Des centaines de milliers de personnes prises dans les affres de l’apatridie au Zimbabwe sont marginalisées et rencontrent des difficultés pour accéder à l’éducation, aux soins de santé et au logement, a déclaré Amnesty International ce vendredi 16 avril dans un nouveau rapport. L’organisation s’est entretenue avec des personnes descendant de la main-d’œuvre immigrée qui s’est établie au Zimbabwe avant l’indépendance, et avec des survivantes et survivants des massacres du Gukurahundi perpétrés dans les années 1980, deux groupes exclus de la citoyenneté par un mélange cruel de discrimination et de bureaucratie.
Le rapport, intitulé We are like “stray animals”, montre que les lois discriminatoires et arbitraires du Zimbabwe sur la nationalité ont laissé à la marge des générations de travailleurs migrants et leurs familles dans le seul pays qu’ils aient jamais considéré comme le leur. Parallèlement, des milliers de personnes ayant survécu aux terribles massacres du Gukurahundi, un des épisodes les plus sanglants du règne de Robert Mugabe, se voient refuser la citoyenneté parce qu’elles ne peuvent pas fournir les certificats de décès de leurs parents, qui leur sont demandés pour prouver leur nationalité zimbabwéenne.
« Pour les apatrides du Zimbabwe, la vie quotidienne est un parcours d’obstacles. L’accès à l’éducation, aux soins de santé et à l’emploi peut être un cauchemar, et le sentiment d’exclusion et de rejet est dévastateur », a déclaré Muleya Mwananyanda, directrice adjointe pour l’Afrique australe à Amnesty International.
« Les autorités zimbabwéennes doivent prendre des mesures concrètes pour remédier à cette situation critique, notamment en procédant au recensement et à l’enregistrement de toutes les personnes apatrides. Les autorités doivent veiller à ce que la législation en la matière soit conforme à la Constitution zimbabwéenne elle-même, ainsi qu’au droit international relatif aux droits humains. »
Au Zimbabwe, environ 300 000 personnes sont actuellement menacées d’apatridie, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Faute de données officielles, leur nombre exact est inconnu.
Migration et apatridie
Les recherches d’Amnesty International mettent en évidence les conséquences dramatiques de l’apatridie à la veille du 41e anniversaire de l’indépendance du Zimbabwe, où nombre de personnes espéraient vivre en étant traitées comme les autres, indépendamment de leur orientation politique ou leur origine ethnique. La crise de l’apatridie que traverse actuellement le Zimbabwe trouve ses origines dans l’histoire coloniale. Le gouvernement colonial britannique s’est appuyé en grande partie sur une main-d’œuvre bon marché venue du Malawi, du Mozambique et de la Zambie pour développer ses industries.
Après l’indépendance en 1980, les autorités zimbabwéennes ont adopté une série de lois discriminatoires qui, au fil des ans, ont de fait exclu, marginalisé et privé de droits les personnes descendant de cette main-d’oeuvre immigrée.
Ainsi, la Loi n° 23 de 1984 relative à la citoyenneté a été utilisée pour priver arbitrairement des personnes « d’origine étrangère » de leur droit à la nationalité zimbabwéenne, alors que la plupart d’entre elles pouvaient prétendre à la citoyenneté en vertu de la Constitution. L’article 43 de la Constitution zimbabwéenne dispose en effet que toute personne née au Zimbabwe de parents citoyens d’un État de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) – dont le Malawi, le Mozambique, la Zambie et l’Afrique du Sud – est considérée zimbabwéenne de naissance.
La Loi relative à la citoyenneté n’a toujours pas été alignée sur la Constitution et continue à être utilisée par le ministère de l’Intérieur pour refuser arbitrairement et injustement la citoyenneté aux personnes descendant de travailleurs migrants. De fait, la Loi relative à la citoyenneté accorde des pouvoirs discrétionnaires presque illimités et arbitraires aux fonctionnaires, de haut rang comme subalternes, qui leur permettent de priver des personnes de leurs droits constitutionnels.
En 2001, une nouvelle loi est entrée en vigueur, imposant aux personnes descendant de la main-d’oeuvre migrante de renoncer à leur nationalité d’origine dans un délai de six mois si elles souhaitaient obtenir la citoyenneté zimbabwéenne. De nombreuses personnes n’ont pas été en mesure de le faire parce qu’elles ne détenaient pas les documents d’identité requis. Pour prétendre à la citoyenneté zimbabwéenne, elles devaient d’abord prouver que leurs parents avaient été des ressortissants d’autres pays.
Un homme, Alex, dont le père était zambien, a témoigné : « Je ne sais absolument pas comment retrouver les proches de mes parents, car je ne suis jamais allé en Zambie. »
Alex n’a pas de certificat de décès pour son père, ni pour sa mère zimbabwéenne. En conséquence, il s’est vu refuser la citoyenneté, ce qui l’a empêché de suivre sa scolarité au-delà de l’école primaire, et aucun de ses enfants n’a de certificat de naissance.
Un avenir précaire
Ainsi, les limbes juridiques de l’apatridie se perpétuent de génération en génération. Les parents se voient refuser des certificats de naissance pour leurs enfants s’ils ne peuvent pas présenter le leur, ce qui expose ces enfants à un avenir précaire.
De nombreux enfants apatrides, faute de documents d’identité, ne sont pas scolarisés. Celles et ceux qui vont à l’école sont souvent contraints d’abandonner leur scolarité, ou empêchés de passer les examens sanctionnant celle-ci.
Lulumani, une femme de 23 ans, a témoigné :
« La vie a été difficile et douloureuse. J’étais une excellente élève, mais je n’ai pas passé les examens de fin d’études. Maintenant, je n’arrive pas à trouver un emploi décent. »
Un homme avec qui Amnesty International s’est entretenue, Petros, a déclaré :
« Mon aîné, à l’école primaire, ne peut pas jouer au football pour l’école comme les autres enfants, parce qu’il n’a pas de certificat de naissance. »
Les apatrides du Zimbabwe rencontrent également des difficultés pour accéder aux soins de santé. Les femmes enceintes sont exclues de services d’une importance vitale tels qu’une prise en charge prénatale et une présence qualifiée pendant le travail.
Botshiwe Dube, du district de Tsholotsho, a dit à Amnesty International qu’elle s’était rendue dans un centre de santé lorsque ses contractions avaient commencé, mais que comme elle n’avait pas pu présenter de pièce d’identité, elle avait été renvoyée chez elle pour y accoucher.
Tous les enfants de Botshiwe sont nés à la maison ; elle a dit à Amnesty International qu’elle avait le sentiment qu’ils étaient traités comme des « animaux errants parce qu’ils n’avaient pas de papiers ».
Par ailleurs, les personnes dépourvues de documents d’identité ne peuvent pas prendre part à des activités politiques ni gérer leur propre entreprise.
Les massacres du Gukurahundi et l’apatridie
Lorsque le Zimbabwe a obtenu son indépendance, en 1980, le pays était profondément divisé. Les tensions entre la ZANU-PF, dirigée par Robert Mugabe, et la ZAPU, dirigée par Joshua Nkomo, ont entraîné une flambée de violences entre l’Armée de libération nationale africaine du Zimbabwe (ZANLA) et l’Armée révolutionnaire populaire du Zimbabwe (ZIPRA), les ailes militaires respectives de la ZANU-PF et de la ZAPU.
Au début de l’année 1982, les autorités ont violemment réprimé les forces de la ZIPRA dans le Matabeleland, terre ancestrale du peuple ndébélé. Des forces spéciales de la 5e brigade de l’Armée nationale du Zimbabwe ont été déployées et se sont livrées à d’effroyables attaques non seulement contre des militants, mais aussi contre des responsables de la ZAPU et d’autres personnes.Les tensions politiques ont débouché sur des atrocités de masse à l’encontre du peuple ndébélé, et environ 20 000 personnes ont été tuées entre 1983 et 1987. Des milliers de personnes ont été torturées et enlevées, des femmes violées et des habitations détruites.
Lorsqu’ont pris fin les mesures de répression, connues sous le nom d’opération Gukurahundi, les personnes survivantes, traumatisées, se sont heurtées aux difficultés supplémentaires de l’apatridie, car on leur demandait de présenter les certificats de décès de leurs parents à titre de preuve pour prétendre à la nationalité zimbabwéenne. Or, aucun certificat de décès n’a été délivré pour les victimes de l’opération Gukurahundi, ce qui fait que les personnes rendues orphelines par les violences n’avaient aucun moyen de prouver la nationalité de leurs parents.
Vaina Ndlovu, une femme âgée de 68 ans, vit dans le district de Tsholotsho, dans le Matebeleland-Nord. Son père a été enlevé par les forces de la 5e brigade et elle n’a eu aucune nouvelle de lui par la suite. Lorsque Vaina a tenté d’obtenir un certificat de décès pour son père, les fonctionnaires du bureau d’état civil lui ont dit qu’il fallait que des témoins confirment que son père avait été enlevé pendant le Gukurahundi, témoins que la famille de Vaina n’a pas été en mesure de trouver.
Des violations des droits économiques, sociaux et culturels liées à l’apatridie
Les apatrides du Zimbabwe peinent à accéder au logement, aux soins de santé et à l’éducation, ce qui est contraire aux droits qui sont les leurs en vertu de la Constitution et de traités internationaux et régionaux relatifs aux droits humains, notamment du Pacte international des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, auxquels le Zimbabwe est partie.
Les États ont le droit de définir leurs lois en matière de citoyenneté, mais ces lois doivent être conformes au droit international relatif aux droits humains. En conséquence, la législation et les pratiques nationales ne doivent pas être discriminatoires, et doivent respecter l’obligation, en vertu du droit international, de ne rendre personne apatride.
« Le Zimbabwe doit apporter de toute urgence des changements concrets à sa législation pour mettre la Loi sur la citoyenneté en conformité avec la Constitution. Les autorités doivent prendre les mesures nécessaires pour qu’aucune nouvelle génération ne soit condamnée à vivre en marge de la société », a déclaré Muleya Mwananyanda.
« Les autorités zimbabwéennes doivent s’engager publiquement à créer une société égalitaire et inclusive qui accorde la citoyenneté à toute personne née sur le sol zimbabwéen, sans discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique. »
Amnesty International appelle le gouvernement zimbabwéen à prendre de toute urgence des mesures adaptées pour garantir l’enregistrement et la restitution de la nationalité zimbabwéenne à toutes les personnes qui y ont droit, conformément à la Constitution, y compris toutes celles qui sont nées au Zimbabwe de parents étrangers et qui ont grandi dans le pays.