En Azerbaïdjan, la société civile assiégée entrevoit une lueur d’espoir avec la signature le 17 mars, par le président Ilham Aliev, d’un décret ordonnant la libération de 148 prisonniers, dont 10 prisonniers d’opinion, a déclaré Amnesty International.
Cette mesure intervient quelques heures après que la Cour européenne des droits de l’homme a statué que la détention du défenseur des droits humains Rassoul Djafarov, qui fait partie des prisonniers libérés, bafouait le droit international.
" La libération de 10 prisonniers d’opinion est toujours une bonne nouvelle, mais cette joie est tempérée par le fait qu’au moins huit autres sont toujours derrière les barreaux. Si cette mesure est positive, il convient de différer l’éloge des autorités azerbaïdjanaises, qui prendra tout son sens lorsque tous les détenus injustement incarcérés seront libres, et lorsque l’étau sur la société civile sera desserré, a déclaré Denis Krivosheev, directeur adjoint du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.
" Fait affligeant, huit autres journalistes, militants et défenseurs des droits humains sont toujours incarcérés pour des accusations forgées de toutes pièces. Le président Ilham Aliev doit montrer qu’il est déterminé à remédier au terrible bilan des droits humains du pays en les libérant immédiatement et sans condition. "
Amnesty International a recueilli des informations sur le durcissement des restrictions imposées à la société civile et aux militants politiques au cours de l’année 2015. Les détracteurs du gouvernement sont en butte à des mesures de harcèlement et d’intimidation, à des arrestations arbitraires et, dans de nombreux cas, à de lourdes peines de prison.
Les prisonniers relâchés le 17 mars sont Rachadat Akoundov, Rachad Hassanov, Omar Mammadov et Mammad Azizov, tous membres du mouvement de jeunes pro-démocratie NIDA, les militants des droits humains Rassoul Djafarov, Hilal Mammadov et Anar Mammadli, et les opposants Yadigar Sadigov, Siraj Karimov et Tofig Yagoublou. Le défenseur des droits humains Taleh Khasmmadov et le journaliste Raouf Mirgadirov ont également été libérés après avoir été incarcérés pour des motifs à caractère politique.
La décision de la Cour européenne concernant la détention de Rassoul Djafarov
La libération des prisonniers intervient peu après que la Cour européenne des droits de l’homme a statué que la détention du défenseur des droits humains Rassoul Djafarov enfreignait plusieurs articles de la Convention européenne des droits de l’homme.
Rassoul Djafarov, qui préside l’ONG Club des droits humains, est une figure importante de la société civile en Azerbaïdjan. Il a attiré l’attention du monde entier sur les atteintes aux droits humains commises dans le pays en organisant la campagne " Chantez pour les droits " lors du concours de chanson de l’Eurovision 2012, qui s’est déroulé dans la capitale Bakou. En avril 2015, après deux prolongations de sa détention provisoire, il a été reconnu coupable de divers chefs d’inculpation à caractère politique, notamment de fraude fiscale, d’abus d’autorité, de non-respect de la législation sur les entreprises et de détournement de fonds, et condamné à une peine de six ans et demi d’emprisonnement.
La Cour européenne a déclaré le 17 mars que les mesures prises à son encontre visaient clairement à le réduire au silence et à le sanctionner pour ses activités en faveur de la défense des droits fondamentaux.
" Le cas de Rassoul Djafarov illustre les graves dysfonctionnements du système judiciaire en Azerbaïdjan, où des accusations sont portées en vue d’exercer une vengeance contre toute personne qui ose critiquer le régime répressif. À travers le jugement rendu aujourd’hui, la Cour européenne adresse un message fort aux autorités azerbaïdjanaises, à savoir que leur répression impitoyable contre la dissidence n’est pas justifiable ", a déclaré Denis Krivosheev.
Toujours privés de liberté
Parmi les prisonniers d’opinion toujours incarcérés en Azerbaïdjan, figure la journaliste Khadija Ismaïlova. Amnesty International avait relaté le traitement choquant que lui ont infligé les autorités dans un rapport publié en 2015 sous le titreGuilty of Defending Rights.
Khadija Ismaïlova a été primée pour son travail d’investigation dénonçant la corruption et les violations des droits humains en Azerbaïdjan. Elle est actuellement incarcérée pour des accusations typiquement réservées aux détracteurs du gouvernement : détournement de fonds, entreprise illégale, évasion fiscale et abus d’autorité. En 2012, elle a reçu un courrier contenant des copies de photos intimes la montrant en plein acte sexuel, prises semble-t-il à l’aide de caméras placées à son insu par des inconnus dans son appartement. Ces images étaient accompagnées d’un message menaçant de la " couvrir de honte " si elle n’abandonnait pas son travail.
L’avocat de renom spécialisé dans la défense des droits humains Intigam Aliev est également maintenu en détention, et son état de santé se détériore rapidement en raison de l’absence de soins médicaux adaptés.
Ilgar Mammadov, figure de proue de l’opposition, est toujours sous les verrous, malgré la décision de la Cour européenne selon laquelle il a été arrêté pour avoir critiqué le gouvernement, et malgré les appels répétés en faveur de sa libération qu’a lancés le Comité des ministres du Conseil de l’Europe.
Les blogueurs Rachad Ramanazov et Elvine Karamov, le militant politique Faraj Karimov, et les membres de NIDA Abdoul Abilov et Ilkin Roustamzadeh sont également incarcérés.
" Le fait que la plupart des prisonniers d’opinion qui demeurent sous les verrous le sont pour les mêmes raisons que ceux qui ont été libérés aujourd’hui ne fait qu’illustrer le caractère arbitraire de la justice en Azerbaïdjan, a déclaré Denis Krivosheev.
" Les autorités doivent libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d’opinion encore incarcérés et prendre des mesures concrètes en vue de garantir le respect des droits fondamentaux dans le pays, conformément au droit international. "