Kenya. Des États parties ont failli compromettre l’indépendance de la CPI

La campagne d’ingérence politique orchestrée par le gouvernement kenyan face à l’indépendance judiciaire de la Cour pénale internationale (CPI), lors de l’Assemblée des États parties il y a quelques jours, montre jusqu’où ce pays est prêt à aller pour priver de justice les victimes de crimes commis lors des violences consécutives aux élections de 2008, a déclaré Amnesty International vendredi 27 novembre.   

En menaçant de se retirer de la CPI, le Kenya a tenté de faire du chantage à l’Assemblée des États parties, l’organe de surveillance de la Cour, afin qu’elle accède à des demandes qui menaceraient le déroulement du procès de William Samoei Ruto, le vice-président du pays. Si la tentative a échoué, le fait que l’Assemblée ait été si près de céder aux menaces du Kenya doit alerter.

« Il est déplorable que cette initiative ait eu pour but la protection d’une seule personne – l’actuel vice-président kenyan. La tentative du Kenya de s’immiscer dans des affaires portées devant la CPI est choquante », a déclaré Netsanet Belay, directeur de la recherche régionale et des actions de plaidoyer pour l’Afrique à Amnesty International. 

« Les États parties à la CPI doivent défendre l’indépendance de la Cour. Aucun État partie ne devrait pouvoir brandir la menace d’un départ de la CPI dans le but de fragiliser l’indépendance de la Cour ou de chercher à influer sur le déroulement d’un procès particulier. »

Le vice-président Ruto est actuellement poursuivi pour crimes contre l’humanité ; il est notamment accusé d’être pénalement responsable de meurtres, d’expulsions ou de transferts forcés de population, et de persécution.    Lors de la réunion de l’Assemblée des États parties, le gouvernement kenyan a pesé de tout son poids diplomatique afin d’attaquer l’indépendance de la CPI. Ses agissements visaient à mettre en péril le procès de son vice-président, en utilisant l’Assemblée des États parties pour faire pression sur les juges quant à l’interprétation de la règle 68, sur l’admissibilité de témoignages enregistrés avant que les témoins ne se rétractent.   

Les manœuvres du gouvernement kenyan se sont heurtées au refus de la majorité des États parties. Si l’Assemblée a quelque peu fléchi face aux demandes du Kenya, en enregistrant la position de celui-ci sur l’utilisation de la règle 68 dans un rapport relatif à la procédure, elle n’est pas allée jusqu’à dire directement aux juges comment interpréter cette règle.   

« Un tel résultat aurait représenté un degré d’ingérence inacceptable dans les affaires de la Cour, mais les États parties ont heureusement montré que préserver l’indépendance de la CPI était plus important que céder aux exigences scandaleuses du gouvernement kenyan », a déclaré Netsanet Belay. 

Amnesty International estime que l’Assemblée doit continuer à se tenir sur ses gardes, face à la volonté de battre en brèche l’indépendance de la Cour. Si le pire a été évité lors de cette session, les États sont passés tout près de l’établissement d’un précédent qui aurait permis une ingérence politique dans le fonctionnement de la Cour. Amnesty International pense cependant que les juges seront en mesure de résister aux tentatives réelles ou perçues d’ingérence dans leur travail.

« Le manquement des autorités kenyanes à leur devoir consistant à garantir justice, vérité et réparations aux victimes des crimes commis au lendemain des élections illustre la nécessité pour le Kenya de rester un État partie au Statut de Rome, placé sous la juridiction de la CPI », a déclaré Netsanet Belay.

Complément d’information

Environ 1 100 personnes ont été tuées dans le cadre des violences postélectorales, et quelque 600 000 autres ont été forcées à fuir leur domicile. Beaucoup de blessés ou de proches de personnes tuées n’ont toujours pas obtenu justice ni des réparations. Parallèlement, la majorité des responsables présumés n’ont toujours pas été poursuivis.   

Les charges retenues contre Uhuru Kenyatta, l’actuel président, ont été abandonnées en décembre 2014 après que le parquet a indiqué que le gouvernement kenyan a refusé de soumettre des éléments de preuve cruciaux dans l’affaire, et que des témoins ont été soudoyés ou menacés. 

Le procès de William Samoei Ruto, le vice-président actuel, et de Joshua Sang se poursuit. Tous deux sont inculpés de crimes contre l’humanité ; ils sont notamment accusés d’être pénalement responsables de meurtres, d’expulsions ou de transferts forcés de population, et de persécution.