En Afghanistan, les journalistes sont en butte aux menaces, aux actes d’intimidation et à la violence simplement parce qu’ils font leur travail, a déclaré Amnesty International à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, occasion de rendre hommage aux 10 journalistes afghans tués dans de terribles attentats cette semaine.
Dans un contexte de violences soutenues, le double attentat à Kaboul et la fusillade à Khost ont fait du 30 avril la journée la plus meurtrière pour les journalistes depuis que le conflit a éclaté en Afghanistan en 2001. Les attentats de Kaboul ont fait 29 morts et 45 blessés.
« Les journalistes afghans font preuve d’un courage exceptionnel. Travaillant dans des conditions extrêmement difficiles, ils subissent menaces, intimidations et violences simplement parce qu’ils font leur travail. Alors que l’attention du monde s’est peu à peu détournée de ce pays, et que travailler comme journaliste signifie risquer sa vie en permanence, ils continuent de se battre contre l’injustice et de donner la parole aux victimes », a déclaré Omar Waraich, directeur adjoint pour l’Asie du Sud à Amnesty International.
Neuf des journalistes tués avaient accouru sur le site pour couvrir le premier attentat à Kaboul, à l’heure de pointe. Un second kamikaze, se faisant passer pour un journaliste grâce à une fausse carte de presse, s’est frayé un chemin vers la foule des journalistes avant de déclencher son engin explosif. Les survivants ont posé leurs caméras et leur équipement pour venir en aide aux victimes autour d’eux.
« Le second assaillant a délibérément cherché à tuer des journalistes, une fois que le premier les avait attirés sur les lieux. Quelques instants seulement après avoir attaqué un groupe de civils, ils s’en sont pris à un autre, commettant de multiples crimes de guerre au même endroit », a déclaré Omar Waraich.
Les journalistes en Afghanistan venaient tout juste d’être informés de la tragédie de Kaboul, qui a coûté la vie à certains de leurs éminents collègues, lorsqu’ils ont appris qu’Ahmad Shah, correspondant pour la BBC afghane, avait été abattu dans la province de Khost, près de la frontière avec le Pakistan.
Selon le Comité de sécurité des journalistes afghans, depuis 2001, au moins 80 professionnels des médias ont perdu la vie dans l’exercice de leur profession en Afghanistan.
Des journalistes tués
Parmi les 10 journalistes tués figurait Shah Marai, photographe légendaire de l’AFP, qui avait su capturer avec force les suites tragiques de plusieurs attentats en Afghanistan. Celui-ci lui a coûté la vie. Il était père de six enfants, le plus jeune étant une petite fille née il y a tout juste 15 jours.
Yar Mohammad Tokhi travaillait pour TOLO TV, une chaîne de télévision afghane farouchement indépendante, qui avait déjà perdu des collaborateurs, notamment lors d’un attentat de 2016, dans lequel sept employés avaient été tués et 26 autres blessés. Lorsque les proches de Yar Mohammad Tokhi l’ont accompagné pour qu’il repose en paix, ils ont découvert sur lui une alliance tâchée de sang. Il devait se marier le mois prochain.
Mahram Durani, productrice et présentatrice à la radio Salam Watandar, faisait partie de la génération montante des femmes journalistes en Afghanistan. Ebadullah Hananzai était aussi journaliste radio, pour Radio Azadi. Ghazi Rasooli était reporter à 1TV et Nowroz Ali Rajabi cameraman pour le même média. Saleem Talash était reporter et Ali Saleemi cameraman à Mashal TV. Sabawoon Kakar était journaliste à Radio Azadi.
Des victimes civiles
Les homicides du 30 avril s’inscrivent dans une vague d’attaques incessantes contre les civils en Afghanistan. Une semaine auparavant, 60 personnes ont été tuées alors qu’elles attendaient devant un centre d’enregistrement des électeurs à Kaboul.
Depuis quatre ans, chaque année, plus de 10 000 personnes sont tuées ou blessées lors d’attentats en Afghanistan, selon la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA). Ces attentats se déroulent partout dans le pays, la capitale Kaboul étant la plus durement touchée.
Certains constituent des crimes de guerre éhontés : les talibans ont par exemple revendiqué un attentat qui a fait plus de 100 morts et au moins 235 blessés le 25 janvier 2018, une ambulance chargée d’explosifs ayant frappé Chicken Street, quartier commerçant très animé de Kaboul.
Les civils sont également victimes d’attaques menées par les forces gouvernementales. Le 2 avril, une frappe militaire afghane a tué au moins 70 personnes et en a blessé 30 autres, lorsqu’elle a touché une mosquée dans la province de Kunduz, dans le nord du pays.
Dans le même temps, les Afghans continuent d’être renvoyés de force dans leur pays, en violation du principe de non-refoulement : au titre du droit international, nul ne peut être renvoyé dans un pays où il risque de subir de graves violations des droits humains.
Les États européens continuent de renvoyer de force des milliers d’Afghans vers le danger. La semaine dernière, la Turquie s’est vantée d’avoir atteint son objectif de 10 000 expulsions vers l’Afghanistan, et ce en quelques semaines.
« Nul ne peut affirmer de manière crédible que l’Afghanistan est un pays sûr. Et pourtant, les gouvernements européen, turc, iranien et pakistanais continuent de procéder au renvoi forcé d’Afghans, tournant le dos à la souffrance de ce pays, tout en exposant des civils au danger », a déclaré Omar Waraich.