La face cachée des voitures électriques : l’exploitation par le travail

Le gouvernement écossais a récemment annoncé son intention d’éliminer, d’ici 2032, les véhicules essence et diesel. D’ici 2040, les seules voitures qui circuleront sur les routes du Royaume-Uni seront également électriques, et les bornes de recharge auront remplacé les stations d’essence. Aux États-Unis, Elon Musk a annoncé le lancement de sa Tesla Model 3, dont il espère bien faire la première voiture électrique grand public du monde.   Cette mutation vers une technologie verte est plus que bienvenue. Le changement climatique est l’un des défis majeurs de notre époque en termes de droits humains et les villes de Londres à Delhi sont asphyxiées par les gaz d’échappement. La transition vers la voiture électrique va améliorer la qualité de l’air et réduire les émissions de carbone qui amènent notre planète au point de rupture.   Cependant, certaines voitures électriques ne sont pas aussi « propres » d’un point de vue éthique que les fabricants aimeraient nous le faire croire. Les recherches d’Amnesty International montrent que du cobalt extrait par des enfants et des adultes dans des conditions extrêmement dangereuses entre sans doute dans la chaîne d’approvisionnement de certains des plus grands constructeurs automobiles mondiaux.   Le cobalt est un composant essentiel des batteries rechargeables de type lithium-ion avec lesquelles fonctionnent les voitures électriques. Plus de la moitié du cobalt extrait à travers le monde provient de la République démocratique du Congo (RDC). Malgré ses richesses en minerais, la RDC compte parmi les pays les plus pauvres du monde et subit depuis des décennies la guerre et la corruption de ses dirigeants. Les emplois légaux étant trop rares dans le pays, des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants congolais sont amenés à creuser leurs propres mines pour subvenir à leurs besoins.   D’après des représentants du gouvernement, 20 % du cobalt exporté depuis la RDC provient de ces mines « artisanales ». Ce chiffre est probablement en deçà de la réalité. Les coûts de production sont moins élevés dans les mines artisanales que dans les mines industrielles (notamment du fait de la faible rémunération des mineurs et de l’absence de règlementation). La demande ayant augmenté, nous avons entendu parler de nouveaux sites miniers qui se développent dans la région.   Par conséquent, une très grande partie des approvisionnements en cobalt dans le monde provient de ces mines. Si nous ignorons où finit la majeure partie de ce cobalt, il est raisonnable de supposer qu’il parvient jusque dans les chaînes d’approvisionnement des quelques entreprises qui dominent le marché des batteries automobiles.   En collaboration avec Afrewatch, une ONG congolaise, Amnesty International a découvert que des enfants n’ayant parfois pas plus de sept ans travaillent dans les zones minières. Aucun des enfants ou des adultes mineurs que nous avons vus ne portait de masque permettant d’éviter d’inhaler la poussière de cobalt, qui peut provoquer des affections pulmonaires potentiellement mortelles. Les mines s’effondrent fréquemment, enterrant les gens sous terre. Nul ne connaît le chiffre exact, mais l’UNICEF estime que 40 000 enfants travaillent dans les mines du sud de la RDC d’où est extrait le cobalt.   En s’appuyant sur des documents d’entreprises, nos investigations sur l’approvisionnement en cobalt ont permis de retracer le parcours de ce minerai depuis les mines en RDC jusqu’aux centres de négoce et fonderies chinoises, puis aux producteurs de composants de batteries en Chine et en Corée du Sud, jusqu’aux fabricants de batteries qui fournissent la plupart des grands constructeurs mondiaux de véhicules électriques.   Alors, que doivent faire ces entreprises ?   En 2012, l’Organisation pour la coopération économique et le développement (OCDE) a fixé des lignes directrices claires destinées aux entreprises qui se procurent du cobalt et d’autres minerais extraits dans des zones à haut risque comme la RDC. D’après ces lignes directrices, les constructeurs de voitures électriques et les fabricants de batteries devraient être en mesure d’indiquer l’identité de leurs fonderies et raffineries, et de révéler publiquement leur propre évaluation du respect par la fonderie des pratiques de diligence requise concernant l’identification et l’élimination des risques et des abus en matière de droits humains. Nous avons contacté la plupart des grandes entreprises et pas un seul constructeur automobile n’a déclaré l’avoir fait.   C’est sans doute parce que le cobalt n’est pas intégré dans les règles restrictives relatives aux « minerais provenant de zones de conflit » adoptées aux États-Unis en 2010 et dans l’Union européenne en 2017. Il échappe donc à toute réglementation stricte. Toutefois, rien ne saurait excuser le fait que des entreprises parmi les plus prospères du monde ne s’acquittent pas de leur devoir de diligence.   Depuis la publication de notre rapport en 2016, on note des progrès. Plusieurs entreprises – dont des sociétés chinoises – ont mis sur pied l’Initiative pour un cobalt responsable (Responsible Cobalt Initiative), dans le but d’aider l’industrie à respecter la diligence requise conformément aux normes de l’OCDE et à s’attaquer à la question du travail des enfants en RDC. Parmi ces entreprises citons des sociétés de haute technologie de premier plan comme Apple, HP, Huawei et Sony, ainsi que Samsung SDI, fabricant de batterie, et Huayou Cobalt, fondeur/raffineur, dont la filiale achète du cobalt provenant de mines artisanales. On ne compte pour l’instant aucun constructeur automobile parmi ses membres.   En RDC, le gouvernement a annoncé qu’il prendrait des mesures afin d’éliminer le travail des enfants dans ses mines d’ici 2025 et a demandé l’aide de la communauté internationale pour y parvenir.   L’industrie de la voiture électrique doit comprendre qu’il lui faut privilégier la transparence concernant les risques d’atteintes aux droits humains dans les chaînes d’approvisionnement. De nombreux cadres de différentes marques internationales m’ont confié à quel point il est difficile de cartographier la chaîne d’approvisionnement pour le cobalt.   À n’en pas douter, une entreprise responsable, sachant qu’il existe un risque que des enfants travaillent, devrait faire tout son possible pour arriver à savoir qui sont ses fournisseurs et dans quelles conditions ses composants sont produits. En 2017, Apple a ouvert la voie en publiant les noms de ses fournisseurs de cobalt – ce qui prouve que c’est possible. Quel sera le premier constructeur automobile à lui emboîter le pas ?   L’autre volet de la réponse des entreprises porte sur leur souhait de cesser totalement de se fournir auprès de mines artisanales en RDC. Cependant, cela risque d’avoir un impact négatif sur des communautés déjà pauvres qui dépendent de cette activité. Les entreprises qui ont tiré profit du travail des enfants ne doivent pas se contenter de se détourner du problème maintenant qu’il a été dévoilé. La solution réside dans la règlementation de ces mines artisanales, afin de garantir que ce sont des lieux de travail sûrs et que les enfants seront désormais scolarisés.   Les gouvernements de par le monde doivent adopter des lois contraignant les entreprises à mener des vérifications et à révéler publiquement les informations relatives au lieu d’origine des minerais qu’elles achètent. Les démarches volontaires des entreprises ne suffisent pas.   Cela ne doit pas être un choix entre deux maux. Il nous faut éliminer les combustibles fossiles, tandis que les voitures électriques sont indissociables d’un avenir plus écologique. Alors que les constructeurs de voitures électriques se hissent en première ligne du marché, ils doivent radicalement améliorer leurs pratiques et prendre des mesures pour que leur rôle dans la révolution énergétique soit transparent et équitable. Un avenir vert bâti aux dépens d’enfants exploités en RDC ne constituerait pas un progrès.

Mark Dummett, chargé de recherches sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International