Les autorités égyptiennes doivent veiller à ce que le président déchu Mohamed Morsi comparaisse lundi 4 novembre, et puisse immédiatement s’entretenir avec un avocat et bénéficier de l’ensemble des droits de la défense, a déclaré Amnesty International.
Accusés de meurtre et d’incitation à la violence, l’ancien président et 14 autres personnes, dont des membres du Parti de la liberté et de la justice, affilié au Frères musulmans, et d’autres groupes islamistes, doivent passer en jugement lundi 4 novembre.
Mohamed Morsi et plusieurs de ses collaborateurs sont essentiellement détenus au secret dans un lieu inconnu depuis le 3 juillet, dans des conditions comparables à une disparition forcée.
« Le procès du 4 novembre servira de révélateur pour les autorités égyptiennes. Elles doivent présenter Mohamed Morsi devant la justice et lui offrir une procédure équitable, notamment en respectant son droit de contester les éléments à charge qui seront produits. Tout échec sur ce plan jetterait encore davantage le doute sur les motivations sous-tendant ce procès », a souligné Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord.
« Mohamed Morsi n’a pas été autorisé à s’entretenir avec ses avocats pendant son interrogatoire ni durant l’enquête le concernant. Cela a considérablement restreint son droit à un procès équitable. Sa disparition forcée est également une grave violation des droits humains en soi et il convient d’y mettre immédiatement fin. Il doit être libéré ou bien transféré dans un lieu de détention reconnu et immédiatement autorisé à s’entretenir régulièrement avec sa famille et ses avocats. »
Des avocats représentant les Frères musulmans ont confié à Amnesty International qu’ils ne pensaient pas que Mohamed Morsi serait présent à cette audience.
« Le procès ne peut avoir lieu en l’absence de Mohamed Morsi. Tout accusé a le droit d’assister à son procès », a poursuivi Hassiba Hadj Sahraoui.
Les charges retenues contre Mohamed Morsi dans cette affaire sont en relation avec les affrontements violents ayant opposé ses sympathisants et ses opposants les 5 et 6 décembre 2012 devant le palais présidentiel d’Ittihadiya. Il est notamment inculpé de meurtre, de tentative de meurtre, de privation de liberté et de torture de civils, d’actes de violence et de menaces proférées contre des civils, ainsi que de diffusion de rumeurs nuisant au travail des institutions publiques.
Il doit également répondre d’autres accusations distinctes, comme celles d’avoir aidé des prisonniers – lui y compris – à s’échapper de la prison de Wadi Elnatroon durant la révolution de 2011 en Égypte avec l’assistance du mouvement palestinien du Hamas, d’avoir enlevé des membres des forces de sécurité et d’avoir insulté la justice égyptienne.
Mohamed Morsi et Asaad al Shikha, un conseiller présidentiel, ont été soumis à un interrogatoire par le procureur sans que leurs avocats ne soient présents. Les deux hommes n’ont pas été autorisés à s’entretenir avec un avocat et ne sont donc pas en mesure de véritablement contester la légalité ni les conditions de leur détention. Mohamed Morsi n’a pu contacter sa famille qu’une seule fois depuis son arrestation. Ses avocats ont expliqué à Amnesty International qu’il considère que ces charges, le collège de juges et le gouvernement actuel sont illégitimes.
Les avocats ont ajouté qu’ils n’avaient pas été autorisés à consulter l’intégralité de son dossier, long de 7 000 pages, avant le 30 octobre. Ils ont dû verser la forte somme de 15 000 livres égyptiennes (environ 1 600 euros) pour obtenir un exemplaire de celui-ci.
« Cela ne présage rien de bon quant à l’équité de ce procès », a souligné Hassiba Hadj Sahraoui. « Des obstacles inacceptables ont été dressés sur le chemin de la défense. Compte tenu du retard enregistré dans la remise du dossier, les avocats n’auront pas suffisamment de temps pour préparer leur défense, ce qui est contraire aux obligations de l’Égypte en matière de droits humains. »
Amnesty International craint par ailleurs que la justice ne soit affaiblie par des irrégularités de procédure observées dans le cadre du procès d’autres dirigeants des Frères musulmans.
Le procès de Mohamed Morsi, ainsi que de 14 autres personnes, dont Mohamed El Beltagy, politicien affilié aux Frères musulmans, se tiendra dans un immeuble annexé à la prison de Tora, l’Institut de la police de Tora. Les avocats ont expliqué à Amnesty International qu’ils sont opposés aux procès se déroulant dans les prisons car ils bafouent la présomption d’innocence. Ils sont par ailleurs susceptibles de porter atteinte au droit à un procès public.
De nombreux dirigeants des Frères musulmans ont été soumis à des interrogatoires en prison plutôt que dans le bureau du procureur ou dans l’enceinte du tribunal. Plusieurs procès de dirigeants des Frères musulmans et d’islamistes ont par ailleurs été reportés parce que le ministère de l’Intérieur s’est abstenu de présenter les accusés devant le tribunal pour des raisons de sécurité.
Le procès d’Hazem Salah Abu Ismail, un dirigeant salafiste, a été reporté à trois reprises parce qu’il n’avait pas été présenté devant le tribunal. Sa prochaine audience est programmée pour le 18 novembre 2013. Les procès de Mohamed Badie, le guide suprême des Frères musulmans, et de ses adjoints, Khairat Elshater et Rashad Bayoumy, ont également été reportés car ils n’ont pas comparu.
« Les accusés doivent pouvoir bénéficier d’un procès équitable dans un délai raisonnable ou être libérés. Il est inacceptable de constamment retarder le processus, car cela débouche sur des détentions prolongées », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.
Complément d’information
Violences à Ittihadiya
Lors des événements des 5 et 6 décembre 2012, des opposants à Mohamed Morsi ont pris part à un sit-in de grande ampleur devant le palais présidentiel afin de protester contre sa décision d’organiser un référendum sur le projet de constitution, adopté dans la précipitation par une assemblée dominée par les islamistes.
Des partisans des Frères musulmans ont ensuite répondu à un appel les engageant à se rassembler devant le palais dans le but d’empêcher que celui-ci ne soit envahi. La police n’a rien fait pour mettre un terme aux violences, tandis que des membres des deux camps jetaient des pierres et des cocktails Molotov. Des armes à feu ont également été utilisées. Ces heurts ont fait au moins 10 morts et des centaines de blessés.
Depuis le 3 juillet 2013, des centaines de sympathisants de Mohamed Morsi réclamant que celui-ci réintègre ses fonctions ont été tués lors d’affrontements avec les forces de sécurité. L’épisode le plus sanglant a eu lieu le 14 août quand les forces de sécurité ont dispersé le sit-in pro-Morsi de Rabaa al Adawiya ; quelque 486 personnes avaient alors perdu la vie. Pas un seul membre des forces de sécurité n’a été inculpé d’exécution illégale.