L’heure tourne à Pékin. Dans quelques jours, de hauts responsables du Parti communiste chinois décideront s’ils ordonnent la libération ou l’arrestation officielle de 14 avocats et militants, injustement placés en détention secrète dans le cadre de la répression sans précédent lancée contre les défenseurs des droits humains et leurs associés en juillet 2015.
Ces 14 personnes sont détenues dans le cadre d’une forme de détention secrète, le « placement en résidence surveillée dans un lieu déterminé », qui permet à la police de détenir des suspects pendant six mois en dehors du système.
Cette échéance de six mois est un moment critique pour la justice en Chine. Les autorités peuvent reconnaître leur erreur et libérer sans condition ces 14 personnes, ou continuer de se servir de la loi comme arme de prédilection pour réduire au silence les « fauteurs de troubles ».
Cette décision est d’ordre politique, ce qui en dit long sur l’état actuel du système judiciaire chinois.
En libérant sans condition ces 14 personnes, les autorités feraient montre de leur volonté de désamorcer leur offensive contre la communauté juridique. Cette décision, marquante dans une culture politique qui admet rarement ses erreurs, serait juste. S’il s’abstient, le gouvernement ôtera toute crédibilité à ses discours sur le fait qu’il gère le pays « dans le respect de la loi ».
Le principal grief porté contre les avocats et les militants est que leur travail représente une menace pour l’« ordre social ». Dans le cas extrême, ces 14 personnes risquent d’être condamnées chacune à 15 ans de prison pour mise en danger de la sécurité nationale.
Les médias officiels sont allés jusqu’à qualifier Fengrui, cabinet d’avocats de Pékin, de « bande criminelle majeure ». Six de ses membres, dont l’avocate Wang Yu, sont toujours en détention secrète.
Il n’est aucunement criminel de s’appuyer sur la loi pour défendre les droits des citoyens chinois. Les avocats, en collaboration avec des militants et des pétitionnaires, font pression sur les autorités dans des affaires impliquant des allégations de recours excessif à la force lors de fusillades meurtrières de la police et d’expulsions forcées, en matière de liberté religieuse et de défense des droits des citoyens qui se rassemblent pour rendre hommage aux victimes de la répression sanglante de la place Tiananmen en 1989.
Leur travail ne fait que renforcer la justice chinoise, tandis que leur persécution la fragilise.
Si le gouvernement se range aux arguments selon lesquels les avocats et les militants troublent l’ordre social en manifestant et en menant des actions en ligne, reste un problème de taille : la Chine ira alors à l’encontre du droit international relatif aux droits humains et des normes en la matière.
Primo, le droit international protège le droit de participer à des rassemblements pacifiques et de partager des opinions sur les réseaux sociaux. Le droit de réunion pacifique est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ; la Chine l’a signé et a à plusieurs reprises exprimé son intention de le ratifier.
Secundo, l’article 19 de la DUDH dispose : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. » Le PIDCP garantit également le droit à la liberté d’expression. Toute exception à cette règle doit respecter des critères stricts.
Tertio, cette répression va à l’encontre du rôle des avocats tel qu’il est défini par le droit international. Les avocats ne devraient pas être poursuivis ni sanctionnés pour avoir fait leur travail dans le respect de leurs obligations professionnelles, des normes et de l’éthique.
L’enquête pénale diligentée par les autorités chinoises contre les avocats est en partie motivée par le fait qu’ils travaillent sur des « affaires sensibles » – euphémisme pour désigner les affaires que le gouvernement n’apprécie guère.
Enfin, il serait absurde que les autorités maintiennent les accusations de « mise en danger de la sécurité nationale » contre les avocats, simplement parce qu’ils défendent les droits humains. Les gouvernements ont tendance à se servir de la sécurité nationale comme prétexte pour museler tout débat légitime et protéger les détenteurs du pouvoir contre tout embarras politique.
Les avocats défenseurs des droits humains ne sont pas une menace pour la sécurité nationale. Ils ont simplement travaillé sur de nombreux dossiers exposant les méfaits et les atteintes aux droits humains imputables au gouvernement – précisément le type de travail que protègent le droit international et les normes internationales.
Les propres réformes de Xi Jinping sont-elles compromises ?
Le président Xi Jinping s’est engagé dans une large mesure à promouvoir sur le long terme « la gouvernance de la nation dans le respect de la loi ». Il a même affirmé qu’une seule affaire mal jugée pouvait détruire l’image positive fondée sur 99 affaires jugées de manière équitable.
Qu’en est-il de la persécution des avocats ? Si une seule erreur judiciaire ternit l’image positive façonnée par 99 affaires jugées équitablement, persécuter de nombreux membres de la communauté juridique met en lambeaux l’image de la Chine sur la scène internationale. Pourtant, les autorités semblent se satisfaire de ne pas respecter la procédure légale dans les affaires jugées « sensibles ».
Le sort des 14 avocats dans les prochains jours est un test pour la justice en Chine et aura de lourdes conséquences pour le développement légal du pays. La question demeure : le gouvernement aura-t-il la sagesse et le courage d’inverser la tendance et d’insuffler la confiance dans le système judiciaire chinois ?