Dans le nouveau rapport intitulé Vidas detenidas: Continúan las detenciones arbitrarias por motivos políticos en Venezuela, Amnesty International dénonce la persistance de la politique de répression mise en œuvre par le gouvernement de Nicolás Maduro, et fournit des informations sur les cas de neuf personnes faisant l’objet d’une détention arbitraire dans le cadre de cette politique. L’organisation réclame leur libération immédiate et inconditionnelle.
« Les éléments disponibles montrent que les politiques répressives du gouvernement de Nicolás Maduro et la crise des droits humains continuent à mettre en péril les droits à la vie, à la liberté et à l’intégrité de la personne au Venezuela. Notre rapport dénonce non seulement les détentions injustes d’enseignant·e·s, de syndicalistes et de défenseur·e·s des droits humains dans le pays, mais également la dimension arbitraire du système judiciaire, les conditions de détention inhumaines et l’impact sur les projets de vie, qui restent impunis. Le gouvernement ne doit plus se servir des détentions arbitraires comme d’un outil de répression et de contrôle social », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International.
Ce nouveau rapport présente neuf affaires de détention arbitraire à caractère politique recensées entre 2018 et 2023. Certaines sont directement liées au militantisme politique d’opposition, comme dans le cas de Roland Carreño, et d’autres à des questions de genre et de liens familiaux avec des tiers considérés comme suspects par le gouvernement, comme dans le cas d’Emirlendris Benítez. La diversité de ces motivations politiques illustre le risque élevé pour des personnes ordinaires d’être victimes d’une détention arbitraire et d’autres violations graves des droits humains, qu’il s’agisse d’opposant·e·s déclarés au gouvernement ou de personnes n’ayant aucune affiliation politique.
Les 9 détenu·e·s faisant l’objet du rapport sont :
1. Emirlendris Benítez : mère et commerçante, arrêtée en août 2018
2. María Auxiliadora Delgado et Juan Carlos Marrufo : couple marié et entrepreneurs, arrêtés en mars 2019
3. Roland Carreño : journaliste et militant politique, arrêté en octobre 2020
4. Guillermo Zárraga : ancien syndicaliste et père de famille, arrêté en novembre 2020
5. Dario Estrada : ingénieur et personne neurodiverse, arrêté en décembre 2020
6. Robert Franco : enseignant et syndicaliste, arrêté en décembre 2020
7. Javier Tarazona : défenseur des droits humains et prisonnier d’opinion, arrêté en juillet 2021.
8. Gabriel Blanco : militant et travailleur humanitaire, arrêté en juillet 2022.
Emirlendris Benítez, 42 ans, est une mère, une sœur et une commerçante, et est arbitrairement maintenue en détention depuis le 5 août 2018. Elle a été arrêtée pour des motifs infondés, et accusée à tort d’être liée à des actes de violence commis contre Nicolás Maduro, après avoir simplement partagé un trajet en voiture avec des tiers prétendument impliqués dans ces actes. Bien qu’enceinte, Emirlendris a été torturée, puis soumise à une interruption forcée de grossesse. Les séquelles des coups qu’elle a reçus l’obligent à se déplacer en fauteuil roulant et sont la cause d’autres graves problèmes de santé. Emirlendris Benítez purge une peine injuste de 30 ans de prison à l’Instituto Nacional de Orientación Femenina (INOF) de Los Teques, à Caracas, à une trentaine de kilomètres de sa famille, qui est censée lui fournir eau et nourriture malgré la situation d’urgence humanitaire qui continue de sévir dans le pays.
María Auxiliadora Delgado, 49 ans, et Juan Carlos Marrufo, 52 ans, un couple, ont la double nationalité vénézuélienne et espagnole pour elle, et vénézuélienne et italienne pour lui. Des membres de la Direction générale du contre-espionnage militaire (DGCIM) les ont soumis à une arrestation arbitraire le 19 mars 2021. Leur seule connexion avec ce qu’on leur reproche semble se limiter au fait que María Auxiliadora est la sœur d’un officier militaire à la retraite qui aurait des liens avec un attentat ayant visé Nicolás Maduro. Avant d’être arrêtés, ils prévoyaient de faire une fécondation in vitro. Non seulement ils sont victimes d’une détention arbitraire, mais ils ont également été privés de leur projet de vie, qui consistait notamment à fonder une famille.
Guillermo Zárraga est un ingénieur de 59 ans, ancien syndicaliste du secteur pétrolier vénézuélien, soumis par des agents de la DGCIM à une arrestation arbitraire à son domicile, le 14 novembre 2020 à 3 heures du matin. Outre son rôle de responsable du Sindicato Único de Trabajadores au sein de l’entreprise publique Petróleos de Venezuela S.A., Guillermo Zárraga a été photographié avec Juan Guaidó, dirigeant de l’opposition. Cette photo est présentée par le ministère public comme preuve de l’intention présumée de Guillermo Zárraga de soutenir un plan de sabotage prétendument proposé par un agent de la CIA. Visé par une accusation sans fondement motivée par des considérations politiques, Guillermo Zárraga est arbitrairement maintenu en détention et sa santé s’est gravement détériorée, sans qu’il puisse avoir accès à de l’eau potable ni à une alimentation adéquate.
Ces cas, ainsi que les cinq autres décrits dans le rapport, s’inscrivent dans des schémas établis au fil du temps et dans diverses zones géographiques par les forces de sécurité de l’État. Dans le contexte des détentions arbitraires, on observe également la récurrence de violations graves des droits humains, voire de crimes au regard du droit international, notamment la torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, des disparitions forcées, l’absence de garanties d’une procédure régulière et d’un procès équitable, le recours à des tribunaux ayant une compétence spéciale en matière de « terrorisme », et des conditions de détention inhumaines. On recense par ailleurs de manière répétée l’utilisation de définitions pénales ambiguës et discrétionnaires, ainsi que l’invocation arbitraire et infondée de l’infraction d’association de malfaiteurs.
Il ne s’agit pas de cas isolés ou révolus. Les détentions arbitraires, les actes de torture et les disparitions forcées dont ils ont été et continuent à être victimes sont des crimes au regard du droit international.
Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International
« Emirlendris, María Auxiliadora, Juan Carlos et Guillermo sont des victimes représentatives d’un système généralisé d’attaques contre des personnes pouvant être considérées comme critiques à l’égard du gouvernement au Venezuela. Il ne s’agit pas de cas isolés ou révolus. Les détentions arbitraires, les actes de torture et les disparitions forcées dont ils ont été et continuent à être victimes sont des crimes au regard du droit international. C’est pourquoi les autorités vénézuéliennes font actuellement l’objet d’une enquête de la Cour pénale internationale et des tribunaux argentins, en vertu du principe de compétence universelle, et qu’elles sont soumises au contrôle des Nations unies sous le mandat de la Mission d’établissement des faits et du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. Il ne faut pas que la communauté internationale relâche la pression », a déclaré Erika Guevara Rosas.
Des organisations de la société civile vénézuélienne estiment qu’environ 300 personnes sont actuellement détenues pour des motifs politiques au Venezuela. Selon le Foro Penal, plus de 15 700 arrestations arbitraires à caractère politique ont eu lieu au Venezuela depuis 2014.