Des millions de personnes restent exposées en Syrie, même après la création d’une zone démilitarisée par la Russie et la Turquie

Il y a une semaine encore, le gouvernement syrien et son allié russe semblaient prêts à lancer une offensive militaire contre le dernier bastion de l’opposition à Idlib et ainsi déclencher une catastrophe inévitable pour les 2,5 millions de civils qui y vivent et sont déjà en proie aux affres d’une crise humanitaire.

Les forces gouvernementales syriennes se sont amassées aux abords de la province du nord-ouest qui jouxte la Turquie, procédant à des attaques en utilisant des armes à sous-munitions interdites par le droit international et des barils d’explosifs non guidés, qui ont fait de nombreuses victimes parmi les civils. L’intensification des combats a déplacé près de 40 000 personnes au cours des deux premières semaines de septembre.

Puis, soudain, le compte à rebours a ralenti.

La Russie et la Turquie ont annoncé la création d’une zone démilitarisée de 15 kilomètres de large, exempte de forces contrôlées par l’opposition ou le gouvernement. Cette annonce a été accueillie avec un grand soulagement. Pourtant, le conflit syrien qui dure depuis sept ans a été marqué par tant d’atrocités et une telle profusion d’accords fragiles, que quiconque se préoccupe du sort de la population civile ne saurait y placer trop d’espoir.

Au contraire, l’annonce devrait inciter la communauté internationale à redoubler d’efforts afin que les parties impliquées reconnaissent que tout ne dépend pas de négociations et d’accords – notamment lorsqu’il s’agit de protéger les civils, de garantir l’accès à une aide vitale et de remplir d’autres obligations découlant du droit international humanitaire qui s’applique à tout moment.

Précisément, cela suppose de faire davantage pression sur la Russie et l’Iran afin qu’ils usent de leur influence auprès du gouvernement syrien et d’inciter la Turquie à user de la sienne sur les groupes armés d’opposition pour que les civils qui vivent à l’intérieur et à l’extérieur de la zone démilitarisée soient protégés.

Il faut également rappeler que ceux qui planifient et mènent des opérations militaires ne sont jamais exemptés de leur obligation de prendre toutes les précautions possibles pour épargner les civils. Le gouvernement syrien a récemment affirmé que les groupes armés d’opposition utilisent des civils comme boucliers humains et planifient une attaque à l’arme chimique, ce qui ne saurait justifier des attaques illégales contre les civils, qu’il existe ou non des éléments de preuve confirmant cette pratique illégale.

Nul ne peut prétendre ignorer quels sont les enjeux.

La situation à Idlib fait aujourd’hui écho aux tragédies qui se sont déroulées dans d’autres régions de Syrie.

Plus de la moitié des personnes se trouvant à Idlib ont déjà fui des villes assiégées, la faim et des crimes de guerre à Alep, dans la Ghouta orientale, à Homs, à Deraa et ailleurs. Et ce en grande partie du fait des accords de « réconciliation » conclus entre le gouvernement et l’opposition armée dans ces territoires, qui ont conduit des milliers de civils à quitter leur foyer.

La plupart de ces civils déplacés vivent dans des camps surpeuplés à Idlib, non loin de la frontière avec la Turquie, qui ne disposent pas d’infrastructures adaptées, d’accès à l’eau potable ni à l’électricité. Beaucoup ont été traumatisés par des déplacements à répétition.

Toutefois, si l’on peut avoir le sentiment d’en être déjà passés par là, la situation à Idlib reste unique.

Idlib est le dernier grand territoire en Syrie encore aux mains des combattants de l’opposition – et a été désigné zone de désescalade en 2017 par l’Iran, la Turquie et la Russie. Aussi, les civils qui craignent les représailles s’ils cherchent refuge dans les zones contrôlées par les forces gouvernementales n’ont désormais nulle part où aller en Syrie.

Et leurs craintes sont loin d’être farfelues. Ceux qui ont tenté d’échapper aux précédentes offensives du gouvernement contre les zones tenues par l’opposition ont subi des violations flagrantes : des hommes et des adolescents soumis à des arrestations arbitraires, des actes de torture et des disparitions forcées ; de nombreuses personnes déplacées confinées dans des camps, sans accès à l’aide humanitaire des Nations unies, comme ce fut le cas dans la Ghouta orientale.

C’est pourquoi toutes les parties ayant une influence sur le terrain doivent garantir le passage en toute sécurité de tous les civils qui souhaitent fuir la province en cas d’attaque et c’est pourquoi il est essentiel que la Turquie leur ouvre ses frontières. En outre, la communauté internationale devrait fournir à la Turquie l’aide dont elle a besoin pour accueillir en toute dignité ceux qui fuient Idlib.

Même si la zone démilitarisée parvient à offrir à ceux qui y vivent une protection contre les attaques terrestres et les bombardements aériens, n’oublions pas les civils qui habitent encore les villages et les villes à l’extérieur de cette zone. Ces secteurs sont sur le point de connaître un afflux de combattants qui ne bénéficient pas de la protection de la Turquie mais qui, aux termes de l’accord, seront expulsés de la zone tampon. En effet, l’accord autorise les combattants soutenus par la Turquie à rester à la condition qu’ils déposent les armes.

Dans le cadre de la mise en place de la zone démilitarisée, il faut que les forces russes et turques déployées suivent la mise en œuvre de l’accord et s’assurent que les organisations humanitaires puissent librement accéder aux quelque 2,5 millions d’habitants qui ont déjà un besoin urgent de nourriture, d’eau et de soins de santé.

À Idlib, un soupir de soulagement a sans doute accueilli l’annonce de l’accord du 17 septembre. Cependant, la province reste confrontée aux conséquences d’une guerre qui a tué des dizaines de milliers de civils et forcé des millions de personnes à fuir leur foyer, illustrant l’impérieuse nécessité d’en finir avec ce mépris flagrant à l’égard du droit international humanitaire.

Génocide à Gaza

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