation de ses partisans les plus puissants. Déjà, plusieurs États membres remettent en question l’adhésion de la Palestine et d’aucuns aux États-Unis remettent en cause toute possibilité d’investigation sur les crimes commis par le personnel américain en Afghanistan, en arguant qu’ils ne sont pas aussi graves que d’autres crimes faisant l’objet d’investigations de la CPI. Signe avant-coureur, lors de la dernière Assemblée des États parties, la CPI a été poussée dans ses retranchements financiers par les principaux États contributeurs, notamment le Royaume-Uni, la France, le Canada et l’Allemagne. Ces coupes budgétaires nuisent à sa capacité de mener des investigations et d’engager des poursuites et pourraient être perçues comme un coup fourré pour l’empêcher de mener à bien son travail.   Par ailleurs, la CPI aura bien du mal à s’assurer la coopération des puissants États dont les forces ou les ressortissants feront l’objet d’enquêtes. En l’absence d’un service ou d’un mécanisme d’application, elle repose entièrement sur les bureaux politiques d’autres États parties pour assurer la coopération de l’État concerné, notamment pour permettre au bureau de la procureure de mener des investigations portant sur des ressortissants, et sur le territoire, de pays qui ne sont pas parties à la CPI. La Cour a déjà constaté, dans les affaires kenyanes, et en l’absence d’application du mandat d’arrêt délivré contre le président soudanais Omar el Béchir, jusqu’où l’absence de coopération d’un État peut aller pour empêcher l’aboutissement des enquêtes et des poursuites.   Il incombe alors à un continent africain fort – stimulé par la réadhésion de l’Afrique du Sud et de la Gambie – ainsi qu’aux grands États et aux blocs régionaux moins individuels d’un point de vue politique de renforcer leur engagement envers la Cour pénale internationale. Pour que la quête de justice internationale ne soit pas décriée comme partiale ou inapplicable aux grandes puissances, l’adhésion à la CPI doit provenir de ces États qui, pris un par un, n’ont pas la carrure politique ni financière d’États plus grands, mais qui, en unissant leur volonté et leur attachement à voir la justice triompher, peuvent battre en brèche ceux qui tenteront de détourner ou de s’ingérer dans le travail de la Cour. Actuellement, la CPI jouit d’un niveau raisonnable de coopération de ses États membres, même lorsqu’ils subissent la pression des grandes puissances pour ne pas coopérer. Il ne faut pas laisser cette source de soutien vital se tarir.   Tous les États parties à la CPI doivent prendre des mesures concrètes pour apporter leur appui à la Cour, notamment en acceptant de lui allouer le budget nécessaire et en concluant des accords de coopération, par exemple en acceptant de réinstaller des témoins mis en danger en raison des témoignages qu’ils ont livrés à la CPI.   Les États peuvent aussi soutenir la CPI sur le plan politique et diplomatique dans divers forums. Il importe qu’ils démasquent l’hypocrisie du Conseil de sécurité de l’ONU et prennent en considération la dimension politique de son exercice du pouvoir en soumettant (ou non) des affaires au procureur de la CPI. Ce mouvement doit s’accompagner d’une impulsion concertée visant à réformer cette pratique. Ces États doivent aussi faire activement pression sur le Conseil de sécurité pour qu’il saisisse la CPI de certaines situations, notamment celles qui risquent de se voir opposer un veto pour des motifs de realpolitik.   Enfin, il est impératif que les États africains et d’autres États du Sud continuent d’encourager et de faire pression sur les grandes puissances, telles que les États-Unis, la Russie et la Chine, pour adhérer au Statut de Rome.   Soyons clairs, 2017 ne sonnera ni l’avènement ni le glas de la CPI. Cependant, alors qu’elle gagne en efficacité pour réaliser sa promesse de devenir une véritable « Cour mondiale » en enquêtant sur des crimes présumés commis sur tous les continents, elle sera confrontée à des difficultés croissantes. La Cour et ses États parties doivent les surmonter et faire émerger une justice internationale universelle, efficace et impartiale.   La société civile et les États membres, notamment les pays du Sud, doivent se mobiliser et la CPI doit pouvoir compter sur eux pour la défendre contre de nouvelles attaques, d’où qu’elles proviennent.   Netsanet Belay est directeur pour la recherche et le plaidoyer en Afrique et Matthew Cannock est responsable de la Justice internationale, à Amnesty International.