De nouvelles règles de contrôle des frontières, mises en place presque simultanément par les gouvernements macédonien, serbe et croate ces derniers jours, se sont soldées par des violations des droits humains de grande ampleur, notamment des expulsions collectives et des discriminations contre des personnes perçues comme des migrants ou réfugiés économiques sur la base de leur nationalité, a déclaré Amnesty International vendredi 20 novembre.
L’organisation étudie de près de la manière dont les nouvelles mesures en place le long de cet itinéraire depuis mercredi 18 novembre privent de nombreuses personnes d’un accès aux procédures d’asile, et laisse des milliers de personnes livrées à elles-mêmes dans des conditions difficiles à la frontière entre la Grèce et la Macédoine.
« Cette succession d’événements très inquiétante plonge une nouvelle fois des milliers de personnes dans l’incertitude, avec pour seul motif leur pays d’origine. Au moment même où les gouvernements des Balkans et de l’Europe se sont engagés à collaborer plus étroitement afin d’améliorer la sécurité et l’accès à l’asile sur la route des Balkans, c’est le contraire qui se produit », a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.
« Ces gouvernements semblent avoir agi sans bien réfléchir aux conséquences pour des milliers de personnes qui se retrouvent désormais abandonnées dans des conditions totalement inadéquates, sans nulle part où aller, et ne reçoivent qu’une aide humanitaire très limitée. Cela aura pour seul effet de pousser dans les bras des passeurs ceux qui sont ainsi livrés à eux-mêmes. À l’heure où des milliers d’autres personnes sont en route, il est urgent d’agir afin de renverser la situation, qui ne cesse de s’aggraver. »
Renvois forcés illégaux et ségrégation
Au cours de la nuit du 18 novembre, la Macédoine, la Serbie et la Croatie ont toutes changé leurs pratiques relatives à la gestion des frontières de manière soudaine, sans préavis, et plus ou moins simultanément.
La Macédoine a été la première à agir, en refusant de laisser entrer toute personne ne disposant pas de papiers prouvant qu’elle arrivait d’Afghanistan, d’Irak ou de Syrie. Cela signifie que des centaines d’autres personnes se retrouvent abandonnées parce qu’elles viennent d’autres pays, notamment l’Iran, le Sri Lanka, le Soudan, la République démocratique du Congo et le Pakistan, ou parce qu’elles n’ont pas de papiers d’identité. Dans le village d’Idomeni, la police grecque des frontières continue à empêcher les ressortissants de pays autres que l’Afghanistan, l’Irak ou la Syrie à partir, au prétexte que la Macédoine ne les laisserait pas entrer.
À 11 heures jeudi 19 novembre, les autorités macédoniennes ont soudain fermé la frontière à toutes les nationalités, et l’ont gardé close toute la nuit. La frontière a de nouveau été ouverte le matin du 20 novembre, mais aux seuls Syriens, Afghans et Irakiens, à raison d’une cinquantaine de personnes par heure. La Macédoine a déployé une forte présence policière à la frontière.
Selon des membres du personnel de l’organisation non gouvernementale (ONG) Médecins sans frontières (MSF) qui se trouvent sur le terrain, quelque 6 000 personnes ont dormi dehors à Idomeni dans la nuit du 19 au 20 novembre – contre 1 500 la nuit précédente. MSF s’attendait à ce que l’arrivée de milliers d’autres personnes vendredi 20 dans la soirée vienne porter à 8 000 le nombre de personnes passant la nuit à Idomeni. Il est seulement possible d’héberger 900 personnes sur place. Le centre d’accueil de Gevgelija, du côté macédonien de la frontière, reste vide et inutilisé.
Des groupes locaux de solidarité et une ONG fournissent de la nourriture à Idomeni, tandis que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Alliance internationale Save the Children s’occupent de la distribution des repas. Une dizaine d’employés du HCR sont actuellement présents sur place et prévoient de développer leurs ressources.
Si les autorités grecques ont envoyé des renforts policiers, Amnesty International a constaté qu’elles continuent à s’abstenir de répondre aux besoins humanitaires.
Des tensions entre différentes nationalités sont par ailleurs manifestes. Jeudi 19 novembre, un groupe d’environ 200 Iraniens ont manifesté le long des voies ferrées, bloquant le départ d’un train à destination de la Macédoine transportant des ressortissants syriens.
Des frontières bloquées simultanément
La nuit du 18 novembre, des éléments de la police serbe des frontières ont également commencé à trier les arrivants par nationalité, autorisant uniquement les personnes d’origine afghane, irakienne ou syrienne à entrer. Quelque 200 personnes ont fait l’objet d’une expulsion collective vers la Macédoine, après avoir passé la nuit à la gare de Tabanovce dans des préfabriqués fournis par le HCR.
La nuit suivante, la Macédoine a fermé sa frontière avec la Serbie, laissant une centaine de personnes coincées dans un no man’s land situé entre les postes frontières des deux pays. Le HCR n’a pas été autorisé à se rendre auprès d’elles ; la Croix-Rouge a pu leur apporter des couvertures. Ces personnes ont été renvoyées en Macédoine, où elles sont hébergées à la gare de Tabanovce. Toujours le 18 novembre, quelque 440 personnes ont été empêchées d’entrer en Croatie par la frontière avec la Serbie, par des membres de la police des frontières des deux pays qui travaillaient de concert afin que personne ne monte à bord de trains à Sid. Un groupe – composé majoritairement d’hommes seuls, mais également de trois femmes et de deux enfants, originaires de pays incluant le Maroc, le Bangladesh et le Pakistan – a été appréhendé en Croatie et renvoyé en bus en Serbie.
Des contrôles plus stricts aux frontières de l’UE
Le renforcement des contrôles aux frontières le long de la route des Balkans a été décidé avant la réunion extraordinaire des ministres de la Justice et de l’Intérieur des pays membres de l’Union européenne (UE) à Bruxelles vendredi 20 novembre – le premier depuis les attentats survenus à Paris le 13 novembre. Figurait à l’ordre du jour une discussion sur le renforcement des contrôles de sécurité le long des frontières extérieures de l’UE, ainsi qu’au sein de la zone sans frontières de Schengen, mais il semble que la protection des droits humains n’a pas été évoquée.
« Il est essentiel que les pays de la région, épaulés par l’UE et tous ses États membres, coordonnent des contrôles aux frontières sans introduire de discriminations débouchant sur des expulsions collectives et des renvois illégaux de réfugiés et de demandeurs d’asile. Des itinéraires contrôlés, sûrs et légaux menant à l’Europe, qui permettent un véritable accès aux procédures d’asile pour tous ceux qui souhaitent déposer une demande, aideraient grandement à identifier les menaces à la sécurité, tout en honorant l’obligation faite aux pays en vertu du droit international de fournir une protection à ceux qui en ont besoin », a déclaré John Dalhuisen.
Complément d’information
En juillet 2015, Amnesty International a diffusé un rapport intitulé Europe’s Borderlands: Violations against refugees and migrants in Macedonia, Serbia and Hungary, qui a montré que les réfugiés et les migrants sont régulièrement soumis à des renvois forcés illégaux et à des mauvais traitements par la police des frontières, et risquent d’être exploités par les passeurs.
La situation s’est encore aggravée à mesure que les flux de personnes ont augmenté au cours des mois d’été et d’automne, et a atteint un point critique le 15 septembre, lorsque la Hongrie a scellé l’intégralité de sa frontière, mettant à plus rude épreuve encore un axe migratoire déjà improvisé et mal coordonné à travers les Balkans.