La vraie « tragédie » du Delta du Niger

« En 2008, la vie est devenue très difficile à Bodo. Tous les poissons sont morts. Nos rames étaient couvertes de pétrole. Nos barques et nos filets ont été détruits. La vie était bien plus facile avant. Aujourd’hui la pauvreté est partout. » Un pêcheur de Bodo, Nigeria, mai 2011 En 2008, à la suite de deux épanchements consécutifs résultant de fissures dans un oléoduc, des quantités de pétrole se chiffrant en milliers de barils ont contaminé la terre et les cours d’eau tout autour de la ville de Bodo au Nigeria, qui compte 69 000 habitants. Dans les deux cas, plusieurs semaines se sont écoulées avant que les fuites ne soient maîtrisées. Aucun processus de nettoyage adéquat n’a eu lieu. Le 10 novembre dernier, Amnesty International et le Centre nigérian pour l’environnement, les droits humains et le développement (CEHRD) ont rendu public un rapport intitulé La vraie « tragédie » : retards et incapacité à stopper les fuites de pétrole dans le delta du Niger qui revient sur la dévastation causée par ces deux épanchements importants d’hydrocarbures qui n’ont à ce jour encore jamais été nettoyés et ont lancé un appel à l’entreprise pétrolière Shell afin qu’elle s’engage à effectuer un paiement initial d’un milliard de dollars américains (environ 722 millions d’euros) pour que puisse commencer le nettoyage des zones polluées. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a en effet récemment établi que la pollution pétrolière, s’échelonnant sur de nombreuses années, avait eu des effets si dévastateurs qu’il faudra plus de 25 ans au pays ogoni pour se remettre. Les Nations unies ont alors recommandé la création d’un Fonds pour la restauration environnementale, qui serait lancé avec un capital initial d’un milliard de dollars américains et recevrait des financements supplémentaires par la suite. « L’incapacité de Shell à faire cesser les déversements d’hydrocarbures et à les nettoyer dans les meilleurs délais à Bodo a de terribles répercussions sur la vie de dizaines de milliers de personnes. La catastrophe de Bodo aurait pu être évitée ; elle reste en outre d’actualité en raison de l’inaction de Shell. Il est temps pour cette entreprise multimilliardaire de reconnaître sa responsabilité, de nettoyer la zone et de régler la note », a déclaré Aster van Kregten, spécialiste du Nigeria à Amnesty International. Shell, dont les profits pour la période de juillet à septembre 2011 s’élèvent à 7,2 milliards de dollars américains (soit environ 5,2 milliards d’euros), a initialement offert à la population de Bodo 50 sacs de riz, des haricots, du sucre et des tomates pour toute aide humanitaire après la catastrophe. Une offre bien dérisoire… Les dommages causés à la pêche et à l’agriculture se sont traduits par des pénuries alimentaires et une hausse des prix à Bodo. Des résidents ont expliqué à Amnesty International et au CEHRD qu’ils ont du mal à gagner leur vie et qu’ils sont très inquiets pour leur santé. Il n’est pas facile de trouver un emploi de substitution. Beaucoup de jeunes gens sont obligés d’aller chercher du travail à Port Harcourt, la capitale de l’État, à 50 kilomètres. Ce jeudi 1er décembre, AI-Luxembourg, en collaboration avec Pharmaciens sans frontières Luxembourg, avait organisé, dans le cadre du Festival Cinéma du Sud à l’Utopia, la projection du film de Sandy Cioffi, « Sweet Crude » qui raconte l’histoire tragique du delta du Niger au travers des conséquences de sa dévastation humanitaire, sanitaire, écologique et économique par 50 ans d’extraction pétrolière. Le public a pu, à la suite de la projection, rencontrer et débattre avec le responsable du programme « environnement et conservation » du CEHRD, M. Nenibarini Zabbey qui, en écho au film, a raconté de manière sobre mais poignante la vie quotidienne des habitants du delta du Niger dont la pollution de l’eau par l’industrie pétrolière représente un véritable fléau, ceux-ci vivant essentiellement de la pêche. Afin de survivre, les habitants sont dans l’obligation de consommer l’eau et les poissons contaminés, entrainant de graves problèmes de santé. La situation est d’autant plus critique pour les enfants qui, outre boire l’eau contaminée, se baignent dans cette même eau. M. Nenibarini a alors lancé un appel fort afin que chacun soutienne les habitants du delta du Niger notamment en signant la pétition d’Amnesty International.