Tous les gouvernements doivent suspendre les transferts d’armes dont se servent les forces de sécurité égyptiennes pour disperser par la violence et au moyen d’une force meurtrière injustifiée les sit-ins et d’autres manifestations, a déclaré Amnesty International mardi 20 août.
L’organisation a analysé quelques livraisons à destination de l’Égypte effectuées ces dernières années. Le pays a reçu des dizaines de milliers d’armes classiques représentant plusieurs dizaines de millions de dollars. Parmi les États fournisseurs d’armes et de munitions similaires à celles utilisées lors de l’effusion de sang du 14 août figurent l’Allemagne, la Chine, Chypre, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Italie, la République tchèque, la Serbie, la Suisse et la Turquie.
Des armes à feu militaires, des fusils, des armes antiémeutes ainsi que les munitions et projectiles destinés à ces armes, des véhicules blindés et des hélicoptères militaires ont notamment été vendus.
« Des armes et des équipements livrés de manière irresponsable à l’Égypte par une poignée d’États sont utilisés pour exercer une force excessive et commettre des homicides illégaux, a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International.
« Il faut geler ces livraisons tant que des enquêtes exhaustives et impartiales n’auront pas été menées dans les meilleurs délais sur les violences perpétrées récemment (et sur des épisodes similaires qui ont eu lieu ces dernières années) et tant que les conclusions de ces enquêtes n’auront pas été rendues publiques. Comment un État peut-il continuer de livrer du matériel destiné à disperser des manifestations en connaissant parfaitement les méthodes employées par le passé par les forces de sécurité égyptiennes ?
« Il ne faut plus envoyer d’armes tant que les autorités égyptiennes n’auront pas prouvé que les forces de sécurité n’en feront pas un usage illégal », a-t-il conclu.
Des fusils, du gaz lacrymogène, des véhicules blindés et des bulldozers ont été utilisés par les forces de sécurité égyptiennes, y compris par des policiers antiémeutes et par des membres des forces spéciales du ministère de l’Intérieur, pour évacuer les camps dressés au Caire par des sympathisants du président égyptien déchu, Mohamed Morsi. Lundi 19 août, on dénombrait environ 900 victimes (des manifestants comme des passants). La veille, le ministère de l’Intérieur avait indiqué à Amnesty International que 69 membres des forces de sécurité avaient également perdu la vie. Lundi 19 août, 25 conscrits incorporés dans la police antiémeutes sont morts eux aussi lors d’une attaque armée qui a eu lieu dans le gouvernorat du Nord-Sinaï, où la situation est tendue.
« Trop, c’est trop. Combien de personnes doivent mourir à la suite de l’usage d’une force excessive par les forces de sécurité égyptiennes avant que le monde ne se réveille et ne cesse d’alimenter cette violence ?, a demandé Salil Shetty.
« La force meurtrière excessive et injustifiée dont nous avons été témoins cette semaine relève d’une pratique bien établie mise en évidence depuis plusieurs années par Amnesty International. C’est la raison pour laquelle il faut de toute urgence mettre en œuvre le Traité mondial sur le commerce des armes, adopté il y a quelques mois. »
L’appel lancé par Amnesty International coïncide avec une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne (UE), qui doivent se rencontrer à Bruxelles pour examiner la situation en Égypte et s’entendre sur une position commune. L’organisation engage tous les États membres de l’UE à mettre pleinement en œuvre la Position commune existante de l’UE sur les exportations d’armes ainsi que les dispositions relatives aux droits humains du Traité sur le commerce des armes, qu’ils ont tous signé.
L’organisation demande également aux dirigeants du monde de s’opposer à l’exportation d’armes classiques lorsqu’il existe un risque important que celles-ci soient utilisées pour commettre de graves violations des droits humains, élément décisif inclus dans le Traité mondial sur le commerce des armes adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 2 avril 2013. Tous les États doivent signer et ratifier ce traité, et mettre en œuvre sans délai les dispositions relatives aux droits humains qu’il contient.
Complément d’information
Armes à feu et munitions
Parmi les armes à feu et les munitions employées par les forces de sécurité égyptiennes figurent des fusils d’assaut et des mitrailleuses, armes dont la vente n’est pas autorisée au grand public en Égypte.
Les pistolets, les fusils et les munitions correspondantes utilisés par les forces de sécurité font probablement partie de lots de centaines de milliers de pistolets et de fusils ou bien de cartouches se chiffrant à plusieurs centaines de milliers de dollars sur un seul mois. Ce type de livraisons est davantage caractéristique d’une commande passée par les gouvernements que d’une vente au grand public.
D’après les recherches effectuées par Amnesty International, ces dernières années, les pays ci-après ont livré à l’Égypte des armes similaires à celles employées lors des actions de répression actuelles :
La République tchèque a envoyé 15 062 pistolets à l’Égypte en mai 2013. Ceux-ci semblent faire partie d’un contrat annoncé ce mois-là par la société tchèque CZ pour la vente de 50 000 pistolets destinés à équiper la police égyptienne. On ne sait pas si les 34 438 pistolets restants ont été livrés ou non. La République tchèque a également exporté plus de 3 500 pistolets vers l’Égypte dans le cadre de deux livraisons effectuées en février et juillet 2012.
Les États-Unis ont indiqué avoir exporté 1 524 fusils militaires et mitrailleuses vers l’Égypte entre janvier 2011 et juin 2013. En janvier 2012, ils ont livré des « cartouches sans projectile » pour un montant supérieur à 10 millions de dollars, et des « éléments de cartouches » pour un montant d’un million de dollars deux mois plus tard. Il est probable que ces différents composants ont été transformés en munitions en Égypte.
Les États-Unis ont également effectué de grosses livraisons de fusils à pompe (soit 2 050 au total) vers l’Égypte en 2011 et 2012. En juillet 2012, ils ont livré des cartouches de fusil et de pistolet pour un montant de 169 479 dollars.
La Turquie a indiqué avoir exporté 14 406 pistolets vers l’Égypte en 2010. L’année suivante, le pays aurait effectué plusieurs transferts de cartouches de fusil pour un montant total de 336 047 dollars.
Entre octobre 2011 et mai 2013, l’Italie a indiqué avoir effectué plusieurs grosses livraisons de cartouches de fusil, pour un montant total de 562 231 euros. Elle aurait aussi envoyé 7 415 « pistolets et revolvers » en avril 2010, et effectué plusieurs grosses exportations représentant au total 1 607 fusils de chasse mono-canon de 2009 à 2011.
Entre 2011 et 2013, la Suisse a indiqué avoir exporté vers l’Égypte des munitions de petit calibre (pour pistolets, fusils et mitrailleuses) pour un montant total de 295 871 dollars.
Chypre a indiqué avoir exporté vers l’Égypte de gros volumes de cartouches de fusil, pour un montant total de 761 724 euros, entre octobre 2011 et décembre 2012.
D’après les chiffres officiels en Égypte, la Chine a fourni au pays des armes à feu militaires pour un montant de 100 831 dollars en 2010.
L’Allemagne a elle aussi indiqué avoir exporté en 2009 et 2010 1 130 pistolets ou revolvers par lots suffisamment volumineux pour être sources de préoccupation.
Enfin, l’Espagne n’a signalé qu’une seule livraison de cartouches de fusil (février 2013, 176 550 euros). La Corée du Sud a indiqué plusieurs livraisons de cartouches de fusil en 2012, pour un montant de 450 965 dollars.
Véhicules blindés et autres équipements militaires
En janvier 2013, la France a livré aux forces de sécurité égyptiennes 47 véhicules blindés Sherpa, qui sont venus s’ajouter au 20 véhicules similaires déjà exportés par le passé. On a pu voir un grand nombre de ces véhicules la semaine dernière, utilisés pour transporter des policiers et des militaires, et l’un d’entre eux a été poussé d’un pont par des manifestants.
Le 9 octobre 2011, plusieurs manifestants ont été tués au Caire lorsque des véhicules de transport de troupes égyptiens se sont élancés de façon irresponsable et à toute allure sur des manifestants, coptes pour la plupart, pour tenter de les disperser.
Parmi les blindés chenillés de transport de troupes utilisés lors des actions de répression figuraient de nombreux véhicules de type M-113 (norme OTAN). Les Pays-Bas ont par le passé livré 105 exemplaires de ce véhicule (AIFV), et les États-Unis plus de 250 dans le cadre de leur vaste programme d’aide militaire à l’Égypte.
Par ailleurs, la semaine dernière, les forces de sécurité égyptiennes ont utilisé un hélicoptère de combat militaire AH-64 Apache (construit par Boeing) pour survoler le Caire et faciliter ainsi le commandement des opérations. Elles ont aussi eu recours à des bulldozers Caterpillar D7R pour disperser des manifestations et démolir des barricades. Ces deux types d’engins sont fabriqués aux États-Unis.
Selon TransArms États-Unis et International Peace Information Service, deux groupes d’investigation, deux navires affrétés par l’armateur American President Lines (APL) ont accosté en janvier à Damietta, en Égypte. Ils étaient en provenance de ports des États-Unis.
Les groupes d’investigation se sont procurés six connaissements (documents utilisés pour le transport maritime de marchandises) de ces navires. D’après ces documents, ils transportaient notamment des pièces et des composants de véhicules tactiques et de soutien, des Humvee (HMMWV) militaires, des tanks et d’autres véhicules blindés, des hélicoptères et différents avions, des équipements électroniques et radars militaires, plusieurs types de missiles et plusieurs types de produits chimiques dangereux.
D’après des chiffres communiqués par le Département d’État des États-Unis, en 2011, le montant des ventes d’armes à l’Égypte autorisées par le gouvernement américain s’élevait à plus de 100 millions de dollars. Dans ces ventes figuraient quelque 73 000 éléments (d’une valeur de plus de 1,7 million de dollars) répertoriés comme « agents toxiques », catégorie incluant le gaz lacrymogène. Les États-Unis avaient livré à l’Égypte un volume similaire d’agents toxiques en 2010.
D’après les autorisations d’exportation d’armements de l’UE accordées en 2011, la France a procédé aux exportations suivantes vers l’Égypte : des composants électroniques pour un montant de 26,5 millions d’euros, du matériel de fabrication d’armes pour un montant de 25 millions d’euros, des avions militaires pour un montant de 23 millions d’euros, et des bombes, des roquettes et des missiles pour un montant de 21 millions d’euros. L’Espagne a autorisé la vente d’avions militaires pour 78,5 millions d’euros, et l’Allemagne a autorisé celle de véhicules terrestres militaires pour 57,3 millions d’euros, d’équipements électroniques pour 9 millions d’euros et de navires pour 6 millions d’euros.