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Ukraine. Les femmes exposées à de graves risques alors que la guerre d’agression que mène la Russie entre dans sa deuxième année

  • L’invasion à grande échelle a des effets néfastes sur la santé mentale, physique et sexuelle et reproductive des femmes 
  • Les violences sexuelles et liées au genre sont très préoccupantes
  • Les femmes doivent jouer un rôle proactif dans les processus de prise de décision

Alors que l’invasion totale de l’Ukraine par la Russie entre dans sa deuxième année, les femmes dans le pays sont exposées à de graves risques, à une charge accrue de responsabilités familiales et à un stress et des difficultés immenses lorsqu’elles vivent dans les zones de guerre, a déclaré Amnesty International le 8 mars 2023, alors que le monde célèbre la Journée internationale des droits des femmes.

« Les femmes sont les plus touchées par la brutalité de la guerre. Elles sont toujours en première ligne des conflits – en tant que soldates et combattantes, médecins et infirmières, bénévoles, militantes pour la paix, aidantes au sein de leurs communautés et de leurs familles, personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, réfugiées et, trop souvent, victimes et survivantes, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.

« L’invasion totale de la Russie en Ukraine n’échappe pas à la règle. Les femmes sont exposées à des violences sexuelles et liées au genre accrues et à des conditions sanitaires dangereuses, tout en ayant à prendre des décisions de vie ou de mort pour leurs familles. Parallèlement, elles sont souvent exclues des processus décisionnels et leurs droits et leurs besoins ne sont ni protégés ni satisfaits. »

Amnesty International engage la communauté internationale à soutenir les femmes victimes de violations des droits humains dans le cadre de la guerre d’agression que mène la Russie contre l’Ukraine et à leur témoigner sa solidarité. En temps de guerre, il est crucial d’assurer la sécurité et la sûreté des civils, tout particulièrement de ceux qui sont pris au piège dans les zones de guerre, ainsi que l’accès aux aides financières et aux services, notamment aux soins de santé. Tout aussi essentiel, les auteurs de crimes relevant du droit international doivent répondre de leurs actes.

Amnesty International a recensé des crimes de guerre et de possibles crimes contre l’humanité commis en Ukraine et a recueilli des témoignages poignants de femmes en Ukraine qui racontent les répercussions de l’invasion sur leur sécurité, leur santé et leur bien-être.

« Il n’y a personne d’autre pour prendre soin d’eux à part moi »

Si de nombreuses femmes en Ukraine rejoignent la résistance à la guerre d’agression que mène la Russie, très souvent, les responsabilités liées à la prise en charge des enfants et des membres de la famille leur incombent de manière disproportionnée. Ce qui s’avère particulièrement difficile dans les conditions de danger liées au conflit.

Tamara*, une femme qui vit dans la zone de conflit dans l’oblast de Donetsk, a déclaré à Amnesty International que l’invasion l’affecte en tant que mère et en tant que fille puisqu’elle s’occupe de ses parents : « Tout a empiré. Les hommes [de la famille] sont à la guerre, les femmes se retrouvent seules, souvent avec de jeunes enfants à s’occuper et sans aucun revenu. Il n’y a pas d’aide – aucune aide physique ni financière. »

Contrainte de choisir entre abandonner ses parents et mettre ses enfants en sécurité, Tamara s’est retrouvée face à un dilemme impossible.

« Je suis revenue dans la zone de risque avec mes enfants. Peut-être n’aurais-je pas dû. Mais je dois prendre soin de mes enfants et mes parents âgés étaient restés à la maison – c’est mon devoir. Il n’y a personne d’autre pour prendre soin d’eux à part moi. Je n’ai pas le choix », a-t-elle expliqué.

Pour de nombreuses femmes, partir en quête de sécurité a un impact émotionnel et physique dévastateur. Maryna*, déplacée à l’intérieur du pays, a fui avec ses enfants l’occupation de l’oblast de Donetsk par la Russie :

« C’est très dur. Je suis seule avec trois enfants. Personne ne pensait que la guerre allait arriver. Ce fut un choc et c’était terrifiant. De violents combats faisaient rage tout autour de nous, et nous avons entendu tout cela. Les avions militaires russes volaient si bas que nous pouvions voir les yeux des pilotes – cela a beaucoup marqué les enfants.

« Depuis ce jour-là, nous avons vécu dans un sous-sol pendant près d’un mois, parce que les enfants étaient réellement terrifiés. Ma fille ne pouvait plus dormir dans la maison. Mes enfants sont en grande détresse psychologique et émotionnelle. Généralement, on ne peut se sentir en sécurité nulle part, à cause des bombardements et des alertes aériennes ».

L’invasion a un effet néfaste sur la santé mentale, physique et sexuelle et reproductive des femmes

Les attaques russes répétées contre des infrastructures civiles essentielles, qui s’apparentent à des crimes de guerre, limitent gravement l’accès aux soins de santé pour les personnes vivant en Ukraine.

Kateryna*, une femme déplacée à l’intérieur du pays qui était enceinte de neuf semaines et vivait dans l’oblast de Donetsk lorsque l’invasion a débuté, a déclaré : « Je ne savais pas ce qui allait nous arriver. Il y avait des rumeurs au sujet de l’évacuation et du départ des médecins. Je n’ai pas pu passer d’échographie ni faire tous les tests. C’était tout simplement impossible de s’y rendre, ce qui a accru l’anxiété et la tension émotionnelle. »

Kateryna s’est enfuie à Dniepr et a dû constamment batailler pour s’occuper d’un nouveau-né tout en travaillant dans une zone de conflit : « [La] ligne de front se rapproche de notre ville. Le fait de ne pas savoir, c’est le plus terrifiant. Où serez-vous demain ? Pourrez-vous rentrer à la maison ? Je n’ai pas de soutien psychologique et parce que j’ai un bambin, je n’ai pas le temps de m’entretenir avec un psychologue, ne serait-ce qu’au téléphone. Pourtant j’en ressens le besoin. »

En ce qui concerne les femmes et les jeunes filles en période de menstruation, du fait de l’approvisionnement limité et de la hausse des prix des produits menstruels, elles doivent choisir entre denrées alimentaires et produits sanitaires.

« On trouve des serviettes et des tampons à vendre, mais à cause des problèmes financiers, je dois choisir si j’achète à manger ou des serviettes. Depuis le début de l’invasion à grande échelle, j’utilise des moyens improvisés », a déclaré Tamara.

Yulia*, dont le logement a été détruit par des frappes aériennes russes, a réussi à se procurer des produits menstruels pour sa fille et elle-même dans un centre d’aide aux personnes déplacées à l’intérieur du pays.

Hausse des violences sexuelles et liées au genre

Les violences liées au genre s’aggravent et s’intensifient pour les personnes qui vivent dans les régions touchées par le conflit, et ce pour de nombreuses raisons, dont le manque de sécurité, l’absence ou l’érosion de l’état de droit, l’impunité généralisée pour les auteurs, le manque de confiance dans les autorités d’occupation, ainsi que la stigmatisation liée au fait de raconter des expériences de violence sexuelle et liée au genre.

Maryna*, travailleuse humanitaire, a raconté : « Les violences sexuelles sont un immense problème pour les femmes. J’ai participé à des formations et on nous a dit que dans certains cas, les enfants, [eux aussi], ont montré après l’évacuation des signes indiquant qu’ils avaient subi des atteintes sexuelles. »

Alors qu’elle travaillait dans un point de rassemblement pour personnes déplacées, Maryna a été témoin de l’escalade de la violence familiale : « Environ 60 personnes vivaient dans un gymnase. Je travaillais déjà sur cette question auparavant, mais même sans mon expérience, [les signes de violence] sont visibles à l’œil nu. J’en ai observé beaucoup là-bas. »

Kateryna a déclaré : « Je me sens plus vulnérable aujourd’hui. Les conflits à la maison sont plus fréquents. L’agressivité de mon mari s’est déversée sur moi et mon aîné. Je ne peux pas laisser mes enfants avec mon époux à cause de l’incertitude qui règne tout au long de la journée. Il a perdu son emploi et il est submergé par l’émotion et la nervosité. »

En tant que mère, Tamara est très inquiète face à ces signalements de violences sexuelles et liées au genre : « J’entends constamment parler de violence, et j’ai vraiment peur. J’ai des filles, c’est terrifiant. J’ai envoyé mes aînées étudier dans une zone sûre, mais je m’inquiète tout le temps pour elles. »

Inclure les femmes dans les processus de prise de décision

Les femmes doivent pouvoir participer en amont aux processus décisionnels à tous les niveaux afin de s’assurer que leurs besoins et perspectives spécifiques sont entendus et pris en compte dans les lois, les politiques et les pratiques.

Alors que cette invasion à grande échelle entre dans sa deuxième année, les enfants passent leurs années de formation à grandir dans un environnement violent, tandis que les femmes sont obligées d’endurer des périples difficiles et dangereux pour se mettre en sécurité, tout en gérant des responsabilités accrues pour s’occuper de leur famille.

Amnesty International appelle à une action concertée de la part de la communauté internationale afin de garantir la participation significative des femmes dans les processus de prise de décision, qu’il s’agisse des délibérations internationales sur l’aide financière, les réparations et les efforts de reconstruction, de l’acheminement de l’aide humanitaire ou des procédures judiciaires pour les victimes et les survivantes de la guerre d’agression menée par la Russie. Ce n’est qu’en incluant les femmes à tous les niveaux que nous pourrons faire en sorte que leurs besoins soient satisfaits, soutenus et prioritaires, et que leurs droits soient respectés, protégés et réalisés.

*Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité de ces femmes.

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