Donner à la justice pénale internationale les moyens d’agir contre l’impunité de l’Etat islamique

Depuis la mise en place en 2002 de la Cour pénale internationale (CPI) par le Statut de Rome, la CPI fait face à de nombreuses difficultés qui l’empêchent de poursuivre des personnes responsables de crimes internationaux. L’exemple récent du groupe armé qui se fait appeler État Islamique (EI), organisation politique et militaire figurant sur la liste des organisations terroristes du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), montre que la CPI ne peut s’acquitter de sa mission seule et que la justice internationale est l’affaire de tous. 

Les violations flagrantes et massives des droits humains commises quotidiennement en Syrie et en Iraq par l’EI n’ont de cesse de consterner la communauté internationale. Dans une déclaration du 8 avril 2015, le Procureur de la CPI, Madame Fatou Bensouda, mentionne notamment « des exécutions en masse, l’esclavage sexuel, des viols et autres formes de violences sexuelles ou à caractère sexiste, des actes de torture, des mutilations, l’enrôlement et le recrutement forcé d’enfants et la persécution de minorités ethniques et religieuses, sans oublier la destruction délibérée de biens culturels ». Le rapport annuel d’Amnesty International 2014/2015 dénonce avec force les exactions commises par l’EI en Syrie et en Iraq, qui constituent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En septembre 2014, Amnesty International accusait par ailleurs l’EI de nettoyage ethnique contre la communauté yezidie d’Iraq. L’Organisation des Nations unies parle même de génocide. De tels crimes relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale.

Pourtant, dans sa déclaration précitée, le Procureur a estimé que le fondement juridique nécessaire pour qu’il puisse procéder à l’examen préliminaire des crimes en question était « trop étriqué ». 

Afin de comprendre cette position, il convient de rappeler que la compétence de la CPI est complémentaire à celle des Etats. Concrètement, cela veut dire qu’il revient en premier lieu aux Etats de poursuivre les auteurs de crimes internationaux. C’est seulement en cas de défaillance de l’Etat concerné, par manque de volonté ou de moyens, que la CPI pourra exercer sa compétence. Pour ce faire, elle doit être saisie par un Etat partie ou par le Procureur, lorsqu’il décide d’enquêter sur un crime. Le Conseil de sécurité de l’ONU peut également déférer une situation à la CPI. Cependant, dans les deux premiers cas, la CPI ne peut en principe poursuivre les auteurs de crimes internationaux que si les crimes en question sont rattachés par le territoire ou la nationalité à un Etat partie au Statut de Rome.

La CPI peut ainsi connaître des crimes commis sur le territoire des Etats parties. Or, les deux Etats sur le territoire desquels l’EI sévit principalement, l’Iraq et la Syrie, ne sont pas parties au Statut de la Cour.

Peuvent également être poursuivis devant la CPI les ressortissants des Etats parties au Statut de la CPI, même pour des crimes commis sur le territoire d’un Etat qui n’y a pas adhéré. Etant donné que parmi les nombreux combattants étrangers ayant rejoint l’EI figurent des  ressortissants d’Etats membres de la CPI, la Cour a étudié la possibilité d’exercer sa compétence sur cette base.Le Procureur rappelle néanmoins qu’il a « pour politique de concentrer son action sur les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde dans les crimes commis à grande échelle » et d’après les informations dont il dispose, l’organisation est dirigée principalement par des ressortissants irakiens et syriens, donc d’Etats qui n’ont pas adhéré au Statut.

Les circonstances actuelles ne permettraient donc pas à la CPI d’exercer sa compétence et il est peu probable que l’Iraq ou la Syrie adhère prochainement au Statut de Rome. En effet, la CPI serait alors compétente pour toutes les violations graves des droits humains constituant des crimes internationaux commises sur le territoire de ces Etats par toutes les parties au conflit, tant les forces rebelles que les forces gouvernementales.Or, en Iraq comme en Syrie, la population civile est victime d’exactions massives de la part de tous les belligérants. Ainsi, dénonce notamment l’organisation de défense des droits humains Amnesty International, en Iraq, les milices chiites combattant l’EI aux côté de l’armée irakienne ont été accusées de crimes de guerre. Le régime de Bachar Al Assad a lui été accusé entre autres d’avoir utilisé du gaz sarin contre la population civile et d’utiliser massivement des bombes-barils, qui frappent aveuglement, sans discrimination à l’égard de la population civile, en violation des règles du droit international humanitaire. On comprend mieux dès lors le peu d’empressement qu’ont ces Etats pour adhérer au Statut de Rome.

En dehors de ces situations, les Etats qui n’ont pas adhéré au Statut peuvent néanmoins décider d’accepter la compétence de la CPI pour des crimes commis sur leur territoire. Par ailleurs, le Conseil de sécurité de l’ONU peut saisir la CPI de toute situation dans laquelle un ou plusieurs crimes internationaux paraissent avoir été commis, qu’il s’agisse d’un Etat partie ou pas. Le Procureur de la CPI en appelle dès lors à l’Iraq et à la Syrie ainsi qu’au Conseil pour saisir la Cour. Le Conseil de Sécurité n’a jusqu’à présent pas voulu déférer à la CPI la situation, de façon globale, en Iraq ou en Syrie.Cela peut s’expliquer par les intérêts politiques divergents des membres permanents du Conseil de sécurité dans la région. Cela étant, lors d’une réunion du Conseil de sécurité qui s’est tenue le 27 mai 2015, certains Etats ont soumis l’idée de saisir la CPI concernant la situation en Syrie et en Irak uniquement relativement aux exactions de l’EI, et non dans sa globalité. La Cour risque cependant dans ce cas d’être accusée de partialité.

L’acceptation par les Etats de la compétence de la CPI, en adhérant au Statut de Rome ou en déférant leur situation à la CPI, est la voie à suivre pour permettre à celle-ci d’accomplir sa mission en toute indépendance et l’Iraq et la Syrie doivent être encouragés en ce sens.  

Le Procureur semble néanmoins avoir trouvé une brèche pour ouvrir éventuellement une enquête sur des crimes commis par l’EI. En effet, l’organisation terroriste a également profité du chaos libyen pour se déployer sur le territoire de cet Etat et y commettre des actes de violence contre des civils chrétiens.Elle revendique notamment la décapitation de 21 chrétiens coptes, pour la plupart égyptiens, en février 2015 et de 28 chrétiens éthiopiens en avril 2015. A la différence de l’Iraq et de la Syrie, la situation en Libye a été déférée à la CPI par la résolution du Conseil de sécurité 1970 du 26 février 2011. Pour cette raison, en mai 2015 le Procureur de la CPI a déclaré que la compétence de ses services s’étend de prime abord aux crimes présumés. 

Quoi qu’il en soit, au vu de l’ampleur des crimes commis par l’EI, la poursuite de ses dirigeants est un enjeu de taille pour la CPI, il en va de la capacité même de la juridiction d’être la réponse adéquate pour mettre fin à l’impunité dans le monde. Il faut néanmoins lui donner les moyens de le faire, sans qu’elle soit à nouveau accusée d’être sélective dans l’accomplissement de sa mission. La CPI ne pourra relever le défi qui se présente à elle qu’avec l’aide des Etats agissant individuellement ou collectivement dans le cadre des instances internationales. Le Luxembourg devrait également saisir l’occasion de sa présidence du Conseil de l’Union européenne (UE) afin de faire de la justice internationale et de la lutte contre l’impunité une priorité européenne. 

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