En 2019, alors que des millions de personnes sont descendues dans la rue afin de protester contre des violences, des inégalités, une corruption et une impunité généralisées, ou ont été forcées à quitter leur pays en quête de sécurité, divers États des Amériques ont restreint le droit de manifester et le droit de demander l’asile, faisant preuve d’un mépris flagrant pour les obligations auxquelles ils sont tenus en vertu du droit national et du droit international, a déclaré Amnesty International jeudi 27 février à l’occasion du lancement de son rapport annuel portant sur la région.
« L’année 2019 a été marquée par une intensification des attaques contre les droits humains à travers une grande partie des Amériques, répression menée par des dirigeants intolérants et de plus en plus autoritaires employant des tactiques toujours plus violentes afin d’empêcher les citoyen·ne·s de manifester ou de chercher à se mettre en sécurité dans un autre pays. Cependant, nous avons aussi vu des jeunes gens se mobiliser et réclamer des changements à travers la région, ce qui a déclenché d’énormes manifestations, très suivies. Leur courage face à la brutalité de la répression d’État nous donne de l’espoir et montre que les générations futures ne se laisseront pas intimider », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice d’Amnesty International pour la région des Amériques.
« Tandis que se profilent à l’horizon de nouveau troubles sociaux, instabilité politique et destructions environnementales dans la région des Amériques en 2020, la lutte en faveur des droits humains est plus urgente que jamais. Et ne nous y trompons pas, les dirigeants politiques qui sèment la haine et la division dans le but de diaboliser et de fragiliser les droits d’autrui se retrouveront du mauvais côté de l’histoire. »
Les manifestant·e·s et défenseur·e·s des droits humains ont été confrontés au déchaînement de la violence et de la répression d’État
Des mouvements de protestation, souvent menés par des jeunes, sont montés en puissance, porteurs de demandes en faveur de l’obligation de rendre des comptes et du respect des droits humains dans des pays tels que le Venezuela, le Honduras, Porto Rico, l’Équateur, la Bolivie, Haïti, le Chili et la Colombie en 2019, mais les autorités ont d’une manière générale réagi en employant des tactiques répressives et faisant de plus en plus souvent intervenir l’armée, au lieu d’établir des mécanismes favorisant le dialogue et de répondre aux inquiétudes des manifestant·e·s.
La répression au Venezuela a été particulièrement dure, les forces de sécurité gouvernementales de Nicolás Maduro s’étant rendues coupables de crimes de droit international et de graves violations des droits humains, notamment d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires et d’un recours excessif à la force susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité. Au Chili, l’armée et la police ont en outre délibérément cherché à blesser les manifestant·e·s afin de museler l’opposition. Au moins quatre personnes ont ainsi été tuées et des milliers d’autres ont été grièvement blessées.
En tout, au moins 202 personnes ont connu une mort violente en relation avec des manifestations s’étant déroulées à travers les Amériques : 83 en Haïti, 47 au Venezuela, 35 en Bolivie, 23 au Chili, huit en Équateur et six au Honduras.
En 2019, l’Amérique latine était une nouvelle fois la région la plus dangereuse du monde pour les défenseur·e·s des droits humains. Les personnes qui s’engageaient pour la protection des droits fonciers, territoriaux et environnementaux risquaient tout particulièrement d’être victimes d’homicides ciblés, de poursuites judiciaires, de déplacements forcés et de manœuvres de harcèlement. La Colombie a conservé le bilan le plus meurtrier en ce qui concerne les défenseur·e·s des droits humains, avec au moins 106 homicides, principalement de dirigeant·e·s indigènes, afro-colombiens et paysans dans le contexte du conflit interne continuant à faire rage dans ce pays.
Le Mexique a été l’un des pays les plus impitoyables à l’égard des journalistes ; pas moins de 10 d’entre eux y ont été tués en 2019. Le Mexique a également enregistré un nombre record d’homicides mais s’est entêté à appliquer des stratégies sécuritaires ayant déjà échoué par le passé, en créant une garde nationale militarisée et en adoptant une loi alarmante sur le recours à la force.
La violence armée demeurait l’un des principaux motifs de préoccupation relatifs aux droits humains aux États-Unis. Trop d’armes étaient en circulation et la législation en vigueur était insuffisante pour en garder la trace et pour garantir qu’elles ne tombent pas entre les mains de personnes ayant l’intention de nuire. En vertu d’une nouvelle règle annoncée par le gouvernement américain en janvier 2020, il est devenu bien plus facile qu’avant d’exporter des fusils d’assaut, des pistolets fabriqués avec des imprimantes 3D, des munitions et d’autres armes vers l’étranger, et d’alimenter au-delà des frontières américaines une violence armée incontrôlable, en particulier dans les autres pays des Amériques. De même, au Brésil, le président Jair Bolsonaro a signé une série de décrets qui, entre autres conséquences inquiétantes, ont assoupli la réglementation relative à la détention et au port d’arme.
Divers gouvernements ont adopté des positions hostiles face aux migrant·e·s, aux réfugié·e·s et aux personnes en quête d’asile
Le nombre d’hommes, de femmes et de mineur·e·s ayant fui la crise des droits humains au Venezuela ces dernières années s’élève désormais à près de 4,8 millions – un chiffre sans précédent dans les Amériques – mais le Pérou, l’Équateur et le Chili ont réagi en imposant de nouvelles conditions d’entrée sur leur territoire et en renvoyant illégalement des Vénézuélien·e·s ayant besoin d’une protection internationale.
Plus au nord, le gouvernement américain a utilisé le système de justice de manière abusive pour harceler des défenseur·e·s des droits des migrant·e·s et priver illégalement de liberté des mineur·e·s fuyant des situations violentes, et a adopté de nouvelles mesures et politiques afin de battre en brèche et de restreindre fortement l’accès à l’asile, ce qui est contraire à ses obligations en vertu du droit international.
Si des personnes ont continué à essayer de demander la protection des États-Unis en raison de violences persistantes et généralisées, le gouvernement de Donald Trump les a exposées au danger. Des milliers de personnes ont ainsi été forcées d’attendre dans des conditions dangereuses au Mexique au titre de « Protocoles de protection des migrants » au nom trompeur, également connus sous l’appellation « Rester au Mexique ».
Les États-Unis ont soumis un nombre croissant de personnes en quête d’asile à des programmes d’expulsion rapide entourés de secret qui faisaient fi du droit de ces personnes de bénéficier des conseils d’un·e avocat·e. Ils ont par ailleurs poussé les pays voisins à bafouer le droit de demander l’asile, en faisant pression sur le Guatemala, le Salvador et le Honduras afin qu’ils signent une série d’accords mal conçus et reposant sur des conjectures concernant les « Pays tiers sûrs ».
Après que l’administration Trump a menacé d’imposer de nouveaux tarifs douaniers, le gouvernement mexicain a non seulement accepté de recevoir et d’accueillir des demandeurs d’asile renvoyés de force dans le cadre d’un protocole de protection des migrant·e·s, mais a en outre déployé des soldats afin d’empêcher les personnes originaires d’Amérique centrale de se rendre jusqu’à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.
De vives inquiétudes subsistent en matière d’impunité, d’environnement et de violences liées au genre
L’impunité est restée la norme à travers la région. Le gouvernement guatémaltèque a compromis l’accès à la justice de victimes de violations graves des droits humains, en mettant fin aux activités de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) en 2019, avant que le gouvernement du Honduras voisin n’annonce la fin de la Mission de soutien à la lutte contre la corruption et l’impunité au Honduras (MACCIH) en janvier 2020.
Les inquiétudes en rapport avec l’environnement ont continué à s’intensifier à travers les Amériques, notamment après l’annonce par le gouvernement des États-Unis de son intention de se retirer de l’Accord de Paris, tandis que des peuples autochtones ont payé un lourd tribut aux graves crises environnementales dans la région amazonienne, au Brésil, en Bolivie, au Pérou et en Équateur. Le Brésil a été tout particulièrement touché. Les politiques anti-écologiques du président Jair Bolsonaro ont alimenté des feux de forêt qui se sont avérés dévastateurs en Amazonie, et abandonné des peuples autochtones face à l’exploitation forestière et à l’élevage de bétail illégaux qui se cachaient derrière la confiscation de leurs terres.
Arrivé au pouvoir au début de l’année 2019, Jair Bolsonaro a rapidement traduit en actes son discours hostile aux droits humains, au moyen de diverses mesures administratives et législatives menaçant les droits de tous et de toutes dans le pays. Parallèlement, l’homicide de la défenseure des droits humains Marielle Franco, survenu en 2018 et devenu un véritable symbole, n’avait toujours pas été élucidé à la fin de l’année.
Bien que certains progrès aient été réalisés et que des mouvements des droits des femmes divers et variés se soient développés à travers les Amériques, les violences liées au genre restaient répandues dans la région. En République dominicaine, des policiers ont régulièrement violé, frappé et humilié des travailleuses du sexe, leur faisant subir des sévices pouvant s’apparenter à des actes de torture. Les avancées sur le terrain des droits sexuels et reproductifs des femmes dans la région ont été rares. Les autorités salvadoriennes ont continué à poursuivre en justice des femmes et des jeunes filles, en particulier issues de milieux défavorisés, ayant connu des complications obstétricales, au titre de l’interdiction totale de l’avortement dans le pays. En Argentine, toutes les trois heures, une jeune fille de moins de 15 ans accouchait, dans la majorité des cas à l’issue d’une grossesse forcée consécutive à des violences sexuelles.
Victoires et motifs d’optimisme sur le terrain des droits humains en 2020
L’année écoulée a également livré quelques nouvelles positives. À la fin 2019, 22 pays avaient signé l’Accord d’Escazú, un traité régional révolutionnaire relatif aux droits environnementaux. L’Équateur est devenu le huitième pays à ratifier cet accord, en février ; il suffit donc que trois autres États fassent de même pour que ce texte entre en vigueur.
Aux États-Unis, un tribunal de l’Arizona a déclaré Scott Warren, bénévole humanitaire, non coupable d’avoir « abrité » deux migrants en novembre, après qu’il leur a fourni de la nourriture, de l’eau et un lieu où dormir, et une juge fédérale a annulé la déclaration de culpabilité de quatre autres bénévoles humanitaires accusées de faits similaires en février.
L’acquittement d’Evelyn Hernández, qui avait été accusée d’homicide volontaire avec circonstances aggravantes après une urgence obstétricale au Salvador, a constitué une nouvelle victoire pour les droits humains, même si le parquet a depuis lors fait appel de cette décision. Des jeunes femmes et jeunes filles sont par ailleurs apparues en première ligne de mouvements principalement dirigés par des jeunes et visant à défendre les droits humains, ce qui est source d’optimisme pour 2020, comme l’attestent les vigoureuses manifestations féministes qui se sont déroulées dans des pays comme l’Argentine, le Chili et le Mexique.
« La "vague verte" constituée par des femmes et des jeunes filles revendiquant leurs droits sexuels et reproductifs et réclamant la fin des violences liées au genre a déferlé à travers les Amériques avec une force irrésistible. De Santiago à Washington, leurs interprétations impressionnantes de l’hymne féministe "Un violeur sur ton chemin" ont fourni la bande-son de l’action solidaire en 2019 et ravivé chez nous l’envie de voir ce que nous pouvons accomplir cette année », a déclaré Erika Guevara-Rosas.
« Alors qu’une nouvelle décennie débute, nous ne pouvons laisser les gouvernements des Amériques continuer à répéter les erreurs du passé. Au lieu de restreindre les droits durement acquis des citoyen·ne·s, il faut les développer et s’efforcer de bâtir une région où chaque personne puisse vivre libre et en toute sécurité. »