Les Tatars de Crimée manifestent contre le référendum pour le rattachement de la péninsule à la Russie, le 8 mars 2014. (GENYA SAVILOV / AFP)

Crimée. Un an après l’annexion, les détracteurs sont harcelés, agressés et réduits au silence

En Crimée, les autorités de fait n’ont pas enquêté sur la série d’enlèvements et d’actes de torture visant leurs détracteurs, et mènent une vive campagne d’intimidation  en vue d’étouffer la dissidence, écrit Amnesty International dans une synthèse publiée mercredi 18 mars 2015 à l’occasion du 1er anniversaire de l’annexion.

Intitulé Violations of the rights to freedom of expression, assembly and association in Crimea, ce document relate comment les autorités de fait en Crimée se livrent à toute une série d’atteintes aux droits humains contre les médias pro-ukrainiens, les organisations militantes, les Tatars de Crimée et les personnes qui critiquent le régime.

« Depuis que la Russie a annexé la Crimée, un large éventail de méthodes brutales est mis en œuvre  pour écraser la dissidence. Une série d’enlèvements perpétrés de mars à septembre a incité de nombreux détracteurs à quitter la région. Ceux qui restent sont en butte au harcèlement, les autorités étant déterminées à faire taire leurs opposants », a déclaré John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

Enlèvements et torture – pas d’enquêtes dignes de ce nom

Depuis l’annexion, au moins sept personnes ont été enlevées, dont on ne connaît pas le sort. Au moins une autre personne kidnappée a été retrouvée morte, son corps portant des traces de torture.

Amnesty International a recensé la « disparition » de trois Tatars de Crimée. Isliam Djepparov, 19 ans, et Djevdet Isliamov, 23 ans, ont été poussés dans une fourgonnette par quatre hommes en uniforme noir le 29 septembre 2014 ; on ne les a pas revus depuis. Rechat Ametov, 39 ans, a été enlevé alors qu’il assistait à une manifestation en mars 2014. Son corps a été retrouvé par la suite, portant des marques de torture. À ce jour, personne n’a été tenu pour responsable de ces agissements.

Andreï Schekoun, dirigeant de la Maison de l’Ukraine, une organisation qui promeut la langue et la culture ukrainiennes, a été enlevé par des paramilitaires prorusses et détenu pendant 11 jours dans un lieu tenu secret où il a reçu des décharges électriques, en mars 2014. Il a ensuite été remis à l’armée ukrainienne. Cette fois encore, personne n’a eu à répondre des actes de torture qu’il a subis. Trois autres membres de l’organisation ont « disparu » en mai 2014 et on est sans nouvelles d’eux depuis.

« Les autorités de fait de Crimée affirment qu’elles enquêtent sur tous les cas d’enlèvements et de torture, mais nous n’avons pas encore vu de preuve concrète étayant ces dires », a déclaré John Dalhuisen.

Répression contre les médias

Les autorités de fait installent un climat de peur en Crimée, en recourant à des actes d’intimidation et en utilisant des lois restrictives pour museler les médias et les ONG.

Le 26 janvier, une trentaine d’hommes armés des forces spéciales de la police, portant des cagoules, accompagnés de 10 membres des forces de sécurité, ont effectué une descente dans les bureaux d’ATR, chaîne de télévision des Tatars de Crimée. Ils ont interrompu les programmes et saisi des documents remontant à février 2014.

Avant la perquisition déjà, la chaîne pratiquait l’autocensure et avait renoncé à utiliser des termes comme « annexion » et « occupation », plusieurs employés de la rédaction ayant reçu des avertissements de la part des autorités, qui qualifient leurs programmes d’« extrémistes » et les menacent de poursuites judiciaires.

Plusieurs journalistes et blogueurs ont fui la Crimée, craignant les persécutions. C’est notamment le cas de la blogueuse pro-ukrainienne, Elizaveta Bogoutskaïa, qui a été convoquée pour être interrogée après que des enquêteurs du centre de lutte contre l’extrémisme ont perquisitionné son domicile et saisi des documents pour les examiner.

Au lendemain de l’annexion, tous les médias étaient tenus de se faire réenregistrer. QHA, agence de presse tatare bien connue, n’a pas pu le faire, sa demande « inacceptable » ayant été rejetée, sans aucune explication.

Privés du droit de manifester et de célébrer la culture des Tatars de Crimée

Les manifestations publiques sont interdites en Crimée. Les Tatars de Crimée qui demandent l’autorisation d’organiser des rassemblements culturels et des manifestations se voient la plupart du temps opposer un refus ; en cas d’autorisation, les évènements doivent avoir lieu sur des sites éloignés, notamment lorsqu’il s’agit d’événements commémoratifs ou traditionnels.

Plusieurs organisations indépendantes de renom, notamment celles qui travaillent sur les questions de droits humains, ont cessé d’exister. Le Mejlis, qui représente la communauté des Tatars de Crimée, n’est pas reconnu et ses responsables sont victimes d’une campagne de harcèlement et de persécution.

« Un an après l’annexion de la Crimée, l’attitude de ses autorités de fait et de leurs mentors russes se résume en peu de mots : soit vous aimez, soit vous partez, soit vous la fermez, a déclaré John Dalhuisen.

« La communauté internationale manifeste peu d’empressement à pousser la Russie à rétablir l’intégrité territoriale de l’Ukraine, mais elle devrait pour le moins l’inciter de manière beaucoup plus appuyée à respecter les droits de tous les habitants de Crimée. »

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