Sept personnes emprisonnées en Turquie sur la base de fausses accusations ont été désignées le 17 juin 2022 en tant que prisonnières et prisonniers d’opinion par Amnesty International.
Cette décision intervient deux mois après la condamnation de ces militants, dont l’éminent philanthrope et défenseur des droits humains Osman Kavala, à l’issue d’un simulacre de procès ; une cour d’appel a annulé de précédentes décisions d’acquittement. Elle intervient également une semaine après que ce tribunal a rendu public son « jugement argumenté » qui ne justifie aucunement le verdict qui a été rendu par la majorité des juges.
« Le fait d’attribuer à ces sept personnes le statut de prisonnier ou prisonnière d’opinion constitue une reconnaissance de la série d’injustices qu’elles ont subies, qui ont commencé avec leur arrestation arbitraire et des poursuites judiciaires motivées par des considérations politiques et ont abouti à un procès pour l’exemple et à leur condamnation, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Les injustices auxquelles elles ont été soumises sont emblématiques de celles qu’ont subies de très nombreuses personnes dans le cadre de la répression draconienne exercée en Turquie contre les droits humains. »
Le 25 avril, Osman Kavala a été condamné à la réclusion à perpétuité pour « tentative de renversement du gouvernement ». Le ministère public l’a accusé d’avoir joué un rôle de premier plan dans les manifestations de masse largement pacifiques du parc Gezi qui ont eu lieu en 2013, mais il n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de ses affirmations. Osman Kavala est détenu depuis novembre 2017.
Ses sept coaccusés, l’architecte Mücella Yapıcı, l’urbaniste Tayfun Kahraman, l’avocat Can Atalay, la réalisatrice de documentaires Mine Özerden, la productrice de cinéma Çiğdem Mater, le directeur d’un institut d’études supérieures Hakan Altınay et le directeur de l’enseignement supérieur Yiğit Ekmekçi, ont été déclarés coupables d’avoir apporté leur assistance à Osman Kavala. Ils ont chacun été condamnés à 18 ans d’emprisonnement.
Six d’entre eux ont été immédiatement incarcérés, et un mandat d’arrêt a été délivré contre le septième, Yiğit Ekmekçi.
L’annonce concernant leur statut de prisonniers et prisonnières d’opinion a été faite à la suite de visites rendues à ces personnes par une délégation de haut niveau menée par le président d’Amnesty International Turquie, l’avocat Kerem Dikmen.
« L’injustice inacceptable que subissent les soutiens du mouvement du parc Gezi montre cette fois encore que le système judiciaire turc est devenu un instrument de répression utilisé pour bâillonner la dissidence, a déclaré Agnès Callamard.
« Chaque jour qu’ils passent derrière les barreaux bafoue les notions de justice et de droits humains, principes que l’État turc s’est engagé à défendre, mais qu’il ne cesse de violer. Les soutiens du mouvement du parc Gezi sont des prisonnières et prisonniers d’opinion et ils doivent donc être remis en liberté immédiatement et sans condition. »
Complément d’information
Qui sont ces sept prisonnières et prisonniers d’opinion ?
Osman Kavala est un homme d’affaires qui consacre sa vie à la promotion de la culture et du dialogue au moyen de l’art. Il a fondé Anadolu Kültür et des centres d’art dans plusieurs provinces du pays, et créé des projets qui promeuvent l’expression artistique, afin de créer des ouvertures pour les personnes qui n’y avaient pas accès auparavant.
Mücella Yapıcı est architecte et était la secrétaire de la section d’Istanbul de l’Ordre des architectes au moment des manifestations du parc Gezi, en 2013. Elle fait partie des 26 personnes poursuivies en justice pour « opposition à la loi sur les rassemblements et les manifestations » et des cinq personnes accusées d’avoir « créé et dirigé une organisation [illégale] » et d’« opposition à la loi sur les rassemblements et les manifestations » en raison de leur implication dans Taksim Solidarity, une affaire qui remonte à 2015 dans laquelle elles ont toutes été acquittées des charges qui avaient été retenues contre elles. C’était la troisième fois, avec le dernier procès en date relatif au mouvement du parc Gezi, qu’elle faisait l’objet de poursuites judiciaires liées à ces manifestations de masse.
Tayfun Kahraman est urbaniste et membre de Taksim Solidarity. Il travaille pour la municipalité du Grand Istanbul et est coordinateur pour l’aménagement urbain.
L’avocat Can Atalay a défendu Taksim Solidarity et la section d’Istanbul de l’Ordre des architectes pendant les manifestations du parc Gezi. Il représente également des familles dans des affaires d’impunité très médiatisées telles que l’affaire de l’explosion dans la mine de charbon de Soma qui a provoqué la mort de plus de 300 mineurs en 2014, et l’affaire du déraillement d’un train à Corlu, qui a provoqué la mort de 24 personnes en 2018.
Mine Özerden est membre de Taksim Platform, un collectif d’organisations de la société civile qui a été créé en 2011 en réaction au projet de réaménagement de la place Taksim. Elle est réalisatrice de documentaires et a travaillé dans la publicité et pour des organisations de la société civile.
Çiğdem Mater est productrice de cinéma ; elle a été journaliste, traductrice et productrice pour divers organes de presse étrangers, notamment pour le Boston Globe, Le Nouvel Observateur, le LA Times, RFI et Sky News. Elle a été productrice pour plusieurs films de fiction et documentaires turcs et étrangers à partir de 2010. L’un des films qu’elle a produits, le long métrage Burning Days, a été présenté au Festival de Cannes 2022. Elle n’a pas pu assister à la projection de ce film, mais un fauteuil est resté vide afin de lui rendre hommage.
Hakan Altınay est le directeur de European School of Politics et le président de Global Civics Academy. Il a écrit des articles pour le Financial Times, l’International Herald Tribune et le New York Times. Il a fondé et été le directeur de l’Open Society Foundation en Turquie.
Pour en savoir plus sur cette affaire : verdict et vices de procédure.