© Amnesty International / Dominika Ożyńska

Syrie. Des réfugié·e·s qui rentrent au pays sont torturés, violés ou « disparaissent »

Les forces de sécurité syriennes soumettent les Syrien·ne·s rentrés chez eux après s’être réfugiés à l’étranger à la détention, à la disparition forcée et à la torture, notamment à des violences sexuelles, a déclaré Amnesty International le 7 septembre 2021. Dans un nouveau rapport intitulé “You’re going to your death”, elle a recensé la longue liste des violations des droits humains commises par des agents des services de renseignement syriens contre 66 personnes revenues au pays, dont 13 enfants. Parmi ces violations, figurent cinq cas dans lesquels les détenus sont morts en détention après être rentrés en Syrie, tandis que le sort réservé à 17 victimes de disparitions forcées demeure inconnu.

Plusieurs États, dont le Danemark, la Suède et la Turquie, limitant la protection accordée aux réfugié·e·s originaires de Syrie et faisant pression pour qu’ils rentrent chez eux, les témoignages poignants contenus dans ce rapport prouvent que le territoire syrien n’est pas un endroit sûr où rentrer. Ceux qui l’ont fait ont déclaré que les agents du renseignement les ont explicitement pris pour cibles parce qu’ils avaient pris la décision de fuir la Syrie, les accusant de manque de loyauté ou de « terrorisme ».

« Si les hostilités militaires ont pris fin, la propension du gouvernement syrien à commettre de graves atteintes aux droits humains reste intacte. La torture, les disparitions forcées et les détentions arbitraires ou illégales, qui ont contraint de nombreux Syriens à chercher refuge à l’étranger, sont plus prégnantes que jamais en Syrie. En outre, le seul fait d’avoir fui la Syrie suffit à placer ceux qui rentrent dans le collimateur des autorités, a déclaré Marie Forestier, chercheuse sur les droits des personnes réfugiées et migrantes à Amnesty International.

« Les gouvernements qui affirment que la Syrie est désormais un pays sûr choisissent d’ignorer la réalité sur le terrain, amenant les réfugié·e·s à craindre une nouvelle fois pour leur vie. Nous engageons les gouvernements européens à accorder le statut de réfugié aux personnes venues de Syrie et à cesser de contraindre directement ou indirectement des personnes à retourner en Syrie. Les gouvernements du Liban, de la Turquie et de la Jordanie doivent protéger les réfugié·e·s syriens contre l’expulsion ou toute autre forme de renvoi forcé, conformément à leurs obligations internationales. »

Dans son rapport, Amnesty International dresse la liste des graves violations des droits humains commises par le gouvernement syrien contre des réfugiés rentrés en Syrie depuis le Liban, Rukban (un campement informel situé à la frontière jordano-syrienne), la France, l’Allemagne, la Turquie, la Jordanie et les Émirats arabes unis, entre mi-2017 et le printemps 2021, en se fondant sur des entretiens menés avec 41 Syrien·ne·s, dont des personnes revenues au pays et leurs proches ou leurs amis, ainsi que des avocats, des travailleurs humanitaires et des experts sur la Syrie.

Pris pour cibles pour avoir fui le pays

Les autorités s’en prennent aux personnes qui rentrent en Syrie, accusant ceux qui ont fui le pays de trahison ou de soutien au « terrorisme ». Amnesty International a recensé 24 cas d’hommes, de femmes et d’enfants pris pour cibles du fait de cette perception et victimes de violations des droits humains – viol ou autres formes de violences sexuelles, détention arbitraire ou illégale, et torture ou mauvais traitements notamment. Dans certains cas, les personnes qui sont rentrées ont été ciblées uniquement parce qu’elles venaient de régions de Syrie qui avaient été contrôlées par l’opposition.

Des membres des forces de sécurité ont par exemple arrêté Karim* quatre jours après son retour du Liban dans son village, dans la province d’Homs. Karim a raconté un interrogatoire qui s’est déroulé au cours de ses six mois et demi de détention :

« Un agent m’a dit :  » Tu es venu pour ruiner le pays et finir ce que tu avais commencé avant de partir.  » J’ai répondu que je revenais dans mon pays natal, dans mon village […] Ils [les agents des services de sécurité] m’ont dit que j’étais un terroriste, car je suis originaire d’[un village pro-opposition bien connu]. »

Karim a indiqué à Amnesty International avoir été torturé pendant sa détention :

« Une fois libéré, je n’ai pas pu voir les personnes qui me rendaient visite pendant cinq mois. J’avais trop peur pour parler à quelqu’un. J’avais des cauchemars, des hallucinations. Je parlais pendant mon sommeil. Je me réveillais en pleurant et j’étais effrayé. Je suis handicapé, les nerfs de ma main droite ont des lésions dues à la [torture]. Tout comme certains disques de ma colonne. »

Violences sexuelles

Les sanctions infligées à ceux qui sont dans le collimateur du gouvernement sont brutales. Amnesty International a recensé 14 cas de violences sexuelles commises par les forces de sécurité, dont sept cas de viol concernant cinq femmes, un adolescent et une fillette de cinq ans. Ces violences se sont déroulées aux poste-frontières ou dans des centres de détention, lors d’interrogatoires. Ces témoignages coïncident avec les pratiques avérées de violences sexuelles et de viols commis contre des civils et des détenus durant le conflit par les forces progouvernementales.

Lorsque Noor* est rentrée du Liban, elle a été arrêtée à la frontière par un membre des forces de sécurité, qui lui a dit :

« Pourquoi as-tu quitté la Syrie ? Parce que tu n’aimes pas Bachar el Assad et tu n’aimes pas la Syrie ? Tu es une terroriste… La Syrie n’est pas un hôtel d’où tu peux entrer et sortir comme bon te semble. »

Puis, il a violé Noor et sa fillette de cinq ans dans une petite pièce qui sert aux interrogatoires au poste-frontière.

Yasmin* est rentrée du Liban avec son fils adolescent et sa fillette de trois ans. Les forces de sécurité les ont immédiatement arrêtés au poste-frontière et ont accusé Yasmin d’espionnage pour le compte d’un pays étranger. Yasmin et ses enfants ont été transférés dans un centre de détention des services de renseignement, où ils sont restés 29 heures. Des agents l’ont violée et ont emmené son fils dans une autre pièce, où ils l’ont violé avec un objet.

L’agent qui a violé Yasmin lui a dit :

« C’est en guise de bienvenue dans ton pays. Si tu quittes une nouvelle fois la Syrie et que tu reviens, on t’accueillera encore mieux. On cherche à t’humilier toi et ton fils. Vous vous souviendrez de [cette] humiliation toute votre vie. »

Certaines familles ont choisi de faire rentrer les femmes en Syrie avant leurs époux, pensant qu’elles se feraient moins arrêter que les hommes – en partie parce que les femmes ne sont pas soumises au service militaire obligatoire.

Cependant, Amnesty International a recueilli des informations sur la détention arbitraire et illégale de 13 femmes, dont certaines ont été interrogées au sujet des hommes de leur famille, et de 10 enfants, âgés de trois semaines à 16 ans, arrêtés avec leurs mères. Les forces de sécurité ont soumis cinq enfants à la torture ou à d’autres mauvais traitements. Les femmes sont tout aussi exposées que les hommes lorsqu’elles rentrent en Syrie et devraient donc bénéficier du même niveau de protection.

Torture et disparitions forcées

Au total, Amnesty International a recensé 59 cas d’hommes, de femmes et d’enfants détenus arbitrairement après être rentrés en Syrie, la plupart du temps à la suite d’accusations vagues de « terrorisme ». Dans 33 cas, ceux qui sont rentrés ont subi des actes de torture ou des mauvais traitements au cours de leur détention ou de leurs interrogatoires. Les agents des services de renseignement ont utilisé la torture pour les forcer à avouer des crimes présumés, pour les punir parce qu’ils avaient soi-disant commis des crimes ou les punir pour leur opposition présumée au gouvernement.

Yasin* a été arrêté à un poste de contrôle juste après avoir franchi la frontière libanaise et a passé quatre mois en prison. Il a raconté :

« Je ne sais pas combien de temps j’ai passé à être torturé dans cette pièce […] Parfois, lorsqu’un [agent] me frappait, je comptais chaque coup. J’arrivais parfois à 50 ou 60 avant de perdre connaissance. Une fois, je suis allé jusqu’à 100. »

Ismael*, détenu dans quatre sections des services de renseignement différentes en trois mois et demi, a raconté :

« Ils m’ont électrocuté entre les yeux. J’ai senti tout mon cerveau trembler […] Je voulais mourir. Je ne savais pas si c’était le matin ou la nuit. Je ne pouvais pas me tenir sur mes jambes, même pour aller aux interrogatoires. Il fallait qu’ils me soutiennent pour m’y emmener et me ramener. »

Amnesty International a recensé 27 cas de disparitions forcées. Dans cinq cas, les autorités ont fini par informer les familles que leurs proches disparus étaient morts en détention ; cinq personnes ont finalement été libérées et le sort des 17 autres demeure inconnu.

Ola*, rentrée du Liban avec son frère en 2019, a raconté que les forces de sécurité avaient arrêté son frère au poste-frontière. Au cours des semaines qui ont suivi, des agents sont aussi venus voir Ola chez elle et l’ont interrogée au sujet des raisons qui l’avaient amenée à quitter la Syrie puis à rentrer.

« Ils nous considèrent comme des terroristes parce que nous avons fui au Liban », a déclaré Ola.

Cinq mois plus tard, les autorités ont informé la famille d’Ola que son frère était mort en détention.

Ibrahim* a raconté que son cousin, ainsi que son épouse et leurs trois enfants âgés de 2, 4 et 8 ans, avaient été arrêtés à leur retour de France en 2019. Au moment où nous rédigeons ce communiqué, la famille a « disparu » depuis deux ans et huit mois.

Amnesty International a recensé 27 cas dans lesquels des personnes rentrées en Syrie ont été détenues à des fins d’extorsion, les familles versant en moyenne entre 3 et 5 millions de livres syriennes (soit entre 2 000 et 3 400 euros) pour la libération de leurs proches.

Aucune région de Syrie n’est sûre

Les combats en Syrie ont nettement diminué au cours des trois dernières années, le gouvernement syrien contrôlant désormais plus de 70 % du territoire. Dans ce contexte, les autorités syriennes encouragent publiquement les réfugiés à rentrer au pays, tandis que plusieurs pays d’accueil commencent à réexaminer la protection accordée aux personnes originaires de Syrie. Au Liban et en Turquie, où de nombreux réfugiés endurent des conditions de vie difficiles et subissent la discrimination, les gouvernements font de plus en plus pression sur les Syriens pour qu’ils retournent chez eux.

En Europe, le Danemark et la Suède réévaluent les permis de séjour des demandeurs d’asile qui viennent de régions qu’ils considèrent comme sûres pour des retours, notamment Damas et ses alentours. Il est à noter toutefois qu’un tiers des cas présentés dans ce rapport concerne des violations des droits humains commises à Damas ou dans la région de Damas.

En s’appuyant sur les conclusions de son rapport, Amnesty International estime qu’aucune région de Syrie n’est sûre pour permettre à ceux qui veulent rentrer de le faire. Les personnes qui ont fui la Syrie au début du conflit risquent fort de subir des persécutions à leur retour, du fait de leurs opinions politiques présumées ou simplement à titre de punition pour avoir quitté le pays.

« Le gouvernement de Bachar el Assad s’efforce de dépeindre la Syrie comme un pays en reconstruction. La réalité est que les autorités syriennes continuent de se livrer à des atteintes aux droits humains systématiques et généralisées qui ont contribué à ce que des millions de personnes cherchent à se mettre à l’abri à l’étranger, a déclaré Marie Forestier.

« Nous les engageons à assurer la protection des personnes qui rentrent au pays et à mettre un terme aux violences dont elles sont victimes, tout en garantissant le respect, la protection et la réalisation des droits fondamentaux de tous en Syrie. Les pays qui accueillent des réfugiés syriens doivent continuer de leur fournir un refuge et de garantir leur protection contre les atrocités commises par le gouvernement syrien. »

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