La politique répressive menée au Venezuela s’appuie sur la coordination entre des attaques et des messages préjudiciables relayés par des médias entretenant des liens avec le gouvernement de Nicolás Maduro, et des arrestations arbitraires motivées par des considérations politiques effectuées par les forces de sécurité placées sous son commandement, ce qui s’apparente fortement à des manœuvres de discrimination politique, écrivent dans un nouveau rapport rendu public jeudi 10 février Amnesty International, le Foro Penal et le Centro para los Defensores y la Justicia (CDJ).
« Le monde a connaissance depuis des années des politiques répressives menées par le gouvernement de Nicolás Maduro. Nos recherches mettent en évidence des exemples de corrélation forte entre propos publics dévalorisants et arrestations arbitraires à caractère politique. Ces liens sont un nouvel indice que le gouvernement mène une politique répressive systématique et portent à croire que les autorités se rendent coupables du crime contre l’humanité de persécution, sur lequel la justice internationale est habilitée à enquêter », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International. Les recherches effectuées dans le cadre du rapport, intitulé Represión calculada: Correlación entre las estigmatizaciones y las detenciones arbitrarias por motivos políticos en Venezuela, ont pris plus d’un an, en collaboration avec le Foro Penal et le CDJ, deux organisations de défense des droits humains basées à Caracas. Différents modèles statistiques ont été appliqués aux informations enregistrées par ces deux organisations pour la période allant de janvier 2019 à juin 2021, comme la corrélation de Pearson, ainsi que d’autres méthodes d’analyse descriptive, comme l’analyse évolutive et la distribution de pourcentages. Ces modèles statistiques ont été validés à l’issue d’une procédure d’examen par des pairs.
Marianna Romero, directrice générale du CDJ, a déclaré que les organisations « ont mesuré comment les campagnes de stigmatisation ont jeté les bases de la politique répressive et de criminalisation au Venezuela. Depuis les hautes sphères de l’État, un système a été établi, au moyen de déclarations publiques, des médias et des réseaux sociaux, personnels et institutionnels, afin de décrédibiliser, accuser, menacer et dénoncer celles et ceux qui défendent, promeuvent et veulent faire respecter les droits humains. Cette enquête montre comment la stigmatisation s’appuie sur la logique de l’ennemi interne et entraîne des actions violentes et des actes de persécution de la part de l’État. »
Le rapport révèle la corrélation entre les arrestations arbitraires à caractère politique, menées par des membres des forces de sécurité de l’État, et les préjugés répandus par divers médias. Cette analyse a montré que si en 2019, la corrélation entre ces deux variables était de 29 %, elle est passé à 42 % en 2020 et s’élevait à 77 % au premier semestre 2021.
Les corrélations annuelles entre les arrestations arbitraires et les manœuvres visant à jeter l’opprobre sur les défenseur·e·s ont également connu des variations en fonction des organes de sécurité impliqués dans ces arrestations. En 2019, une corrélation étroite (de 74 %) avec les manœuvres de stigmatisation avait été établie lorsque les arrestations étaient effectuées par les services de renseignement (la Direction générale du contre-espionnage militaire et le Service bolivarien de renseignement national) ; en 2020, par les organes dépendant de la police nationale bolivarienne, notamment les Forces d’action spéciale (FAES), avec un taux grimpant jusqu’à 92 % ; la corrélation s’est aussi élevée à 92 % en 2021, lorsque des organes civils et décentralisés comme les FAES, des équipes de police municipale et le Corps d’investigations scientifiques, pénales et criminelles étaient impliqués.
Un autre constat significatif a été la forte corrélation, soit 94 %, observée de janvier 2019 à juin 2021, entre les préjugés négatifs exprimés dans le programme télévisé Con El Mazo Dando et les arrestations arbitraires à caractère politique effectuées par des forces de sécurité militaires et traitées par la justice militaire.
La dimension qualitative de l’enquête inclut l’analyse des phénomènes que sont la stigmatisation, les détentions arbitraires à caractère politique, la nature et le fonctionnement de certains médias liés au gouvernement – dont beaucoup reçoivent des financements publics -, et le contexte sociopolitique dans le pays durant la période examinée. Tout cela a été évalué à l’aune des normes de droit international relatif aux droits humains et du droit pénal international, ce qui a mené à la conclusion que les pratiques systématiques visant à dénigrer les défenseur·e·s des droits humains pourraient constituer une forme de persécution politique.
« Les résultats de ces recherches montrent à quel point les liens unissant les représentants de l’État, les médias publics et privés, et les attaques visant les défenseur·e·s des droits humains sont étroits, ce qui ne doit pas rester impuni », a déclaré Gonzalo Himiob, directeur du Foro Penal.
Les trois organisations demandent au procureur de la Cour pénale internationale d’envisager d’inclure dans son enquête sur les crimes contre l’humanité commis au Venezuela les faits mis en évidence par ces recherches, afin d’identifier les principaux responsables, des cas concrets et les possibles participants aux crimes de privation arbitraire de liberté et de persécution. Elles appellent par ailleurs la communauté internationale à continuer à donner son appui à la Mission internationale indépendante d’établissement des faits, dans le cadre de son mandat visant à amener les responsables présumés à rendre des comptes pour les violations des droits humains commises au Venezuela depuis 2014.