La fermeture de la route des Balkans début mars 2016 et la mise en œuvre de l’accord UE-Turquie, le même mois, a entraîné une hausse stupéfiante de la violence commise par les forces de sécurité aux frontières à l’encontre des migrants qui continuent leur périple vers le nord à travers les Balkans. Ceux-ci sont contraints de vivre dans des conditions indignes ; loin d’être protégés, ils subissent de plein fouet l’application de mesures qui violent de manière flagrante le droit international et européen.
En mars 2016, l’accord EU-Turquie est approuvé lors d’un Conseil européen par les États européens, dont le Luxembourg. Il visait principalement à faire cesser la traversée de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants de la Turquie vers la Grèce. Si le seul indicateur de réussite est la baisse du nombre d’arrivées en Europe via la Turquie, l’accord est bel et bien une réussite. Toutefois, tout accord ou mesure visant à endiguer les arrivées de demandeurs d’asile, quelles que soient les conséquences, constitue déjà une violation des droits d’asile et de non-refoulement.
Un an après sa mise en œuvre, les dirigeants européens continuent pourtant régulièrement à saluer ses «résultats positifs», ses «progrès constants». Ce que les responsables de l’UE oublient de mentionner et refusent de reconnaître, ce sont les conséquences dévastatrices de cet accord sur les vies et la santé de milliers de réfugiés, de demandeurs d’asile et de migrants bloqués sur les îles grecques et dans les Balkans. De plus, dans la réalité, malgré les murs de barbelés, aucune frontière n’est complètement hermétique : si le flux de migrants a baissé considérablement, il ne s’est jamais endigué ; leurs routes se sont fragmentées et leurs voyages sont de plus en plus dangereux.
La Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et la directive du Parlement européen et du Conseil (article 8, 2013/33 / UE) établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale stipulent des conditions et des normes minimales pour l’accueil des migrants / réfugiés. « Ce dont nous sommes témoins sur le terrain, c’est que les conditions les plus élémentaires d’hébergement, d’eau potable et d’assainissement ne sont pas offertes. Les personnes vulnérables vivent dans des conditions indignes et inhumaines, y compris les enfants et les mineurs non accompagnés », explique le Dr Rony Zachariah, responsable de l’unité de recherche opérationnelle LuxOR.
« Ce ne sont pas les moyens qui manquent, mais la volonté politique de respecter les lois mêmes que nous avons approuvées en Europe », poursuit le Dr Rony Zachariah. Les conditions indignes et inhumaines d’accueil se sont par ailleurs accompagnées d’une hausse importante des violences à l’égard des migrants, particulièrement à la frontière serbo-hongroise. Après avoir construit la plus longue clôture de barbelés en Europe, la Hongrie a légalisé les renvois et refusé le droit de demander asile à plus de 19 000 personnes rien qu’au cours des six derniers mois de 2016.
À partir de la mi-décembre 2016, la clinique de MSF à Belgrade a observé une augmentation du nombre de blessures volontaires, particulièrement chez les personnes revenant de la frontière hongroise après avoir essayé de la traverser, sans succès. En février de cette année, la situation s’est tellement dégradée que les équipes médicales de MSF ont été contraintes de transférer certains patients à l’hôpital du fait de blessures trop graves.
De mars 2016 à février 2017, MSF a soigné 106 personnes souffrant de blessures qui, selon leurs dires, auraient été commises par les patrouilles frontalières hongroises. Parmi elles, 54 blessures par coups de poing ou de pied, 24 morsures de chien, 15 cas d’irritation découlant de l’usage de gaz lacrymogène et de gaz poivré et 35 autres cas de blessures graves. Sur les 106 patients, 22 étaient des mineurs non accompagnés. L’ensemble de ces cas présentaient les mêmes symptômes de mauvais traitements, tels que des actes d’humiliation, des passages à tabac et des attaques de chien.
« Un an après la fermeture officielle de la route des Balkans, les migrants sont exposés à des risques toujours plus grands, contraints de subir des traitements inhumains. Les droits humains fondamentaux ne sont clairement plus respectés au cœur même de l’Europe», explique Jovana Arsenijević.
Les violences rapportées par MSF s’inscrivent dans un contexte qui voit la Hongrie bafouer systématiquement les droits des réfugiés et des migrants, et ce malgré les critiques internationales croissantes. Ainsi, le 7 mars dernier, le gouvernement hongrois a adopté une série de modifications de la loi qui autorisent désormais la détention systématique des demandeurs d’asile (y compris les enfants et les personnes vulnérables) pendant l’examen de leur dossier, ainsi que l’expulsion des personnes en situation irrégulière.
« Ces modifications de la loi violent gravement les obligations internationales et européennes de la Hongrie, d’autant plus qu’elles frappent également les enfants », a déclaré Júlia Iván, directrice de Amnesty International Hongrie. « Elles sont d’autant plus inacceptables qu’elles concernent des personnes qui fuient souvent la guerre et sont donc parmi les plus vulnérables au monde ».
« C’est pourquoi nous appelons le Luxembourg et l’Union européenne à agir contre ces violations graves des droits humains », a ajouté Stan Brabant, directeur d’Amnesty International Luxembourg. « Nous appelons également les autres Etats membres à ne pas renvoyer les demandeurs d’asile en Hongrie en vertu du règlement de Dublin car les conditions de détention dans les zones de transit y sont inhumaines et violent le droit européen ».