Manifestations pour la justice raciale suite à la mort de George Floyd lors d'un violent affrontement avec la police dans le Minnesota. Centre de Washington, DC, États-Unis, 3 juin 2020. © Amnesty International (Photo: Alli Jarrar)

Égypte. Il faut libérer les militants qui encourent des peines de prison pour avoir bravé la loi relative aux manifestations

Les autorités égyptiennes doivent libérer un groupe de militants jugés pour avoir défié la loi répressive relative aux manifestations, a déclaré Amnesty International à la veille du verdict attendu dimanche 26 octobre à l’issue de leur procès pour participation à une manifestation non autorisée.

La défenseure des droits humains Yara Sallam et la militante Sanaa Seif font partie du groupe de 22 personnes inculpées, entre autres charges fallacieuses, d’avoir pris part à une manifestation non autorisée visant à menacer l’« ordre public », alors que Yara Sallam n’a même pas participé à cette manifestation. S’ils sont reconnus coupables, les militants encourent jusqu’à cinq ans de prison.

« Ce procès-spectacle, fondé sur des preuves plus que douteuses, montre une nouvelle fois la détermination des autorités égyptiennes à écraser la contestation pacifique et à museler toute forme de dissidence, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

« Tous les militants pris pour cibles uniquement pour avoir défié la loi relative aux manifestations illégales en Égypte doivent être libérés. Il est inacceptable d’enfermer des citoyens au motif qu’ils exercent sans violence leur droit à la liberté d’expression et de réunion. »

Yara Sallam a été arrêtée avec sa cousine alors qu’elle était en train d’acheter une bouteille d’eau le 21 juin, à Héliopolis, une banlieue du Caire, où a eu lieu la manifestation.

Sa cousine a été libérée le lendemain, mais Yara Sallam a été maintenue en détention lorsque les forces de sécurité ont découvert qu’elle travaillait pour l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne, organisation majeure de défense des droits humains en Égypte.

« L’Égypte doit abandonner les accusations grotesques portées contre Yara Sallam, qui n’a même pas pris part à la manifestation en question, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

« Fait troublant, il semble qu’elle soit jugée uniquement en raison de son travail en faveur des droits humains. Yara Sallam est une prisonnière d’opinion qui doit être libérée immédiatement et sans condition, et toutes les charges retenues contre elle doivent être abandonnées. »

Les avocats des 21 autres accusés ont indiqué à Amnesty International que les éléments présentés contre eux, y compris des preuves audiovisuelles, n’attestaient d’aucune violence de la part des manifestants.

« Les autorités présentent un bilan marqué par les arrestations injustifiées, les procès motivés par des considérations politiques et les condamnations fondées sur des preuves douteuses. Tous les manifestants dans le groupe sont très probablement des prisonniers d’opinion, détenus pour avoir osé braver ce qui est dans les faits une interdiction de manifester en Égypte, a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

« S’il existe des preuves suffisantes d’une activité criminelle violente pouvant être confirmées au tribunal, les manifestants doivent être jugés pour des infractions reconnues par le droit pénal, dans le respect des normes internationales en matière d’équité des procès. »

L’audience concernant les 22 militants s’est déroulée à l’Institut de police de Tora, un bâtiment intégré au complexe pénitentiaire de Tora où la plupart des accusés sont détenus, et non dans un tribunal. Les familles des 22 accusés n’ont pas été autorisées à assister au procès.

« Juger les accusés à l’intérieur du complexe pénitentiaire de Tora et interdire au public d’y assister porte atteinte à la présomption d’innocence et au droit d’être entendu équitablement, et est contraire au droit égyptien et international », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

Les avocats ont déclaré à Amnesty International que durant la dernière audience, le 11 octobre, les accusés ne pouvaient pas entendre ce qui se passait ni communiquer avec leur équipe de défense, parce qu’une vitre foncée avait été installée, coupant les accusés du reste de la salle d’audience.

Par ailleurs, le juge a rejeté les demandes répétées déposées par les avocats de la défense concernant la libération provisoire des accusés, alors que leur détention provisoire ne repose sur aucun motif valable.

Selon les renseignements recueillis par Amnesty International, les autorités égyptiennes maintiennent des personnes en détention provisoire pour des périodes prolongées, excédant parfois plus d’un an, sans aucune justification. L’organisation craint que la détention provisoire ne soit utilisée à titre de mesure punitive pour faire taire la dissidence.

La détention provisoire se justifie uniquement s’il est établi qu’il existe un risque réel de fuite, de tort à autrui ou d’ingérence dans l’enquête ou les éléments de preuve, risque ne pouvant pas être neutralisé par des moyens autres que la détention. Il importe d’examiner la légalité et la nécessité de la détention dans chaque cas individuel.

Le mois dernier, le président Abdel Fattah Al Sissi a prononcé un discours devant les Nations unies et déclaré que la « nouvelle Égypte » allait respecter la liberté d’expression, faire appliquer l’état de droit, respecter la Constitution et garantir l’indépendance de la justice.

Complément d’information
Le 21 juin 2014, des manifestants ont essayé de défiler jusqu’au palais présidentiel du Caire, lorsque des groupes d’hommes habillés en civil les ont agressés.

Les forces de sécurité ont arrêté 24 personnes lorsqu’elles ont dispersé la foule. L’une d’entre elles a été libérée, et un mineur âgé de 16 ans, Islam Tawfik Mohamed Hassan, doit être jugé devant un tribunal pour mineurs dans le cadre d’une affaire distincte.

Yara Sallam et six autres femmes jugées dans cette affaire sont incarcérées à la prison d’Al Qanater, tandis que les hommes sont détenus à la prison de Tora.

Les 22 accusés sont jugés pour avoir vandalisé des biens, fait une démonstration de force pour faire peur aux passants et menacer leur vie, et participé à un rassemblement de plus de cinq personnes dans le but de troubler l’ordre public et de commettre des infractions.

Le père de Sanaa Seif, l’avocat spécialisé dans la défense des droits humains Ahmed Seif al Islam, est décédé au mois d’août. Sanaa Seif a observé une grève de la faim pour protester contre le refus des autorités de lui permettre de passer du temps auprès de son père pour ses derniers instants.

L’ancien président égyptien Adly Mansour a promulgué la Loi réglementant le droit aux rassemblements, processions et manifestations pacifiques publics en novembre 2013.

Aux termes de cette loi draconienne, les organisateurs de ce type d’événement doivent soumettre leurs projets aux autorités, qui disposent de vastes pouvoirs leur permettant d’annuler des manifestations ou d’en modifier le parcours. Elle confère aussi aux forces de sécurité le pouvoir de recourir à une force létale excessive contre les manifestations non autorisées et de placer en détention des manifestants pacifiques.