Les autorités sud-coréennes doivent suspendre la livraison prévue de grandes quantités de gaz lacrymogènes à destination de la Turquie, où les forces de sécurité utilisent fréquemment de manière abusive les équipements antiémeutes dans le cadre de la répression des manifestations pacifiques, a déclaré Amnesty International.
Une source crédible a informé l’organisation de la livraison à la Turquie de près de 1,9 million de cartouches et de grenades de gaz lacrymogènes fabriquées en Corée du Sud. La première partie de ces équipements antiémeutes doit être livrée par une entreprise sud-coréenne au gouvernement turc mi-janvier 2015.
« Toutes les cargaisons de gaz lacrymogènes et d’équipements antiémeutes à destination de la Turquie doivent être suspendues, car elles risquent d’alimenter la répression et les atteintes aux droits humains, a déclaré Marek Marczynski, responsable à Amnesty International du programme sur les transferts d’équipements ou de compétences dans les domaines militaire, de sécurité ou de police.
« Les autorités sud-coréennes doivent faire clairement savoir qu’aucune arme ne sera fournie à un pays où la force abusive et arbitraire est utilisée contre des manifestants. L’incapacité du gouvernement turc à garantir le droit de manifester pacifiquement bafoue les normes internationales relatives au maintien de l’ordre et aux droits humains.
« La Turquie présente un bilan affligeant s’agissant de l’utilisation abusive de gaz lacrymogènes lors des manifestations : des grenades lacrymogènes ont été à plusieurs reprises tirées directement sur des manifestants. Aucun gouvernement responsable ne devrait alimenter des violations des droits humains à cette échelle. »
Selon la source d’Amnesty International, le transfert prévu de la Corée du Sud à destination du gouvernement turc comprend 1 898 515 irritants chimiques « moins meurtriers ». Cela englobe des cartouches de gaz lacrymogènes de quatre tailles différentes – 1 509 015 au total – et 389 500 grenades lacrymogènes. La première cargaison d’environ 550 000 articles doit être livrée mi-janvier 2015, et le reste à la mi-mai.
Le type d’équipements et les quantités sont cohérents avec ce que les forces de sécurité turques ont utilisé lors des manifestations en 2013 et ce dont elles auront sans doute besoin pour réapprovisionner leurs stocks en 2015. Le fabricant d’armes sud-coréen a déjà fourni des équipements antiémeutes à la Turquie, ainsi qu’à Bahreïn.
Répression des manifestations
Entre le 28 mai et la mi-juillet 2013, des rassemblements connus sous le nom de manifestations du parc Gezi ont eu lieu dans les 81 provinces de la Turquie, sauf deux, allant de quelques centaines de personnes à des dizaines de milliers de participants. Les forces de sécurité ont à maintes reprises recouru à une force abusive et arbitraire contre des manifestants pacifiques, parfois avec des conséquences meurtrières. Au moins quatre manifestants sont morts, conséquence directe du recours à une force excessive par la police. C’est le cas de Berkin Elvan, 15 ans, et d’Abdullah Cömert, 22 ans, touchés à la tête par des grenades lacrymogènes tirées à bout portant. Plus de 8 000 personnes ont été blessées, parfois grièvement, lors de ce mouvement de contestation.
En 2014, la police a recouru à une force excessive contre les manifestants pacifiques défilant à l’occasion du 1er mai, près de la place Taksim, au centre d’Istanbul.
En de multiples occasions, Amnesty International a dénoncé l’emploi excessif, injustifié et arbitraire de gaz lacrymogènes et de canons à eau pour disperser les manifestants. Les forces de police et de sécurité turques ont également tiré des balles en caoutchouc et en plastique sur des manifestants non armés, faisant plusieurs victimes et blessés graves. Des milliers d’autres personnes ont reçu des coups. Des manifestants, des militants des droits humains et des journalistes ont été arrêtés et placés en détention.
« Aujourd’hui, aucun gouvernement ne doit fournir aux autorités turques des équipements qui serviront à écraser de nouvelles manifestations pacifiques. Tous les transferts de gaz lacrymogènes et d’équipements antiémeutes doivent être suspendus, jusqu’à ce que les autorités turques puissent garantir qu’une telle répression ne se reproduira pas et s’engagent à mener des enquêtes approfondies, impartiales et indépendantes sur les atteintes aux droits humains commises par les forces de sécurité », a déclaré Marek Marczynski.
Complément d’information
En tant que participante à l’Arrangement de Wassenaar, association regroupant les 41 principaux exportateurs d’armes du monde, la Corée du Sud se doit de respecter les lignes directrices et les principes du groupe. Ils prévoient notamment que les États doivent éviter d’autoriser l’exportation d’armes, y compris d’irritants chimiques et de lanceurs, vers des pays où elles pourraient servir à bafouer les droits humains. Aux termes de l’Arrangement de Wassenaar, la liste de contrôle des armes classiques doit inclure la réglementation stricte de l’exportation d’articles utilisés pour contrôler les émeutes par la force.
L’usage abusif et illégal de la force en Turquie contre les manifestants souligne à quel point il est urgent de mettre en œuvre efficacement le Traité sur le commerce des armes (TCA), qui entrera en vigueur le 24 décembre 2014. La Corée du Sud a signé, mais pas encore ratifié, ce traité, qui engage tous les États à évaluer précisément les risques avant d’autoriser l’exportation d’armes classiques. En cas de risque majeur que ces armes soient utilisées pour violer le droit international humanitaire ou relatif aux droits humains, le transfert doit être annulé.