La 60e session de la Commission de la condition de la femme des Nations unies s’est achevée sur la réaffirmation par les gouvernements de leur engagement en faveur de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing ainsi que des documents issus des conférences d’examen, et de leur attachement à l’incorporation de la parité et du respect des droits des femmes à la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030. De nombreux gouvernements se sont cependant abstenus de saisir cette occasion de concrétiser leurs engagements en faveur des droits fondamentaux des femmes et de la parité ; un nombre considérable d’États se sont en outre opposés à l’inclusion de références à des droits importants qu’ils avaient précédemment approuvées.
Les conclusions adoptées sans vote lors de la réunion finale de la Commission réaffirment que la parité, l’autonomisation des femmes et des filles, et le respect de leurs droits sont des facteurs essentiels aux progrès requis pour mettre en œuvre le Programme à l’horizon 2030. Elles exigent par ailleurs que les États membres des Nations unies intègrent l’égalité entre les genres et les droits des femmes à l’ensemble des programmes et politiques relatifs à l’élimination de la pauvreté et au développement durable, y compris aux Objectifs de développement durable.
Amnesty International se félicite qu’il soit reconnu que l’autonomisation des femmes et des filles, et leurs droits fondamentaux ne se concrétiseront véritablement que si les causes des inégalités de genre sont combattues, notamment les déséquilibres dans les rapports de force, et les normes sociales et les pratiques et stéréotypes perpétuant la discrimination contre les femmes et les filles. Cela inclut les formes multiples et croisées de discrimination avec lesquelles de nombreuses femmes et filles sont aux prises tout au long de leur vie, ainsi que les violences et pratiques dangereuses liées au genre, citées dans les conclusions. La Commission exhorte par ailleurs les États à lutter contre les obstacles spécifiques privant du plein exercice de leurs droits certains groupes marginalisés de femmes et de filles, notamment les migrantes et les réfugiées, les femmes autochtones ou vivant en milieu rural, et les femmes et les filles vivant avec un handicap.
Ce document n’évoque cependant pas les discriminations et violences spécifiques dont font l’objet les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexuées, et il est décevant de voir que le Saint-Siège et d’autres États s’opposent aux initiatives visant à reconnaître et réparer les violences dont sont victimes certaines personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre. Les États doivent protéger le droit de chaque femme de vivre sans faire l’objet de violences ni de discrimination aucune – y compris en raison de son orientation sexuelle et de son identité ou expression de genre perçues ou avérées.
Les conclusions contiennent un appel positif incitant les gouvernements à rendre « universellement accessibles et disponibles […] des services, des infrastructures, une information et une éducation complètes et de qualité en matière de santé sexuelle et procréative », notamment des méthodes de contraception moderne, des soins de santé maternelle tels que l’encadrement des accouchements par du personnel qualifié et les soins obstétriques d’urgence, ainsi que la prévention et le traitement des infections de l’appareil génital, des infections sexuellement transmissibles comme le VIH, et des cancers de l’appareil reproducteur.
Les conditions à la mise à disposition de certains de ces services inspirent cependant des inquiétudes, comme le fait que l’avortement médicalisé ne peut être accessible que lorsque la législation du pays l’autorise. Comme au cours des années précédentes, l’inclusion d’aspects essentiels des droits sexuels et reproductifs se heurte à la résistance et à l’opposition de quelques délégations gouvernementales et de groupes représentant certains intérêts. Il est décevant de voir des gouvernements introduire des restrictions à des droits établis de longue date, comme le droit de chaque personne d’être maîtresse de sa sexualité et d’en décider librement et de manière responsable. Le document n’a par ailleurs pas mentionné le fait que fournir une éducation sexuelle complète est un moyen crucial d’habiliter jeunes femmes, adolescentes et fillettes à prendre des décisions libres et éclairées quant à leur sexualité et leur vie, et de leur permettre de participer pleinement et équitablement au développement.
De telles restrictions et omissions sont incompatibles avec les normes internationales relatives aux droits humains et les obligations en la matière qui incombent aux États. Les États sont tenus de garantir que les individus puissent exercer leurs droits sexuels et reproductifs, notamment le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint et le droit de ne pas subir de discrimination. La culture, la religion, la tradition, le contexte national et le cadre juridique ne sauraient être invoqués pour justifier des discriminations et des violations des droits humains.
Les familles peuvent jouer un rôle dans le développement, notamment dans la concrétisation des Objectifs de développement durable pour les femmes et les filles. Les conclusions engagent les États à axer leurs politiques familiales sur la réalisation de la parité, l’autonomisation des femmes, et l’amélioration de la participation des femmes à la société. Le document fait cependant référence à « la famille » sans reconnaître les formes très diverses qu’elle revêt dans le monde. Il n’aborde pas non plus le fait que pour beaucoup de femmes et de filles, les violations de leurs droits surviennent dans un contexte familial.
Amnesty International se réjouit que les États membres des Nations unies reconnaissent que les femmes doivent bénéficier d’une participation pleine, égale et effective, ainsi que d’occasions d’exercer un rôle de direction dans des conditions d’égalité, dans la prise de décisions à tous les niveaux de la vie politique, économique et publique. Les femmes et les filles sont des agents du changement et du développement, et les gouvernements doivent leur permettre d’apporter une contribution significative, y compris les femmes appartenant aux groupes les plus marginalisés.
Amnesty International se félicite qu’ait été évoqué le rôle important joué par les organisations de la société civile dans la mise en œuvre du Programme d’action de Beijing et du Programme de développement durable à l’horizon 2030 – en particulier par des organisations féminines et associatives, des groupes féministes, des organisations de jeunesse et des syndicats. Si les conclusions ont reconnu le rôle spécifique joué par les femmes défenseures des droits humains au sein de la société civile afin de mettre en avant les intérêts, les besoins et les visions qui sont ceux des femmes et des filles dans des sphères telles que le Programme à l’horizon 2030, il est décevant que ces mêmes conclusions ne citent pas explicitement ces militantes dans l’appel en faveur d’un environnement sûr et progressiste.
Les défenseures des droits humains sont des actrices légitimes et cruciales de la mise en œuvre de l’Agenda 2030, en particulier dans les domaines de l’égalité des sexes, de l’élimination de la pauvreté, de la protection de l’environnement, de la réduction des inégalités et de la promotion de sociétés pacifiques et inclusives, favorables à un développement durable. Les gouvernement doivent instaurer un environnement sûr permettant aux défenseures des droits humains de mener leur action sans subir de harcèlement, d’actes d’intimidation ni de violences de la part d’acteurs étatiques ou non étatiques.
Amnesty International se félicite que la Commission ait conscience qu’il est important de recueillir en temps utile des données de qualité, fiables, ventilées par genre, âge, revenu et autres critères pertinents. La collecte, l’analyse et la dissémination de données ventilées est essentielle afin d’effectuer un suivi des avancées en faveur des femmes et des filles en ce qui concerne la mise en œuvre des Objectifs de développement durable.
Il est regrettable que les conclusions n’exhortent pas les États à s’engager à établir des mécanismes solides et indépendants de suivi et d’obligation de rendre des comptes dans le cadre de la mise en œuvre du Programme 2030, conformément à leurs obligations existantes en matière de droit international relatif aux droits humains.
Les États doivent mettre en place des mécanismes efficaces de suivi au niveau national et impliquer la société civile et d’autres parties intéressées, notamment les femmes défenseures des droits humains, dans le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre du Programme 2030. Les femmes et les filles, en particulier celles appartenant à des groupes défavorisés, doivent être soutenues et autorisées à participer aux évaluations permettant de déterminer si cette mise en œuvre, y compris le budget qui y est alloué, répond à leurs besoins et à leurs priorités. Les évaluations doivent également prendre en compte les recommandations des organes de suivi du respect des droits humains, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes et des filles. Les États doivent en outre veiller à ce que les organisations du secteur privé participant au financement et à la mise en œuvre de l’Agenda 2030 adhèrent à des règlements appropriés, donnent des garanties et rendent obligatoirement des rapports. Ils doivent garantir que les activités du secteur privé ne portent pas atteinte aux droits humains des femmes et des filles. En cas de privatisation de services publics essentiels à l’exercice des droits humains, les États – en leur qualité de dépositaires ultimes des droits humains – ont toujours la responsabilité de veiller à ce que ces services soient fournis dans le respect des obligations et principes en vigueur en matière de droits humains.
Pour terminer, Amnesty International exhorte les gouvernements à veiller à ce que l’engagement des Objectifs de développement durable et du Programme 2030 à « n’abandonner personne » ne se résume pas à des discours, mais soit traduit en mesures et actes concrets contribuant à la pleine réalisation des droits fondamentaux de toutes les femmes et filles, ce qui leur permettra de vivre leur vie dans l’égalité et la dignité. Les gouvernements doivent tenir leurs engagements, et doivent voir la Commission de la condition de la femme comme une occasion de réfléchir aux droits des femmes et à la parité, de les faire progresser, et de faire montre de la volonté politique de dépasser le statu quo afin que nos sociétés soient plus justes pour toutes les femmes et les filles.
Contexte
La Commission de la condition de la femme des Nations unies se réunit annuellement à New York. Composée de 45 États membres, la CSW est le principal organe mondial décisionnaire dédié exclusivement aux questions d’égalité entre les genres et de promotion des femmes, avec pour but de faire avancer les droits des femmes dans les domaines politique, économique, civil, social et éducatif. Elle a pour mission de garantir la pleine application des accords internationaux existants sur les droits des femmes et l’égalité entre les genres.
La 60e session de la Commission a eu lieu du 14 au 24 mars 2016, et avait pour thème « Autonomisation des femmes et son lien avec le développement durable ». Les conclusions de la 60e session de la Commission font suite à l’adoption des Objectifs de développement durable en 2015 et ont donné aux gouvernements l’occasion de s’engager en faveur de mesures pratiques autonomisant les femmes et les filles, et de veiller à ce que les efforts en matière de développement luttent contre les inégalités et les discriminations structurelles qui influent sur la vie des femmes et des filles de manière disproportionnée.