Victor Nyamori
Cela fait un an que le projet du gouvernement kenyan de fermer le camp de réfugiés de Dadaab est bloqué. La Haute Cour a jugé que cette décision était contraire à la Constitution et a ordonné au gouvernement de continuer d’accorder l’asile aux nouveaux réfugiés. Mais tous ceux qui pensaient que cet arrêt marquerait la fin des souffrances endurées par les réfugiés somaliens sont amèrement déçus, car ils savent à présent qu’il n’en est rien.
Le gouvernement n’a pas ouvertement rejeté cet arrêt, mais il n’en a tenu aucun compte, refusant notamment d’enregistrer ces réfugiés et de leur donner les documents d’identité dont ils ont absolument besoin.
Ahmed (ce n’est pas son vrai nom), père de cinq enfants, n’a eu d’autre choix que de quitter son village situé dans la région de Bay, dans le sud-ouest du pays, où sévit une très grave sécheresse. Quand il a vu son âne mourir à cause du manque d’eau, il a su qu’il devait fuir avec ses proches pour échapper à la mort. Il était déterminé à trouver un endroit où sa femme et ses enfants ne souffriraient plus de la sécheresse et seraient aussi à l’abri du conflit armé en raison duquel quelque 5,4 millions de Somaliens – environ la moitié de la population du pays – ont besoin d’une protection et d’une aide humanitaire.
Ahmed a songé à descendre vers le sud pour rejoindre la capitale, Mogadiscio, où se sont installées la plupart des organisations humanitaires, mais il a craint de devoir passer des points de contrôle d’Al Shabaab et de voir son fils de 17 ans enrôlé par ce groupe. Il a finalement décidé de se diriger vers l’ouest pour gagner le camp de réfugiés de Dadaab, au Kenya.
Ahmed n’est pas seul à se trouver dans une telle situation. Selon le HCR, fin novembre 2017, on dénombrait près de 5 400 Somaliens sans documents d’enregistrement à Dadaab ; certains d’entre eux avaient été renvoyés en Somalie mais étaient revenus. Des ONG locales estiment que ce chiffre est en dessous de la réalité. Une ONG kenyane qui observe les passages de la frontière entre la Somalie et le Kenya a signalé que plus de 24 000 personnes venant de Somalie l’ont franchie en 2017, la plupart d’entre elles ayant expliqué que c’était l’insécurité généralisée et la sécheresse qui les avaient poussées à cela.
Les réfugiés qui n’ont pas été enregistrés n’ont pas accès aux biens et services offerts par les organismes caritatifs, notamment à la nourriture, à un abri et à des soins médicaux. En conséquence, ils sont contraints de demander l’aumône à ceux qui ont été enregistrés, et qui sont eux-mêmes très démunis, en particulier depuis que le Programme alimentaire mondial a réduit les rations en octobre.
Les réfugiés qui n’ont pas reçu de documents d’identité vivent constamment dans la peur d’être arrêtés et renvoyés en Somalie. Ainsi, en janvier, une ONG locale offrant aux réfugiés une assistance juridique a indiqué que 31 Somaliens, parmi lesquels se trouvaient des enfants, ont été arrêtés à Garissa, dans le nord-est du Kenya, et inculpés d’entrée illégale sur le territoire kenyan. Cette infraction est punie d’une peine de trois mois d’emprisonnement, à moins que les mis en cause ne paient une amende allant de 100 à 1 000 dollars, somme dont la plupart des réfugiés ne disposent pas.
Sans documents d’enregistrement, les enfants qui ont voyagé seuls ou qui ont été séparés de leurs proches pendant leur difficile périple entre la Somalie et le Kenya risquent davantage d’être soumis à l’exploitation, au travail des enfants ou à un mariage précoce.
Il devient de plus en plus évident que le Secrétariat chargé des réfugiés, qui a pour tâche d’enregistrer les réfugiés, se préoccupe uniquement de réduire le nombre de réfugiés présents à Dadaab. Il n’enregistre pas les nouveaux arrivants et a réduit ses activités dans le camp, ce qui est totalement contraire à la décision de justice rendue l’an dernier.
Les autorités kenyanes violent leurs propres lois, notamment la Loi de 2006 relative aux réfugiés, et ne respectent pas l’engagement qu’elles ont pris lors du sommet du groupement de l’IGAD, en mars 2017, de continuer d’accorder l’asile aux Somaliens.
Le Kenya est en outre tenu, au titre du droit international, de protéger les réfugiés. Le pays est signataire de la Convention de l’ONU de 1951 relative au statut des réfugiés et de son Protocole facultatif de 1967, ainsi que de la Convention de l’OUA de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, qui l’obligent tous à accorder l’asile aux personnes qui en ont besoin.
Il est grand temps que le gouvernement kenyan cesse de mépriser les droits humains. Il doit commencer par respecter ses obligations à l’égard des réfugiés et respecter les décisions de justice protégeant leurs droits. Personne ne choisit de devenir réfugié/e. Nous voulons tous vivre dans la paix et la dignité dans notre propre pays, et si cela n’est pas possible, être traités avec humanité et respect.
Victor Nyamori est coordinateur régional pour les questions relatives aux réfugiés au bureau régional d’Amnesty International en Afrique de l’Est.