Burkina Faso. Une enquête doit être menée sur des tirs de l’armée contre des manifestants

Dans un rapport rendu public jeudi 15 janvier, Amnesty International appelle les autorités de transition du Burkina Faso à ouvrir une enquête sur l’utilisation d’une force excessive et meurtrière en automne dernier par les forces militaires, notamment la garde présidentielle, à l’encontre de manifestants qui, pour la plupart, protestaient contre le gouvernement de manière pacifique. Ces événements avaient fait 10 morts et des centaines de blessés.

Le rapport intitulé « Qu’est-ce qu’ils avaient dans la tête pour tirer sur les gens ? » La répression de manifestations contre le gouvernement au Burkina Faso, est issu d’une enquête approfondie sur l’utilisation excessive et parfois meurtrière de la force par la garde présidentielle – appelée Régiment de sécurité présidentielle (RSP) – les gendarmes et les forces militaires lors des manifestations qui ont éclaté à Ouagadougou et dans d’autres villes du pays entre le 30 octobre et le 2 novembre 2014.

Les éléments en présence semblent indiquer que les forces militaires n’ont donné que peu ou pas d’avertissement avant d’ouvrir le feu sur les manifestants. Certains d’entre eux avaient les mains en l’air et beaucoup ont reçu des balles dans le dos, alors qu’ils tentaient de fuir. En vertu de la législation burkinabé, les forces militaires n’avaient même pas le droit d’être déployées dans ces circonstances.

« Ouvrir le feu sans sommation sur des manifestants pacifiques qui, de toute évidence, ne menaçaient personne constitue une utilisation scandaleuse et inacceptable d’une force excessive, laquelle a fait de nombreux morts et des centaines de blessés », a déclaré Gaëtan Mootoo, chercheur d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest.

« Cette dernière tentative pour écraser des protestations légitimes et soutenir le régime de l’ancien président Blaise Compaoré a engendré la répression militaire la plus violente que le Burkina Faso ait connue depuis des dizaines d’années. Au moins 10 personnes ont été tuées lors de ces manifestations et des centaines ont été blessées. Il faut traduire en justice les soldats et leurs commandants soupçonnés d’avoir participé à ces actions ayant entraîné la mort et blessé des personnes en dehors du cadre de la loi. »

En plus de tirs à balles réelles, les auteurs de ces violences ont utilisé des bâtons et des cordelettes pour tabasser et fouetter des manifestants et des passants, y compris des enfants. Au moins un journaliste a été roué de coups par des soldats.

Durant sa dernière mission de recherche, la délégation d’Amnesty International s’est rendue dans l’un des principaux hôpitaux d’Ouagadougou où elle a obtenu pour preuve une liste médicale confirmant les décès et indiquant la nature des blessures. Ce document mentionne des blessures par balles au thorax et sur les bras.

D’après le rapport, des éléments crédibles prouvent que des soldats, pour la plupart membres du RSP ont, le 30 octobre et le 2 novembre, utilisé une force excessive pour arrêter les manifestants dans les rues menant à la résidence du président et à celle de son frère.

Les manifestants marchaient de manière pacifique et beaucoup avaient les mains en l’air pour montrer qu’ils n’étaient pas armés lorsqu’ils ont essuyé des tirs des forces militaires, de la gendarmerie et du RSP.

Les éléments de preuve récoltés par Amnesty International indiquent clairement que les tireurs n’ont pas agi en état de légitime défense. Aucun avertissement n’a été donné et ils n’ont pas cherché à négocier avec les manifestants ou à disperser les foules par d’autres moyens. Un témoin a en effet expliqué à Amnesty International : « Si les forces de sécurité avaient tiré des tirs de sommation, nous serions partis. »

Un autre témoin a raconté comment Tibo Kabré, un homme de 46 ans qui se tenait juste à côté de lui, a été abattu alors qu’ils s’approchaient de soldats dans la rue menant au palais de Kosyam.

« Nous avons soulevé nos mains pour montrer que nous n’étions pas armés et nous nous sommes mis à chanter l’hymne national, certains criaient “Blaise dégage !”. Tout à coup, les militaires nous tiraient dessus, c’était la débandade, on courait dans tous les sens, des gens sont tombés devant moi. Un des blessés graves, Tibo Kabré, a été emmené à l’hôpital Yalgado, il est décédé peu de temps après. »

De plus, des informations obtenues par Amnesty International indiquent que, le 30 octobre, des gardiens de prisons ont tué par balles trois détenus de la prison centrale de Ouagadougou. Deux autres sont décédés par asphyxie et déshydratation après avoir passé trois jours enfermés dans leur cellule.

Le gouvernement de transition a mis en place un comité ad hoc pour dresser le bilan des violations des droits humains commises suite à « l’insurrection populaire » mais ce comité n’était pas chargé de mener des enquêtes. Amnesty International demande la création d’une commission chargée d’enquêter de manière exhaustive et impartiale sur les faits et les violations perpétrées.

« Pour pouvoir tourner la page dans l’histoire du Burkina Faso, il faut que les autorités de transition veillent à ce que ces graves allégations de violations des droits humains fassent l’objet d’enquêtes indépendantes et impartiales. Toutes les personnes suspectées d’avoir tué ou blessé des manifestants doivent rendre des comptes », a déclaré Gaëtan Mootoo.

« Des mesures doivent être prises de toute urgence pour que l’ensemble des victimes et leurs familles connaissent la vérité et se voient accorder justice et réparation. »

Complément d’information

Ce rapport est issu des conclusions d’une mission de recherche dans le pays menée par Amnesty International.

Les manifestations se sont déclenchées après que Blaise Compaoré a essayé, au mois d’octobre 2014, de modifier l’article 37 de la Constitution pour lui permettre de se présenter à nouveau en 2015. C’était la troisième fois depuis le début de sa présidence que Blaise Compaoré tentait de modifier son mandat présidentiel.

D’après les conclusions de la mission de recherche d’Amnesty International de novembre et décembre 2014, 33 personnes sont mortes lors des manifestations dans le pays entre le 30 octobre et le 2 novembre 2014. Parmi ces victimes, 10 ont été tuées par des tirs des forces militaires et de la garde présidentielle, le Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Un rapport indépendant publié en décembre 2014 par une coalition d’organisations burkinabé de défense des droits humains a confirmé ces chiffres.

En droit burkinabé, l’armée nationale, le RSP et la gendarmerie ne peuvent intervenir dans le domaine de l’application des lois que dans certaines conditions très spécifiques. D’après les éléments de preuve recueillis par Amnesty International, ces conditions n’étaient pas réunies lors des récents troubles. Toutefois, la délégation n’a pas pu établir de façon claire si les forces militaires avaient ou non été réquisitionnées. D’après les autorités, il n’y a pas de trace d’un quelconque ordre de réquisition.

En vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) des Nations unies, auquel le Burkina Faso est partie, l’État a l’obligation de protéger le droit à la vie (article 6.1). Le PIDCP énonce également le droit de réunion pacifique.

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