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Syrie. Les autorités doivent enquêter sur les enlèvements de femmes et de filles alaouites

Le gouvernement syrien doit de toute urgence redoubler d’efforts pour prévenir les violences liées au genre et mener dans les meilleurs délais des enquêtes approfondies et impartiales sur les cas d’enlèvement et de séquestration de femmes et de filles alaouites, et amener les responsables présumés à rendre des comptes, a déclaré Amnesty International le 30 juillet.

L’organisation a reçu depuis février 2025 des informations dignes de foi faisant état de l’enlèvement et de la séquestration par des individus non identifiés d’au moins 36 femmes et filles alaouites, âgées de trois à 40 ans, dans les gouvernorats de Lattaquié, Tartous, Homs et Hama. Parmi ces cas, Amnesty International a réuni des informations sur l’enlèvement et la séquestration en plein jour de cinq femmes alaouites et de trois filles alaouites âgées de moins de 18 ans. Dans tous les cas sur lesquels des informations ont été rassemblées, sauf un, la police et les services de sécurité n’ont pas mené d’enquête efficace sur le sort de ces personnes et sur le lieu où elles pouvaient se trouver.

« Les autorités syriennes ont promis à maintes reprises de bâtir une Syrie pour tous les Syriens et Syriennes, mais elles ne font pas le nécessaire pour mettre fin aux enlèvements et à la séquestration de femmes et de filles, pour empêcher les violences physiques, les mariages forcés et vraisemblablement la traite d’êtres humains, ni pour poursuivre les responsables. La communauté alaouite, déjà dévastée par les massacres qui ont eu lieu, est profondément ébranlée par cette vague d’enlèvements. Les femmes et les filles ont peur et n’osent pas sortir de chez elles ou se promener seules », a déclaré Agnès Callamard, la secrétaire générale d’Amnesty International.

Dans les huit cas sur lesquels des informations ont été rassemblées, les familles ont signalé à la police et aux services de sécurité que leur proche avait été enlevée et était séquestrée. Dans quatre cas, les nouveaux éléments de preuve fournis par les familles ont été rejetés ou n’ont jamais été pris en compte. Les familles n’ont pas été informées de l’avancement des enquêtes. Dans deux cas, la police et les forces de sécurité ont rejeté la responsabilité de l’enlèvement sur la famille de la femme ou de la fille.

Dans un cas, le ravisseur a envoyé à la famille une photo de leur proche qui semblait avoir été battue. Dans deux cas, le ravisseur ou un intermédiaire a demandé aux familles une rançon allant de 10 000 à 14 000 dollars des États-Unis. Seule une des deux familles a pu payer, mais la femme n’a pas été libérée par le ravisseur. Dans au moins trois cas, les personnes enlevées, dont une mineure, ont probablement été soumises à un mariage forcé par le ravisseur.

De nombreuses personnes interrogées ont déclaré que les femmes et les filles, principalement de la communauté alaouite, mais aussi d’autres personnes vivant dans les gouvernorats touchés, ont désormais peur et sont extrêmement prudentes lorsqu’elles sortent de chez elles pour aller à l’école, à l’université ou au travail.

Une militante qui s’est récemment rendue dans la région côtière de la Syrie a déclaré : « Toutes les femmes sont en état d’alerte maximale. Nous ne pouvons pas prendre un taxi seules, marcher seules ou faire quoi que ce soit sans avoir peur. Même si je ne suis pas alaouite et même si ma famille était initialement sceptique quant aux enlèvements, elle m’a quand même demandé de ne jamais me déplacer seule et d’être extrêmement prudente. »

« Nous appelons les autorités syriennes à agir rapidement et de manière transparente pour retrouver les femmes et les filles disparues, traduire les auteurs de ces actes en justice et fournir aux familles touchées des informations fiables et un soutien adéquat et tenant compte des questions de genre », a déclaré Agnès Callamard.

Amnesty International a interrogé des proches de huit femmes et filles enlevées entre février 2025 et juin 2025. Dans quatre cas, les ravisseurs ont contacté les familles en utilisant un numéro de téléphone syrien ou des numéros étrangers, notamment d’Irak, des Émirats arabes unis ou de Turquie, soit pour exiger une rançon, soit pour menacer les familles afin qu’elles ne cherchent pas leurs proches.

Seules deux des huit victimes ont pu retrouver leur famille. Amnesty International n’a pas connaissance d’arrestations, d’inculpations ou de poursuites engagées contre l’un quelconque des responsables des huit enlèvements et séquestrations.

L’organisation a également reçu des informations faisant état de 28 autres enlèvements et séquestrations, de la part de deux militant·e·s, de deux journalistes et du Lobby féministe syrien, une organisation indépendante de défense des droits humains. Parmi ces victimes, 14 femmes et filles ont été libérées. Le sort des autres et le lieu où elles se trouvent demeurent inconnus.

L’organisation a recoupé ces cas avec d’autres sources, notamment des conversations téléphoniques, des messages vocaux et des captures d’écran de conversations par texto entre les ravisseurs ou les femmes et les filles, et les familles ; et des témoignages vidéo mis en ligne par des membres des familles, comprenant des appels directs des familles adressés au public pour demander de l’aide ou pour que les autorités agissent, et des demandes ou des menaces envoyées par les ravisseurs aux familles. Le 27 juin, la Commission d’enquête des Nations unies sur la Syrie a déclaré avoir réuni des informations sur l’enlèvement d’au moins six femmes alaouites par des « individus non identifiés » et que « des informations dignes de foi ont été reçues concernant d’autres enlèvements ». La Commission a ajouté que les autorités avaient ouvert des enquêtes « sur certains de ces cas ».

En mai, Amnesty International a évoqué la question des enlèvements de femmes et de filles alaouites lors d’une réunion avec le ministre de l’Intérieur, à Damas. Le ministre a déclaré qu’il avait ordonné aux autorités compétentes d’enquêter. Le 13 juillet, Amnesty International a écrit au ministre pour lui faire part de ses premières conclusions et lui demander des informations sur les mesures adoptées par les autorités pour assurer la protection des femmes et des filles, sur l’état d’avancement des enquêtes et sur les mesures prises jusqu’alors pour amener les responsables de ces actes à rendre des comptes. Au moment de la publication de ce document, nous n’avions reçu aucune réponse.

Disparues en plein jour

Dans six des cas en question, les familles ont reçu des appels téléphoniques ou des messages vocaux des ravisseurs, qui étaient tous des hommes, ou des femmes et des filles enlevées. Ces appels et messages vocaux contenaient des demandes de rançon, des offres de preuves de vie, ou de brèves assurances de la part du ravisseur ou des femmes et filles affirmant qu’elles étaient en bonne santé.

Un proche a raconté : « Elle est allée en ville. Sa famille attendait son retour en début d’après-midi, car c’est à ce moment-là que part le dernier taxi à destination de son village. Elle a envoyé un texto à sa famille pour lui dire qu’elle était arrivée et, quelques heures plus tard, au lieu de la voir revenir, la famille a reçu un appel d’un numéro étranger disant : « N’attendez pas qu’elle revienne. Nous vous appelons pour vous prévenir. N’essayez pas de la chercher. »

Quelques semaines plus tard, une preuve de vie a été fournie, accompagnée d’une demande de rançon. La famille a payé la rançon, mais la femme n’a pas été libérée.

Dans un autre cas, une personne interrogée a dit que sa parente, une jeune fille, se trouvait avec des membres de sa famille qui l’ont perdue de vue un court instant, et elle n’est plus réapparu. Quelques jours plus tard, la famille a reçu un appel du ravisseur fournissant une preuve de vie et demandant une forte rançon.

Violences fondées sur le genre

Alors que certaines familles ne savent toujours pas ce qu’il est advenu de leurs proches disparues, deux femmes enlevées, qui étaient mariées au moment de l’enlèvement, ont contacté leur famille pour demander le divorce de leur mari, l’informant qu’elles allaient être ou avaient déjà été mariées à leur ravisseur, ce qui indique qu’elles ont été soumises à un mariage forcé ou contraintes à demander le divorce.

Un membre de la famille a déclaré : « Trois jours après sa disparition, la famille a reçu des messages vocaux provenant d’un numéro étranger. C’était elle. Elle disait : « Je vais bien […] Ne vous inquiétez pas pour moi […] Il ne m’a pas fait de mal, mais il m’a épousée. Il m’a dit que je ne pouvais pas repartir… »

Dans un autre cas, une mineure a été enlevée contre rançon. La famille a ensuite été informée par la sécurité générale, les forces de sécurité syriennes, que la jeune fille avait été « mariée ». Amnesty International a vérifié de manière indépendante les détails de l’affaire, confirmant que le mariage avait eu lieu sans le consentement des parents de la jeune fille et probablement sans l’approbation d’une autorité judiciaire, ce qui le rend illégal au regard du droit syrien.

Amnesty International a reçu une photo montrant qu’une jeune fille de moins de 18 ans enlevée contre rançon avait été battue, apparemment par le ravisseur. Dans un autre cas, Amnesty International a visionné la vidéo d’un membre de la famille expliquant que le ravisseur, qui avait enlevé sa parente ainsi que le fils de cette dernière, avait rasé les cheveux de la femme parce qu’elle refusait d’épouser son ravisseur.

Le mariage forcé est une violation des droits humains qui peut exposer la femme ou la fille à toute une série d’autres méfaits, notamment d’autres formes de violence sexuelle, d’autres formes de violence physique et d’autres mauvais traitements. L’enlèvement et la séquestration de femmes et de filles, tels que décrits ci-dessus, peuvent également constituer une traite des personnes, interdite par le droit international, si, par exemple, elles ont été transportées, transférées ou hébergées à des fins d’exploitation. Les autorités doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir et punir ces formes d’abus et garantir une assistance complète aux victimes.

En outre, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne est protégé par le droit international et est violé lorsqu’un État n’exerce pas de façon adéquate son obligation de mettre fin à la privation de ce droit par des tiers. Le droit international interdit également la torture et les autres formes de mauvais traitements et exige des États qu’ils prennent des mesures pour les empêcher et qu’ils mènent des enquêtes adéquates quand il est signalé que de tels actes auraient été commis.

Les autorités ne mènent pas d’enquêtes efficaces

Dans les huit cas en question, les familles ont officiellement signalé la disparition de leurs proches aux autorités, notamment à la police locale et à la sécurité générale, soit dans le secteur où l’enlèvement a eu lieu, soit là où elles résident. Cependant, dans tous les cas sauf un, les autorités n’ont fourni aucune mise à jour à la famille et aucune information sur l’état d’avancement de l’enquête.

Par exemple, le parent d’une femme enlevée et séquestrée en février 2025 a pris contact avec les forces de sécurité à de multiples reprises et a même communiqué le numéro de téléphone du ravisseur présumé qui avait contacté la famille. Malgré cela, en juillet 2025, la famille n’avait reçu aucune information ou mise à jour de la part des autorités.

Dans trois cas, des proches ont déclaré à Amnesty International que la police et les forces de sécurité les avaient rendus responsables de l’enlèvement, les accusant par exemple d’avoir été négligents en autorisant leurs parentes à sortir pour aller faire des courses pendant la journée ; qu’elles s’étaient moquées d’eux parce qu’ils n’avaient pas protégé la femme ou la fille, ou qu’elles avaient écarté des pistes et des éléments de preuve concrets susceptibles d’aider à retrouver leur parente, en prétendant qu’ils étaient insignifiants ou faux, malgré leur fiabilité patente.

Un proche d’une femme enlevée à son domicile a raconté les efforts désespérés de sa famille pour la retrouver : « La famille s’est rendue à la sécurité générale et a effectué un signalement officiel, mais elle a été traitée de façon ignoble […] Ils ont reproché à la famille de ne pas avoir été capable d’empêcher l’enlèvement […] La famille a regretté d’y être allée. Pendant des semaines, la famille est retournée [à la sécurité générale], mais cela n’a rien changé. Ils lui ont simplement dit qu’il ne s’était rien passé, et qu’ils ne savaient absolument pas qui l’avait enlevée. »

Des proches ayant reçu des demandes de rançon, notamment des proches d’une mineure, ont déclaré à Amnesty International que la sécurité générale avait été informée de tous les appels téléphoniques, numéros et communications liés aux demandes de rançon. Ils ont même fourni les noms des personnes à qui les paiements devaient être transférés, mais aucune mesure n’a apparemment été prise par les forces de l’ordre.

Dans les cas où la femme ou la fille a été libérée, les membres de la famille ont souvent cessé de communiquer au leur sujet. Ils ont expliqué que c’était en grande partie par crainte de représailles de la part des ravisseurs, qui n’avaient pas été arrêtés, ou des autorités, qui avaient dit aux familles de se taire et ordonné aux victimes de nier l’enlèvement.

« Les autorités ont la responsabilité juridique et morale d’agir pour empêcher et punir les violences fondées sur le genre. Toutes les femmes en Syrie doivent pouvoir vivre sans avoir à craindre la violence, la discrimination et la persécution. Les enquêtes doivent être exhaustives et menées dans les plus brefs délais par des enquêteurs indépendants ayant pleinement accès aux ressources nécessaires. L’obligation de rendre des comptes doit être garantie et des réparations doivent être fournies. Tout manquement à cet égard constitue une violation des droits humains », a déclaré Agnès Callamard.

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