Journée mondiale de la liberté de la presse. Ne tirez pas sur le messager.

Lorsque 12 personnes travaillant pour l’hebdomadaire satirique Charlie Hedbo ont été abattues dans leurs bureaux au centre de Paris le 7 janvier, le monde a pris conscience d’une sinistre réalité, celle des menaces auxquelles sont confrontés des milliers de professionnels des médias chaque jour.

Les campagnes mondiales de soutien au travail de ce magazine ont relayé un message sans équivoque : personne ne doit payer de sa vie le fait d’exercer son droit à la liberté d’expression.

Derrière cet événement qui a fait la une des journaux du monde entier se cachent des milliers de professionnels des médias qui, dans chaque recoin de la planète, sont harcelés, intimidés, menacés, torturés et incarcérés de manière inique, par des gouvernements et des groupes armés qui veulent les empêcher de tendre un miroir à la société.

Dans des pays tels que le Mexique et le Pakistan, détenir une carte de presse est dangereux, à tel point que de nombreux journalistes finissent par la rendre, tout simplement par peur.

Selon Reporters sans frontières, 22 journalistes et professionnels des médias ont été tués et plus de 160 placés derrière les barreaux en 2015. En 2014, près de 100 professionnels des médias avaient été tués en raison de leur travail.

Ceux qui agressent et tuent des journalistes sont rarement poursuivis en justice.

« Où que l’on pose le regard dans le monde, il y a un journaliste qui est harcelé, menacé, emprisonné de manière inique et même tué par un gouvernement ou un groupe armé, en vue de l’empêcher de traiter de questions considérées comme sensibles, a déclaré Susanna Flood, directrice du programme Médias d’Amnesty International.

« De plus en plus, nous voyons des gouvernements ne plus tolérer la dissidence et être prêts à tout faire pour empêcher les journalistes de s’exprimer et d’informer la population. Leur message est en gros le suivant : " Si vous osez traiter de questions des droits humains, préparez-vous à passer du temps en prison ou à perdre la vie. " »

Tirer sur le messager

Au Pakistan, l’un des pays les plus dangereux du monde pour les journalistes, les professionnels des médias sont régulièrement victimes d’actes de harcèlement et d’intimidation, d’enlèvements, d’actes de torture et d’homicides, imputables aux militaires et aux services de renseignements, aux partis politiques et aux groupes armés.

Depuis 2008, on estime que 40 journalistes ont été tués, conséquence directe de leur travail d’enquête sur des sujets comme la sécurité nationale et les violations des droits humains.

À la connaissance d’Amnesty International, les tribunaux pakistanais ont rendu des verdicts de culpabilité dans deux affaires seulement, celle du journaliste du Wall Street Journal Daniel Pearl, tué en 2002, et celle du reporter Wali Khan Babar, correspondant de Geo TV, tué en 2014. 

Les attaques contre d’autres journalistes, comme Hamid Mir, correspondant de Geo TV, qui a échappé de justesse à une tentative d’assassinat à Karachi en 2014, sont demeurées impunies et les enquêtes sont au point mort.

Des accusations forgées de toutes pièces

Pour des milliers d’autres personnes qui travaillent dans les médias, la sanction prend la forme de lourdes peines de prison prononcées pour des accusations forgées de toutes pièces.

Mahmoud Abu Zeid, photojournaliste égyptien connu sous le nom de « Shawkan », est détenu depuis plus de 600 jours parce qu’il a pris des photos de la dispersion violente du sit-in de la place Rabaa al Adawiya en août 2013. Il n’a toujours pas été inculpé officiellement, et croupit actuellement dans une petite cellule de la tristement célèbre prison de Tora, au Caire.

« Je partage avec 12 prisonniers politiques une cellule qui mesure trois mètres sur quatre. Nous restons parfois plusieurs jours, voire plusieurs semaines, sans voir le soleil ni respirer l’air du dehors. Je suis un reporter photographe, pas un criminel. Psychologiquement, c’est insupportable d’être en détention illimitée. Même un animal ne survivrait pas dans ces conditions », a-t-il écrit récemment dans une lettre publiée par Amnesty International.

L’histoire de Shawkan est loin d’être unique. Depuis la chute du président Mohamed Morsi en juillet 2013, de nombreux journalistes ont été arrêtés ou condamnés en Égypte en raison de leur travail. Dix-huit croupissent toujours derrière les barreaux, sans grand espoir d’être libérés.

Tout comme en Égypte, de nombreux gouvernements à travers le monde se servent des cours de justice pour empêcher les journalistes de traiter de sujets relatifs aux droits humains ou sanctionner ceux qui osent le faire.

Au Mexique, le journaliste maya Pedro Canché Herrera est en prison depuis qu’il a été arrêté le 30 août 2014 pour le crime de sabotage, dans l’État de Quintana Roo. Il a été interpellé quelques jours après avoir publié des images d’une manifestation organisée par des habitants de la municipalité de Felipe Carrillo Puerto, devant les locaux de l’organisme local chargé de la gestion de l’eau, pour protester contre la hausse des tarifs et des taxes.

Raids, intimidation et harcèlement 

Les gouvernements se livrent également à des raids et à des actes d’intimidation et de harcèlement contre les journalistes, afin de les empêcher de couvrir des sujets qu’ils ne souhaitent pas voir révélés au public.

Fin décembre 2014, les autorités bosniaques ont effectué une descente dans les locaux du portail d’informations populaire klix.ba, et ont fait pression sur les journalistes pour qu’ils dévoilent leurs sources en lien avec un enregistrement audio qui avait fuité et dénonçait une affaire de corruption de haut niveau.

Les policiers ont confisqué des ordinateurs portables, 19 disques durs, et des téléphones portables personnels, et ont également détruit une partie du matériel, au cours d’une opération qui a duré sept heures. Un rédacteur en chef et un journaliste ont été emmenés pour interrogatoire, avant d’être libérés sans inculpation. Un examen judiciaire a plus tard établi que cette descente de police était illégale, car elle avait bafoué les droits constitutionnels des journalistes.

Témoins des conflits armés

De l’Irak à la République centrafricaine, de la Colombie à la Syrie en passant par le Nigeria, les journalistes sont en butte à des menaces et à des violences lorsqu’ils tentent de faire la lumière sur les atteintes aux droits humains que subissent des millions d’hommes, de femmes et d’enfants pris au piège de très violents conflits de par le monde.

Le journaliste Hamza Idris a été la cible d’intimidation aux mains des forces de sécurité nigérianes en raison de ses articles. En 2014, il avait critiqué l’incapacité des militaires à protéger efficacement les civils. Peu après, huit soldats ont fait irruption dans son bureau.

« Ils ont emmené le chef du bureau et un autre membre du personnel à la Division 7 du siège de la caserne de Maimalari. Bien qu’ils aient finalement été relâchés, c’était vraiment effrayant. Nous les journalistes sommes une cible pour tout le monde. »

Bien loin du Nigéria, en Colombie, des journalistes continuent d’être menacés et même tués pour avoir dénoncé les violations des droits humains et les exactions commises dans le cadre du conflit armé qui ravage depuis longtemps le pays, et les liens de corruption que certains représentants de l’État entretiennent avec des groupes armés illégaux et le crime organisé.

Selon la Fondation colombienne pour la liberté de la presse (FLIP), 26 journalistes ont été menacés et au moins un a été tué depuis le début de l’année 2015.

Le 21 janvier, les noms de cinq journalistes, ainsi que de nombreux défenseurs des droits humains qui viennent en aide aux victimes de déplacements forcés et de confiscation de terres, ont été inscrits sur un tract de menace de mort signée par le groupe paramilitaire Autodefensas Gaitanistas de Colombia. Les personnes visées par cette menace de mort ont été qualifiées de collaborateurs de la guérilla.

L’Irak est également un pays extrêmement dangereux pour les journalistes. Le chef du bureau de Reuters à Bagdad, Ned Parker, a dû quitter le pays en avril après avoir été menacé sur les réseaux sociaux et sur une chaîne de télévision appartenant à une milice chiite. Il avait auparavant fait un reportage sur les atteintes aux droits humains commises par les forces gouvernementales et les milices chiites lors de la libération de Tikrit, alors aux mains de l’État islamique (EI).

« Le journalisme n’est pas un crime. Les professionnels des médias sont les yeux et les oreilles d’une société. Les gouvernements ont la responsabilité de veiller à ce qu’ils puissent rendre compte librement de sujets relatifs aux droits humains, sans craindre d’être agressés ni tués lorsqu’ils font leur travail légitime. Ils ont la responsabilité de traduire en justice les responsables de ces violences. Ils doivent de toute urgence prendre leurs responsabilités au sérieux », a déclaré Susanna Flood.