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Syrie. Le non-renouvellement du dernier couloir humanitaire risque d’entraîner une catastrophe humanitaire

Il faut que les membres du Conseil de sécurité de l’ONU renouvellent avant son expiration, fixée au 10 juillet, le mécanisme d’assistance transfrontalière établi par une résolution qui permet la distribution d’une aide à au moins quatre millions d’habitant·e·s et de personnes déplacées dans le nord-ouest de la Syrie, a déclaré le 5 juillet Amnesty International.

Mise à jour : le 8 juillet, la Russie a mis son veto à une résolution du Conseil de sécurité qui visait à prolonger pour une année, sans le consentement du gouvernement syrien, le mécanisme d’aide humanitaire transfrontalière pour le nord-ouest de la Syrie.

Le 12 juillet, à l’issue d’une transaction de dernière minute, après l’expiration du mandat pour le mécanisme transfrontalier, les membres du Conseil de sécurité ont capitulé face aux exigences de la Russie et accepté une résolution ouvrant le point de passage de Bab al Hawa pour six mois supplémentaires seulement.

Dans son nouveau rapport intitulé ‘Unbearable living conditions’: Inadequate access to economic and social rights in displacement camps in north-west Syria, Amnesty International montre de façon détaillée que parce que le gouvernement syrien refuse ou empêche l’accès des personnes déplacées aux droits économiques et sociaux, ces personnes vivent dans des conditions très difficiles dans des camps, sont dans une situation d’extrême vulnérabilité et dépendent totalement pour leur survie de l’aide internationale. 

Près de 1,7 million de personnes vivent actuellement dans des camps dans le nord-ouest de la Syrie ; 58 % d’entre elles sont des enfants et elles n’ont aucune solution durable en perspective. La grande majorité de ces personnes vivent depuis des années sous une tente, avec un accès nul ou très restreint à l’eau et à des installations sanitaires, ce qui accroît le risque de maladie d’origine hydrique. Ces femmes, ces hommes et ces enfants vivent dans le plus grand dénuement et dépendent entièrement pour leur survie de l’aide fournie par les organisations humanitaires.

« Nombre de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants déplacés vivent depuis plus de six ans dans le dénuement le plus total dans le nord-ouest de la Syrie. Ils n’ont guère la possibilité retourner chez eux en raison des violations persistantes perpétrées par les autorités syriennes là où ils vivaient avant, mais dans ces camps les conditions de vie sont terriblement difficiles et ils risquent de tomber malades et de subir des violences liées au genre, a déclaré Diana Semaan, directrice adjointe par intérim pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.

« Depuis qu’il a perdu le contrôle de la partie nord-ouest du pays, le gouvernement procède à des coupures d’électricité et de l’approvisionnement en eau, empêche l’acheminement de l’aide et attaque des camps, des installations médicales et des écoles, ce qui reporte sur les organisations humanitaires la charge de procurer ces services. Le renouvellement du mécanisme d’assistance transfrontalière constitue la seule solution efficace permettant de fournir une aide humanitaire adéquate dans le nord-ouest de la Syrie. Il est absolument indispensable que le Conseil de sécurité de l’ONU reconduise l’autorisation pour ce mécanisme avant son expiration fixée au 10 juillet. »

Amnesty International a mené des recherches de février à mai 2022 pour rédiger son rapport, qui montre que les personnes vivant dans ces camps n’ont pas accès à leurs droits à un logement convenable, à l’eau, à des installations sanitaires et à la santé, principalement à Idlib. L’organisation a interviewé au total 45 personnes, notamment des membres du personnel médical et humanitaire, en plus des hommes et des femmes déplacés vivant dans cette région.

Les Principes directeurs de l’ONU relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays précisent que les personnes déplacées disposent des mêmes droits que toute autre personne vivant dans un pays donné, notamment du droit à un niveau de vie suffisant. Ces droits doivent comprendre, au minimum, l’accès aux services suivants : « aliments de base et eau potable ; abri et logement ; vêtements décents ; et services médicaux et installations sanitaires essentiels. »

Manque d’eau et logements inadéquats

Plus de la moitié des personnes déplacées dans le nord-ouest de la Syrie vivent dans 1 414 camps, généralement sous des tentes qui n’ont qu’une seule pièce, qui n’ont pas de porte en dur ni de verrou et qui n’offrent pas d’isolation contre la chaleur et le froid extrêmes qui sont fréquents dans cette région, ces conditions violant leur droit à un logement habitable au titre du droit international. Les personnes déplacées obtiennent de l’eau principalement au moyen des citernes d’eau communautaires, mais la quantité qu’elles reçoivent représente moins de la moitié de ce dont elles ont besoin. Seuls 40 % des personnes déplacées ont accès à des latrines en état de fonctionnement.

Une femme qui vit avec son mari et ses cinq enfants dans un camp depuis trois ans, a déclaré : « Je vis dans une tente qui n’a qu’une seule pièce. J’ai installé un petit poste de cuisson et un mince matelas qui couvre le reste de la pièce et que nous utilisons pendant la journée et la nuit, car c’est le seul espace dont nous disposons. Je fais tout dans cette seule pièce : j’y dors, j’y cuisine, j’y lave les vêtements, j’y fais ma toilette, j’y fais tout. Il n’y a pas de porte. On utilise une couverture qu’on roule et déroule pour entrer dans la tente et pour en sortir. N’importe qui peut entrer. Qui peut se sentir en sécurité dans une tente ? Personne. »

Elle a ajouté : « Nous manquons tout le temps d’eau. Comme aujourd’hui, où nous n’avons pas d’eau. Les citernes communautaires sont vides. Je n’ai pas les moyens d’acheter de l’eau. D’autres personnes le peuvent, mais moi non. J’en prends un peu chez mes voisins pour avoir juste de quoi boire pour mes enfants et pour moi. Il nous faut attendre que l’organisation vienne remplir les citernes, ce qu’elle fait deux fois par semaine, il me semble. C’est mieux que rien. »

Des personnes qui vivent dans ces camps ont dit à Amnesty International que chaque hiver ils ont du mal à rester au chaud, à protéger leur tente et leurs affaires de l’humidité, et à effectuer les tâches quotidiennes, comme le fait d’aller chercher de l’eau et de se déplacer jusqu’aux latrines, les chemins devenant boueux et difficilement praticables à cause des fortes pluies et des inondations. De plus, elles sont contraintes de brûler du plastique, du bois ou tout autre matériau inflammable à l’intérieur de la tente pour rester au chaud pendant l’hiver, cette pratique ayant causé au moins 68 incendies en 2022.

Le personnel de santé interrogé par Amnesty International a dit que les tentes dans les camps représentent un danger pour la santé, car elles contribuent à la transmission de maladies contagieuses. Il a ajouré que la piètre qualité de l’eau et du traitement des eaux usées a entraîné la diffusion de maladies d’origine hydrique.

Violences fondées sur le genre

Les travailleurs et travailleuses humanitaires ont dit à Amnesty International que le surpeuplement, le manque d’intimité, l’absence de clôture autour des camps, l’impossibilité de verrouiller les tentes et l’exclusion des processus de prise de décisions exposent les femmes et les filles à toute une série de violences liées au genre, notamment des violences commises par des membres de la famille, par ceux qui dirigent le camp, par des résidents, par des étrangers et aussi par des travailleurs humanitaires.

Une de ces personnes a ainsi expliqué : « Tous les types de violences fondées sur le genre possibles et imaginables existent dans le nord-ouest de la Syrie, en particulier dans les camps. Cela comprend le harcèlement verbal de la part de membres masculins de la famille, les violences physiques commises également par des membres masculins de la famille, le viol et l’exploitation sexuelle. »

La configuration et l’emplacement des latrines et des sanitaires collectifs, mis en place sans que les femmes aient été consultées dans la grande majorité des camps, contribuent aussi à ce risque de violences liées au genre. Ce problème est encore aggravé par le manque d’éclairage, l’absence de porte qui puisse être verrouillée, ainsi que par la mixité des latrines installées dans des endroits isolés.

Un travailleur humanitaire a dit : « Les femmes se rendent aux sanitaires collectifs en groupe ou en étant accompagnées par un proche. La nuit, elles ne veulent pas se déplacer seules, alors si personne ne peut les accompagner, elles utilisent des w.c. de fortune ou se retiennent jusqu’au matin. »

Une aide réduite et des soins de santé limités

Depuis le début du conflit armé, le gouvernement syrien ne cesse d’attaquer le système de soins de santé dans le nord-ouest de la Syrie et d’entraver la distribution de l’aide médicale, ce qui a de graves répercussions sur le droit à la santé de millions de personnes.

La diminution de l’aide internationale au cours de l’année écoulée a gravement sapé les conditions de vie des habitant·e·s et des personnes déplacées dans le nord-ouest de la Syrie, car du fait du manque de personnel, de médicaments, d’équipements et de l’amoindrissement des capacités opérationnelles, les structures médicales ont dû réduire ou cesser leurs activités pourtant vitales.

Nécessité de solutions durables

Ces dernières années, les donateurs et les organisations humanitaires ont de moins en moins été en mesure d’apporter aux personnes qui vivent dans les camps un accès adéquat aux services essentiels, en raison d’un financement insuffisant. De plus, avec la prolongation de la crise, leurs interventions ont souvent continué de se concentrer davantage sur l’aide d’urgence pour sauver des vies, plutôt que sur des solutions durables et pérennes.

Un travailleur humanitaire a expliqué : « Ce qui est embêtant, c’est que nous ne tentons jamais de nous attaquer aux causes profondes de divers problèmes observés dans les camps en ce qui concerne la santé, la protection, etc. Par exemple, nous savons très bien ce qui provoque la leishmaniose [une maladie d’origine hydrique]. Nous allouons des fonds chaque année pour le traitement médical de cette maladie, au lieu d’œuvrer pour raccorder les camps aux sources d’eau potable, pour mettre fin au transport par camion de l’eau, et pour construire un système d’évacuation des eaux usées. La bonne vieille approche de la riposte sanitaire d’urgence ne suffit plus. Nous avons besoin d’y adjoindre d’autres approches permettant de mettre en place des solutions durables. »

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