Deux ans après que le peuple syrien s’est soulevé contre son gouvernement lors de manifestations pacifiques, le pays est embourbé dans un conflit sanglant, les deux parties se livrant à des crimes de guerre, écrit Amnesty International dans deux synthèses publiées jeudi 14 mars.
Les recherches menées par l’organisation en Syrie au cours des deux dernières semaines confirment que les forces gouvernementales continuent de bombarder sans discernement les civils, en faisant fréquemment usage d’armes interdites au niveau international, qui réduisent à néant des quartiers entiers. Les prisonniers qu’elles détiennent sont systématiquement soumis à la torture, aux disparitions forcées ou aux exécutions extrajudiciaires.
Quant aux groupes armés de l’opposition, ils recourent de plus en plus aux prises d’otages, ainsi qu’à la torture et aux exécutions sommaires de soldats, de miliciens favorables au gouvernement et de civils capturés ou enlevés.
" Si la vaste majorité des crimes de guerre et des violations flagrantes des droits humains sont toujours le fait des forces gouvernementales, nos recherches appellent l’attention sur la multiplication des exactions imputables aux groupes armés d’opposition, a déclaré Ann Harrison, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International. " Si elles ne sont pas contrées, ces pratiques risquent de s’ancrer encore davantage. Il est impératif que toutes les personnes concernées sachent qu’elles auront à répondre de leurs actes."
Nos recherches établissent une fois de plus que le gouvernement syrien utilise contre la population civile des armes interdites par la réglementation internationale. Le 1er mars, un chercheur d’Amnesty International a trouvé à Alep neuf bombes à sous-munitions qui avaient été larguées par un aéronef à voilure fixe sur un lotissement à forte densité de population. Plus d’une dizaine d’habitants ont été tués et bien d’autres blessés, dont de nombreux enfants.
L’un des habitants, de la famille al Dik, s’est confié à Amnesty International sur la mort de ses proches dans cette attaque : " Inas, 2 ans, Heba, 8 ans, Rama, 5 ans, Nizar, 6 ans, Taha, 11 mois, et Mohammad, 18 mois. Ils sont tous morts. Pourquoi ? Pourquoi bombarder des enfants ? "
Comme toujours lors de ces attaques, le site reste ensuite jonché de sous-munitions qui n’ont pas explosé et continueront de tuer et de mutiler ceux qui les manipulent – trop souvent des enfants. Non loin de là, on retrouvait le bras d’un enfant dans les décombres d’un quartier rasé par un missile balistique sol-sol à longue portée tiré par les forces gouvernementales à des centaines de kilomètres.
Il y a peu, des centaines d’habitants, dont beaucoup d’enfants, ont été tués et blessés lors de trois attaques qui ont anéanti des familles entières. Sabah, jeune femme de 31 ans qui a survécu au carnage, a parlé à Amnesty International des proches qu’elle a perdus : " Mes filles Isra, Amani et Aya, âgées de quatre, six et 11 ans, mon mari, ma mère, ma sœur Nour de 14 ans, et les trois fils de mon autre sœur, Ahmad, Abdallah et Mohammad, qui avaient 18 mois, trois ans et quatre ans. Tous ont péri. Qu’est-ce qui me reste dans cette vie ? "
Des milliers de personnes ont trouvé la mort en Syrie ces derniers mois lors d’attaques similaires menées par les troupes gouvernementales avec des armes qui ne doivent jamais être utilisées contre des zones habitées par des civils. Dans d’autres secteurs d’Alep, on repêche presque quotidiennement dans la rivière des corps d’hommes et de garçons, les mains liées derrière le dos, une balle dans la tête. Les cadavres descendent la rivière depuis une zone de la ville que contrôlent les forces gouvernementales. Parmi les victimes retrouvées la première semaine de mars, il y avait un garçon de 12 ans et son père. Ils avaient " disparu " dans un quartier de la ville contrôlé par le gouvernement, comme d’autres personnes qui ont pu être identifiées.
Une vidéo filmée dans une autre région du pays montre un garçon apparemment âgé de 12 ou 14 ans, tenant une machette, debout au-dessus d’un homme – identifié plus tard comme étant le colonel Izz al Din Badr. Il est couché à plat ventre sur le sol, les mains attachées derrière le dos. On peut entendre une voix en arrière-plan crier : " Il n’en a pas la force. " Le garçon abat la machette sur la nuque de l’homme, parmi les encouragements des membres d’un groupe armé d’opposition.
" Le nombre d’enfants tués et mutilés en Syrie lors des bombardements effectués par les forces gouvernementales s’accroît considérablement. Beaucoup d’entre eux ont vu leurs parents, leurs frères et sœurs et leurs voisins déchiquetés sous leurs yeux. Ils grandissent en étant témoins d’horreurs inimaginables ", a commenté Ann Harrison.
Dans un secteur au sud de Damas, des témoins ont décrit un " trou de la mort " : les forces armées de l’opposition y auraient jeté les corps des combattants pro-gouvernementaux et des informateurs présumés du régime qu’elles ont exécutés. Des habitants ont raconté au chercheur d’Amnesty International qu’un homme accusé d’être un collaborateur avait été retrouvé après avoir été exécuté par un groupe d’opposition. Un voisin a témoigné : " Nous y sommes allés immédiatement et l’avons trouvé sur un monceau de déchets, un impact de balle au milieu du front, une blessure par balle à l’épaule. Il avait le genou cassé. Sur le carton marron accroché sur sa dépouille, on pouvait lire ces mots : " Collaborateur (awayni), colonel Helal Eid ".
D’après l’ONU, plus de deux millions de civils sont déplacés à l’intérieur de la Syrie. Ayant fui leur foyer, beaucoup se retrouvent de nouveau confrontés aux tirs d’obus et aux bombardements dans les zones où ils ont cherché refuge, et doivent à nouveau partir. La Turquie a partiellement fermé sa frontière, et des milliers de personnes déplacées se retrouvent bloquées du côté syrien dans des conditions épouvantables.
" Chaque heure qui s’écoule face à l’indécision de la communauté internationale est synonyme de nouvelles victimes. Combien de civils doivent encore perdre la vie avant que le Conseil de sécurité de l’ONU ne saisisse le procureur de la Cour pénale internationale de la situation en Syrie, afin de mettre en œuvre l’obligation de rendre des comptes pour ces crimes insupportables ? ", s’est interrogée Ann Harrison.