La communauté des défenseur·e·s des droits humains afghans est confrontée à une multiplication des attaques menées contre elle par les autorités et des groupes armés, les militants étant en butte à des manœuvres d’intimidation et de harcèlement, à des menaces et à des violences, avertit Amnesty International dans un rapport publié le 28 août.
Dans un contexte d’escalade de la violence en Afghanistan, alors qu’un nombre record de civils tués a été enregistré l’an dernier et que le mois dernier a été le plus violent de ces deux dernières années, les défenseurs et militants des droits humains sont largement délaissés par le gouvernement afghan et la communauté internationale.
Dans le rapport Defenceless Defenders: Attacks on Afghanistan’s Human Rights Community (en anglais), Amnesty International révèle que le gouvernement afghan s’est de façon répétée abstenu d’enquêter sur des attaques commises contre des militants des droits humains, les accusant dans certains cas d’avoir « forgé de toutes pièces » leurs plaintes, et leur disant même de prendre les armes pour se défendre.
« C’est actuellement l’une des périodes les plus dangereuses pour les militants des droits humains en Afghanistan. Ils travaillent dans l’un des environnements les plus risqués au monde et sont confrontés à des menaces venant à la fois du gouvernement et des groupes armés. Le gouvernement afghan est tenu de respecter, protéger et soutenir les militants, d’enquêter sur les menaces et les attaques dont ils font l’objet, et d’amener les responsables présumés de ces agissements à rendre des comptes, a déclaré Omar Waraich, directeur adjoint pour l’Asie du Sud à Amnesty International.
« La communauté internationale a un rôle important à jouer dans le cas présent. Elle salue depuis longtemps le courage des militants des droits humains en Afghanistan, mais elle s’abstient de reconnaître leurs réalisations et de les soutenir efficacement en ces temps de plus en plus difficiles. La communauté internationale doit intervenir et apporter à la communauté afghane des droits humains l’aide dont elle a besoin de toute urgence. »
Violences, menaces et homicides
Dans ce rapport, Amnesty International montre de façon détaillée que les militants et défenseurs des droits humains sont intimidés, harcelés, menacés, attaqués avec des armes à feu et même tués, et que les autorités s’abstiennent d’enquêter sur ces agissements et d’engager des poursuites contre les responsables présumés.
· En octobre 2015, deux membres du personnel de la Commission afghane indépendante des droits humains (CAIDH) ont été tués et deux autres blessés par l’explosion d’une bombe placée en bordure de route dans la province orientale du Nangarhar.
« Pour l’instant, le gouvernement n’a malheureusement procédé à aucune arrestation, a indiqué à Amnesty International un représentant de la CAIDH. Nous n’avons été informés d’aucune avancée [dans l’enquête]. »
· En septembre 2016, Khalil Parsa, un militant des droits humains de la province d’Herat, a été visé par sept tirs d’arme à feu alors qu’il rentrait chez lui. Cette attaque est intervenue après une série de menaces qu’il a reçues, l’engageant à mettre fin à son travail de défense des droits humains.
Quand Khalil Parsa a signalé ces menaces à la Direction nationale de la sécurité, on lui a simplement dit d’informer les services de sécurité la prochaine fois que de tels faits se produiraient. Il a quitté le pays de façon temporaire pour se mettre en sécurité à l’étranger, et a par la suite appris que le gouvernement n’allait pas enquêter sur l’attaque dont il avait été victime.
· En octobre 2018, « Mohammed » (ce n’est pas son vrai nom) rentrait chez lui à pied à Kaboul quand il a été pris en chasse près de son domicile et touché par une balle qui l’a atteint au foie. Mohammed n’a reçu aucune protection, alors qu’il a demandé de l’aide aux autorités.
On lui a dit d’acheter une arme à feu et d’« assurer [lui-même] sa protection ». Il a été contraint d’aller vivre ailleurs pour se mettre en sécurité.
· « Hasiba » (ce n’est pas son vrai nom) est une avocate qui défend les femmes qui ont été victimes de violences domestiques, qui veulent divorcer ou qui sont inculpées d’infractions pénales.
Hasiba a reçu depuis 2017 de nombreuses menaces de violences, notamment d’attaque à l’acide. La police a enregistré sa plainte, mais n’a pris aucune mesure, ce qui l’a contrainte à fermer pendant sept mois son cabinet d’avocate.
Menacés par le gouvernement
En décembre 2016, le président afghan Ashraf Ghani s’est engagé à protéger les droits des militants et défenseurs des droits humains. « La protection des défenseurs est sous l’entière responsabilité de mon gouvernement, et de ses branches législative et judiciaire », a-t-il déclaré lors d’une conférence organisée par la CAIDH.
Au lieu de respecter cet engagement, le gouvernement s’est lui-même rendu responsable de manœuvres d’intimidation et de harcèlement et de menaces visant des militants et défenseurs des droits humains.
En juin 2016, les autorités afghanes ont utilisé une force excessive sur la place Zanbaq, à Kaboul, pour disperser une manifestation contre les victimes civiles du conflit.
Lors d’une précédente manifestation, l’un des organisateurs avait dit à Amnesty International qu’il avait été contacté par le cabinet présidentiel et qu’on lui avait conseillé d’enlever les tentes des manifestants parce qu’ils risquaient d’être « attaqués » par des groupes armés, ce qu’il a interprété comme étant des menaces.
En mai 2017, le bilan de l’Afghanistan en ce qui concerne l’utilisation de la torture a été examiné par les Nations unies. En amont de l’examen réalisé par le Comité des Nations unies contre la torture, une organisation de la société civile a été forcée d’ôter les noms de hauts responsables du gouvernement mentionnés dans un « contre-rapport », avant de soumettre ce rapport.
« Aucune confiance »
Comme rien n’a été fait pour protéger les militants et défenseurs des droits humains et pour enquêter sur les menaces et les attaques dont ils ont été victimes, plusieurs militants des droits humains ont dit à Amnesty International qu’ils n’ont aucune confiance dans le gouvernement.
« Il n’y a plus aucune confiance, a déclaré à Amnesty International « Ishaqzia » (ce n’est pas son vrai nom). « Nous avons compris que nous ne serons pas protégés. »
Ce sentiment a été exacerbé par des cas où les autorités ont accusé des militants d’avoir inventé des menaces contre eux, ou refusé de leur offrir une protection.
« Shahzad » (ce n’est pas son vrai nom) est une militante des droits humains qui a reçu des menaces sur Facebook de la part de talibans. « Tu es la servante des juifs et des infidèles […] nous avons demandé aux moudjahidines de t’envoyer en enfer », disait l’un de ces messages.
Quand Shahzad a signalé ces menaces à la CAIDH, cette dernière a fait suivre l’information à la Direction nationale de la sécurité (DNS), le service de renseignements afghan. La DNS a refusé de prendre ces menaces au sérieux, estimant qu’elles avaient été « forgées de toutes pièces ».
Deux militants interrogés par Amnesty International ont déclaré que quand ils ont signalé les attaques dont ils avaient été victimes, on ne leur a offert aucune protection, et on leur a à la place conseillé d’acheter des armes pour se protéger.
« Les défenseurs des droits humains en Afghanistan font preuve d’un grand courage en dépit du contexte très difficile dans lequel ils exercent leurs activités. Face aux lourdes menaces qui pèsent sur leur vie et leur bien-être, ils continuent de dénoncer les injustices et de se mobiliser pour les droits d’autrui. Il est grand temps que les autorités afghanes et la communauté internationale se mobilisent pour que les droits de ces défenseurs soient eux aussi protégés », a déclaré Omar Waraich.