CARSTEN JÜRGENSEN : UN DEFI POUR L’AFRIQUE DU NORD

Carsten Jürgensen est chercheur chez Amnesty International depuis plus de
15 ans et a participé à plus de 40 missions d’enquête, principalement dans les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. En 2011 et 2012 il a pris part aux missions d’Amnesty International en Egypte et en Libye. Lors de sa visite au Luxembourg le 4 juin, il a donné une conférence-débat sur la situation des droits humains dans la région.

Quelles étaient vos premières impressions quand vous êtes arrivé en Egypte et en Libye?
J‘étais dans les deux pays au moment du changement. En Egypte, je suis arrivé le jour du départ de Moubarak et j‘étais en Libye au moment où Kadhafi quittait Tripoli. C’étaient des moments très particuliers – libération de détenus, destruction des institutions d‘oppression – il y avait beaucoup d‘espoir. Mais dès le départ, au moment même des célébrations en honneur de l‘armée en Egypte et des rebelles en Libye, nous avons très vite vu aussi les côtés négatifs
de ces révolutions.
Quels sont ces côtés négatifs ?
En Egypte, dès que l‘armée a pris le pouvoir, elle aussi a commis des violations des droits humains. Lors des manifestations il y avait de nouveaux affrontements entre manifestants et forces armées qui ont causé la mort d‘une douzaine de personnes. Jusqu‘à présent les responsables n‘ont pas rendu des comptes. En Libye, beaucoup d‘Africains noirs ont été détenus et maltraités en raison de rumeurs qu‘ils travaillaient pour Kadhafi. La plupart d’entre eux étaient libérés quand ces soupçons s’avéraient sans fondement, mais une douzaine de ces personnes avait déjà été battues à mort.
Comment se présente le travail de chercheur d’AI ?
Notre mission de recherche sur les violations des droits humains pendant le régime de Kadhafi était bien connue et les rebelles en Libye nous ont accueillis à bras ouverts. Si on disait „Amnesty“ au point de contrôle, on recevait le feu vert. En principe nous n’avions donc pas de difficultés à visiter ce qui faisait office de prisons. Par contre, nous y avons découvert une torture systématique des détenus et les gardiens avouaient avec une franchise effrayante ce qu’ils avaient fait.
Est-ce que la situation des femmes s‘est améliorée ?
Même si les femmes étaient fortement impliquées dans le mouvement de protestation, rien n’a changé concernant leurs droits. Dans les deux pays il y a même une tendance à accroître le nombre de lois discriminant les femmes.

Y a-t-il des améliorations de la situation des personnes dans ces deux pays?
Dans certains domaines comme la liberté d’expression et de presse, je dirais oui mais il y a des limites. En Egypte, une militante des droits humains a été invitée par une chaîne de télé à donner une interview sur les violations des droits humains. Mais quand on lui a expliqué que la critique à l’égard de l’armée n’était pas souhaitée, elle a refusé. En Libye, une nouvelle loi qui condamne la « propagande qui déstabilise la morale du peuple » a été adoptée récemment. Par contre, la situation économique dans les deux pays s’est nettement détériorée. Ceci sera un grand défi. Le déséquilibre social a déjà contribué aux premières protestations. Si cette tendance continue, il pourrait y avoir de nouvelles émeutes.