· Déni d’accès à l’asile et traitements dégradants · Le discours anti-réfugiés atteint son paroxysme à l’approche du référendum · Le Premier ministre Viktor Orbán lance un dangereux défi à l’UE
Des milliers de demandeurs et demandeuses d’asile – parmi lesquels des mineurs non accompagnés – sont victimes de violences, de renvois forcés illégaux (push-backs) et de placements illégaux en détention aux mains des autorités hongroises, dans le cadre d’un système clairement conçu pour être dissuasif, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport.
Ce document, intitulé Stranded hope: Hungary’s sustained attack on the rights of refugees and migrants, publié alors que se déroule une campagne toxique en relation avec un référendum sur les quotas de réfugiés, indique que des centaines de demandeurs et demandeuses d’asile attendent pendant des mois dans des conditions dégradantes. Beaucoup de ceux qui parviennent à entrer sur le territoire hongrois sont renvoyés en Serbie ou sont placés illégalement dans des centres de détention.
« Viktor Orbán, le Premier ministre, a remplacé l’état de droit par le règne de la peur. Ses tentatives visant à empêcher réfugiés et migrants d’atteindre la Hongrie sont accompagnées d’attaques systématiques de plus en plus choquantes contre ces personnes et les garanties internationales censées les protéger », a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe à Amnesty International.
« Les traitements déplorableset les procédures d’asile inextricables relèvent de manœuvres cyniques visant à dissuader les demandeurs et demandeuses d’asile de s’approcher des frontières hongroises, de plus en plus militarisées. Alors que se déroule une campagne référendaire toxique, le discours anti-réfugiés est à son paroxysme. »
Le rapport s’appuie sur des recherches effectuées en Serbie, en Hongrie et en Autriche, et des entretiens avec 143 personnes, dont la majorité sont des réfugié-e-s et des migrant-e-s. Leurs témoignages révèlent les conditions épouvantables auxquelles sont confrontés ceux et celles qui tentent d’entrer en Hongrie et de traverser ce pays, où les entrées irrégulières ont été érigées en infraction et le droit d’asile fait l’objet de restrictions extrêmes.
En septembre 2015, la Hongrie a achevé la construction d’une vaste clôture le long de sa frontière avec la Serbie (plus tard étendue à la Croatie) et a adopté une loi visant à accélérer le traitement des demandes d’asile. Des « zones de transit » – des conteneurs métalliques où se déroulent l’examen des demandes et où sont détenus les demandeurs d’asile admis – ont été ouvertes à hauteur de deux postes-frontières. En tout, seules 30 personnes par jour sont autorisées à entrer dans ces zones pour y demander l’asile, ce qui en laisse des centaines d’autres dans des conditions dégradantes, à la frontière ou dans des centres surpeuplés en Serbie. Lorsque des représentants d’Amnesty International se sont rendus à la frontière serbo-hongroise, plus de 600 personnes vivaient dans des camps de fortune, pour beaucoup d’entre elles depuis des mois.
Au camp de Horgoš, un demandeur d’asile dont la femme âgée a dû être portée pendant une grande partie du trajet depuis l’Afghanistan, a déclaré à Amnesty International : « Cela fait 22 jours que nous sommes ici et ce n’est pas demain la veille que nous allons franchir la frontière. » Un autre demandeur d’asile qui se trouvait dans le même camp depuis 18 jours a dit : « Nous fuyons la guerre, nous fuyons la douleur. Alors pourquoi les gens qui sont à la frontière nous traitent-ils comme des animaux ? »
La procédure officielle étant caractérisée par des restrictions extrêmes, certains demandeurs d’asile tentent de franchir la frontière hongroise de manière irrégulière. Une loi, adoptée en juin 2016, autorise le renvoi immédiat vers la Serbie des demandeurs d’asile retrouvés sur le territoire hongrois à moins de huit kilomètres de la frontière. Les personnes appréhendées sont renvoyées illégalement sans que leurs besoins de protection ni vulnérabilités particulières ne soient pris en considération. Depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi, les statistiques officielles indiquent que la pratique nouvelle du renvoi forcé illégal a en grande partie remplacé les procédures pénales officielles dans les cas d’entrées irrégulières sur le territoire.
Certaines des personnes dont Amnesty International a recueilli les propos ont affirmé qu’une force excessive a été employée lors de ces renvois, des demandeurs d’asile ayant été frappés, notamment à coups de pied, et poursuivis par des chiens.
Un demandeur d’asile a vu des policiers frapper un homme qu’ils avaient intercepté après qu’il a franchi la frontière. Un policier leur a dit : « On peut faire tout ce qu’on veut, si vous avez quelque chose à redire, personne ne vous écoutera. »
Un garçon de 17 ans non accompagné a expliqué avoir été intercepté en Hongrie par des policiers à 10 kilomètres de la frontière. « Un homme du groupe a pris un coup de pied dans le pied, et il a eu une fracture. » À l’intérieur des zones de transit, les hommes voyageant sans famille se trouvent souvent placés en détention illégale pour des périodes pouvant aller jusqu’à quatre semaines. La plupart de ces hommes voient leur demande d’asile déclarée irrecevable au motif qu’ils sont arrivés par la Serbie, un « pays tiers sûr ». Étant donné que la Serbie ne les récupère pas officiellement et ne leur propose pas d’accès à une procédure d’asile juste et individualisée, les personnes renvoyées de force depuis les zones de transit n’ont pas beaucoup d’autres solutions que d’emprunter un autre itinéraire pour se rendre dans l’UE. Les demandeurs d’asile qui traversent les « zones de transit » sans encombre sont emmenés dans des centres d’accueil fermés ou ouverts où les conditions sont très dures. Ces centres ne fournissent pas certains services de base, et proposent à peine une éducation et des activités pour les enfants ou des soins de santé. Amnesty International a par ailleurs recueilli des informations indiquant que certains mineurs non accompagnés sont logés avec des hommes adultes.
L’absence de traducteurs, ainsi que la longueur et la complexité de la procédure d’asile créent des obstacles souvent insurmontables. Les placements en détention sont monnaie courante et au moment où les recherches ont été effectuées, près de 60 % des 1 200 demandeurs et demandeuses d’asile enregistrés en Hongrie se trouvaient dans des centres de détention pour migrants. Un demandeur d’asile afghan a déclaré à Amnesty International : « Quand je suis arrivé, j’ai pensé, la Hongrie c’est l’Europe, peut-être que ça ira. Mais je me rends compte qu’on nous déteste ici. » Malgré des demandes répétées, Amnesty International n’a pas été autorisée à se rendre au centre de détention pour migrants de Kiskunhalas. L’organisation a toutefois rencontré plusieurs anciens détenus, qui ont fait état de passages à tabac et de menaces de violence par des policiers et des agents de sécurité sur place. Un demandeur d’asile afghan a déclaré à Amnesty International qu’à sa connaissance, une trentaine de personnes avaient reçu des coups lors des quatre mois qu’il a passés dans le centre. Un demandeur d’asile palestinien brutalisé à Kiskunhalas a dit : « Les policiers et agents de sécurité savent qu’il y a de nombreuses caméras, alors ils vous emmènent dans un coin échappant à la surveillance. »
En décembre 2015, l’ampleur des souffrances des personnes réfugiées et en quête d’asile aux frontières de la Hongrie et à l’intérieur du pays, ainsi que la mise à jour de la législation nationale sur l’asile ont donné lieu à l’ouverture par la Commission européenne d’une procédure d’infraction. Cette procédure n’a pas encore abouti.
« Au lieu d’être embarrassé par la révélation des atteintes flagrantes au droit international commises par la Hongrie, le Premier ministre Viktor Orbán les présente avec fierté comme un exemple à suivre par d’autres pays. Ne pas le contredire débouchera sur de nouvelles souffrances pour les personnes vulnérables fuyant le conflit », a déclaré John Dalhuisen.
« Les dirigeants européens doivent s’organiser, pas "s’Orbániser". Manquer à leur devoir consistant à condamner les atteintes de la Hongrie au droit communautaire fera le jeu des xénophobes et des populistes, et pourrait se solder par une grave menace structurelle à l’état de droit et au respect des droits humains. »