Différentes unités des forces de sécurité ont chargé les manifestants dans la ville irakienne de Nassiriya au cours de la nuit et jusqu’au matin du 28 novembre, tuant au moins 25 manifestants et en blessant de nombreux autres, a confirmé Amnesty International après avoir interrogé des témoins et vérifié une dizaine de vidéos et d’images de la scène.
Amnesty International exhorte les autorités irakiennes à maîtriser les forces de sécurité, après avoir reçu des informations faisant état de tirs à balles réelles contre les manifestants à Nassiriya, dans l’après-midi du 28 novembre.
Le Service de vérification numérique d’Amnesty International a vérifié des images montrant des soldats en train de charger, tout en tirant sur les manifestants avec, d’après le son, des armes automatiques, près du pont al Zaitoon. Sur de multiples vidéos authentifiées, on peut voir les manifestants fuir les tirs en courant ou hurler de peur et d’angoisse, et s’occuper des morts et des blessés.
« Les scènes qui se sont déroulées à Nassiriya ce matin ressemblent davantage à des scènes de guerre qu’à des manifestations sur les ponts et dans les rues d’une ville. Cette violente offensive s’inscrit dans le cadre d’une série d’événements meurtriers au cours desquels les forces de sécurité irakiennes ont infligé des violences effroyables à des manifestants majoritairement pacifiques, a déclaré Lynn Maalouf, directrice des recherches pour le Moyen-Orient à Amnesty International.
« Avec plus de 300 manifestants morts en Irak depuis le 1er octobre et des milliers d’autres blessés ou arrêtés, il est temps que ce bain de sang prenne fin. La communauté internationale doit le dénoncer haut et fort et faire pression sur l’Irak pour qu’il maîtrise ses forces de sécurité et mène des investigations efficaces et impartiales en vue de traduire en justice les responsables présumés des homicides illégaux et des graves violations des droits humains. »
Au moins 25 manifestants ont été tués et de nombreux autres blessés au cours de cette nuit de violences à Nassiriya, selon une source crédible qui a accepté de s’entretenir avec Amnesty International sous couvert d’anonymat.
Un témoin a déclaré que les manifestants défilaient pacifiquement dans les quartiers autour des ponts al Nasr et al Zaitoon lorsque, vers 3 heures du matin, heure locale, des membres de groupes d’intervention, de la police antiémeutes et d’autres forces de sécurité sont arrivés près des ponts avec un bulldozer pour forcer la barricade des manifestants. Il a décrit les violences qui s’en sont suivies :
« Ils ont ouvert le feu sans discontinuer. Ils ont repris le pont en cinq minutes […] parce qu’ils n’arrêtaient pas de tirer et les gens s’enfuyaient. J’ai vu au moins cinq personnes mourir devant moi. Tous ceux qui étaient abattus étaient laissés derrière car les forces de sécurité frappaient tous ceux qu’ils attrapaient. Je les ai vus rouer de coups des manifestants, on aurait dit qu’ils voulaient les tuer. C’était une catastrophe.
« Nous avons couru vers des maisons pour nous réfugier à l’intérieur. Ils ont dit par haut-parleurs que si quelqu’un se cachait à l’intérieur, il ferait mieux de sortir ou ils commenceraient à tirer sur les maisons. Nous avons dû sortir. Ils tiraient toujours. Ils ont fini par rassembler et pourchasser les manifestants qui restaient en direction de la place al Habboobi, épicentre des rassemblements. C’était comme si toute la ville était sortie pour protéger les manifestants : les hommes, les femmes, les enfants. Tous dehors. Les tirs se sont poursuivis jusqu’à 7 heures du matin. D’autres personnes sont mortes près d’une zone appelée Tarbiya, non loin d’al Habboobi. »
Cet homme a ajouté que les habitants, énervés par les violences, ont jeté des pierres sur les forces de sécurité et mis le feu au siège local de la brigade d’intervention d’urgence de la police fédérale.
Un autre témoin a raconté qu’il s’est rendu dans la zone près des ponts peu après 3 heures du matin pour diffuser en direct les manifestations. Il a également parlé de diverses forces de sécurité déployant et tirant de grandes quantités de gaz lacrymogènes et de balles réelles, visiblement pour tuer plutôt que disperser les manifestants :
« Ils tiraient directement sur les manifestants et aussi sur le sol. Les gens étaient touchés à la poitrine et au cou. La plupart sont blessés au niveau de la tête, de la poitrine, du cou […] D’après certains, il y avait des snipers. C’est comme une exécution, un tir direct à la tête […] Nous nous occupions des blessés et des morts, la rue était maculée de sang. »
Des habitants du secteur ont déclaré que les manifestants s’étaient rassemblés dans le quartier des ponts al Nasr et al Zaitoon depuis le week-end dernier. Le 23 novembre, la police antiémeutes avait tiré sur les manifestants, faisant deux morts et 15 blessés. Depuis, la situation s’était largement calmée, jusqu’à ce 28 novembre.
« Ces pratiques sont devenues bien trop courantes en Irak, où les forces de sécurité tuent et blessent illégalement des manifestants et déploient tout un arsenal de méthodes insidieuses pour intimider et interpeller les personnes impliquées ou qui tentent d’apporter une aide, a déclaré Lynn Maalouf.
« Ce sont de graves violations des droits fondamentaux à la vie, à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression. Les autorités irakiennes doivent changer de cap sans attendre. »
Selon l’ONG Netblocks, la connexion à Internet à Nassiriya était très faible vers 5h30 du matin, ce qui coïncide avec la violente manœuvre des forces de sécurité.
Complément d’information Le 1er octobre 2019, des manifestations ont éclaté sur tout le territoire irakien contre le chômage, la corruption et la mauvaise qualité des services publics. Elles ont duré deux semaines. Elles ont repris dans la soirée du 24 octobre à Bagdad et dans d’autres provinces irakiennes, notamment Karbala, Bassora, Babel et Diwaniya. Depuis le début des contestations, Amnesty International a recueilli des informations indiquant que les forces de sécurité ont recouru à la force excessive et, dans des dizaines de cas, meurtrière dans le but de disperser les manifestants, notamment à coups de grenades lacrymogènes de type militaire, de tirs à balles réelles et de tirs mortels de snipers. Elle a également constaté une violente campagne d’intimidations et d’attaques contre les militants à Bagdad, notamment sous la forme de disparitions forcées. Récemment, elle a constaté la destruction d’équipements médicaux et de tentes à Bagdad, lorsque les forces de sécurité ont chargé les manifestants sur plusieurs ponts et rues près de la place Tahrir, dans le but de les évacuer de la zone. Amnesty International continue de recevoir des témoignages faisant état d’un recours excessif à la force pour disperser les manifestations et de nouveaux cas d’arrestations et d’intimidations visant des manifestants.