Amnesty International

Cameroun. Violence meurtrière dans les régions anglophones

  • Escalade de la violence caractérisée par des homicides aveugles et des déplacements de grande ampleur
  • Les forces de sécurité ont détruit des villages et torturé au moins 23 personnes, dont des mineurs, pour leur extorquer des « aveux »
  • Des séparatistes armés ont attaqué 42 écoles et tué 44 membres des forces de sécurité

Dans les régions anglophones du Cameroun, des séparatistes armés ont tué des militaires par balle ou à l’arme blanche, incendié des écoles et agressé des enseignants et les forces de sécurité ont infligé des actes de torture, tiré sur des foules et détruit des villages, dans une spirale de violence de plus en plus meurtrière, a déclaré Amnesty International le 12 juin 2018.

Dans un nouveau rapport intitulé Une tournure tragique. Violence et atteintes aux droits humains dans les régions anglophones du Cameroun, qui se fonde sur des entretiens approfondis avec plus de 150 victimes et témoins, ainsi que sur des preuves matérielles, notamment des images satellites, l’organisation montre que la population subit les plus lourdes conséquences de l’escalade de la violence dans les régions du Nord-Ouest et le Sud-Ouest.

« Dans les régions anglophones du Cameroun, la population est prise au piège d’une violence meurtrière. Les forces de sécurité ont tué aveuglément, arrêté et torturé des personnes lors d’opérations qui ont fait des milliers de déplacés. Cette réaction brutale ne peut aucunement endiguer la violence. Il est même probable qu’elle isole encore davantage la population anglophone et alimente les troubles, a déclaré Samira Daoud, directrice adjointe du programme Afrique de l’Ouest et Afrique centrale à Amnesty International.

« Les séparatistes armés, quant à eux, ont tué des dizaines de membres des forces de sécurité. Ils ont aussi mené des attaques destinées à terroriser la population, allant jusqu’à incendier des écoles et à agresser des enseignants qui ne participaient pas au boycott. »

Les régions anglophones du Cameroun, à savoir le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, représentent environ 20 % de la population du pays. Nombre de leurs revendications remontent au début des années 1960, période à laquelle ces régions ont été intégrées à la République du Cameroun récemment créée, à majorité francophone.

La violence et les troubles ont connu une escalade à la fin de 2016, à la suite d’une série de grèves et de manifestations contre ce que des enseignants, des avocats et des étudiants considéraient comme de nouvelles discriminations à l’égard des anglophones. Entre le 22 septembre et le 1er octobre 2017, des manifestations de grande ampleur ont été organisées dans les régions anglophones afin de proclamer symboliquement l’indépendance d’un nouvel État, appelé Ambazonie.

Actes de torture et homicides perpétrés par l’armée

En réaction, l’armée camerounaise s’est livrée à des arrestations arbitraires, des actes de torture, des homicides illégaux et des destructions de bâtiments. En voici un exemple frappant : les images satellites et les autres preuves photographiques recueillies par Amnesty International indiquent que le village de Kwakwa a été entièrement détruit. Les forces de sécurité l’ont réduit en cendres à l’issue d’une opération menée en décembre 2017 en lien avec l’homicide de deux gendarmes, qui aurait été commis par des séparatistes armés.

Parfois, après de telles opérations, des personnes ont été arrêtées arbitrairement et torturées dans des lieux de détention illégaux et tenus secrets. Au moins 23 personnes, dont des mineurs, ont ainsi été arrêtées par les forces de sécurité dans le village de Dadi le 13 décembre 2017 et ont été détenues au secret pendant trois jours. Elles ont indiqué à Amnesty International que, pendant ce temps, les forces de sécurité les avaient torturées afin de leur extorquer des « aveux », de les contraindre à admettre qu’elles soutenaient les séparatistes.

Les victimes ont déclaré avoir eu les yeux bandés et été battues au moyen de divers objets, notamment de bâtons, de cordes, de fil de fer et de pistolets. Selon leurs dires, elles ont aussi reçu des décharges électriques et été ébouillantées. Certaines ont été rouées de coups jusqu’à perdre connaissance et Amnesty International a établi qu’au moins une personne était morte en détention.

Un homme arrêté le 13 décembre 2017 à Dadi a livré un récit douloureux des actes de torture qu’il avait subis :

« […] Ils nous ont attaché les mains dans le dos, nous ont bâillonnés et nous ont enroulé autour de la tête nos serviettes et nos shorts, qu’ils avaient déchirés. Ensuite, ils nous ont fait allonger dans l’eau, sur le ventre, environ 45 minutes […]. Pendant trois jours, ils nous ont frappés avec des pelles, des marteaux, des planches et des câbles, nous ont donné des coups de botte et nous ont aspergés d’eau… lorsque j’ai crié et essayé de bouger, l’un d’eux m’a brûlé avec sa cigarette. »

Par ailleurs, Amnesty International a reçu des informations sur de nombreux cas de mort en détention. Le 3 février 2018, par exemple, les corps de quatre hommes, qui avaient été arrêtés la veille dans la ville de Belo par les forces de sécurité, ont été retrouvés à la morgue de l’hôpital régional de Bamenda. Ils étaient ensanglantés et portaient des traces de torture.

L’organisation a aussi recueilli des éléments faisant état d’homicides illégaux, commis notamment lors de trois opérations de sécurité menées par l’armée dans les villages de Dadi, Kajifu et Bodam (région du Sud-Ouest) en décembre 2017.

Attaques contre des écoles et agressions d’enseignants par des séparatistes

Le rapport indique que des enseignants et des élèves ont été pris pour cible par des séparatistes parce qu’ils ne participaient pas au boycott des écoles, que beaucoup considèrent comme le symbole de la marginalisation de la langue anglaise et de la culture des régions anglophones par les autorités. Au moins 42 écoles ont été attaquées par des séparatistes armés entre février 2017 et mai 2018.

Amnesty International a recueilli des informations sur différentes agressions ayant visé des enseignants et des élèves. Le 30 janvier 2018, un tireur encagoulé, soupçonné d’appartenir à un groupe séparatiste armé, a pris d’assaut l’école primaire publique de Ntungfe (région du Nord-Ouest). Armé d’un pistolet de fabrication locale, il a touché un enseignant aux jambes et a mis le feu à une moto avant de prendre la fuite.

L’enseignant blessé a raconté à Amnesty International : « L’agresseur […] m’a dit que je défiais l’appel au boycott en continuant de venir à l’école. […] Il m’a ensuite ordonné de lever les mains mais, avant que je puisse le faire, il a tiré sur moi. Je suis tombé… »

Entre septembre 2017 et mai 2018, au moins 44 membres des forces de sécurité ont été tués dans des attaques à des postes de contrôle, dans la rue ou sur leur lieu d’affectation dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

Le 1er février 2018, dans la localité de Mbingo (région du Nord-Ouest), deux gendarmes tenant un poste de contrôle ont été tués par un groupe de jeunes séparatistes armés de couteaux et de machettes.

Amnesty International a aussi rassemblé des éléments sur cinq agressions ayant visé des chefs traditionnels, accusés par les séparatistes de sympathiser avec le gouvernement.

« Le fait que les séparatistes armés ne cessent de s’en prendre à la population témoigne d’un mépris total à l’égard de la vie humaine et met en lumière la menace qui pèse sur les habitants des régions anglophones, a déclaré Samira Daoud.

« Il faut que les autorités amènent les membres des forces de sécurité et les séparatistes armés qui auraient commis des infractions à répondre de leurs actes. Elles doivent immédiatement mettre fin au recours excessif, illégal et inutile à la force et veiller à ce que la population soit protégée. »

Génocide à Gaza

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