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Sahel. Des fusils serbes identifiés parmi les armes utilisées par des groupes armés violents

Des experts en armements d’Amnesty International ont identifié des armes de fabrication serbe dans des vidéos publiées par des groupes armés opérant dans le Sahel, notamment un groupe affilié à l’État islamique qui a revendiqué la mort de centaines de civils. Les nouveaux fusils, certains étant les modèles les plus récents qui existent, correspondent à des transactions entre la Serbie et le Burkina Faso, ce qui laisse à penser que ces armes ont été vendues récemment au gouvernement burkinabé avant de tomber entre les mains de groupes armés. L’analyse effectuée par Amnesty International des données relatives aux transactions commerciales montre aussi que la République tchèque, la France et la Slovaquie exportent de grandes quantités d’armes légères et de petit calibre aux gouvernements du Sahel depuis que cette région est le théâtre d’un conflit généralisé.

Depuis 2011, le Mali est confronté à une insurrection menée par divers groupes armés, parmi lesquels l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al Qaïda. Le conflit a gagné le Burkina Faso et le Niger. Les groupes armés mènent de multiples attaques contre les civils et la région sombre rapidement dans une crise humanitaire. La Serbie, la République tchèque, la France et la Slovaquie ont ratifié le Traité sur le commerce des armes (TCA), qui interdit tout transfert d’armes s’il existe un risque qu’elles servent à commettre ou faciliter des violations des droits humains.

« Le conflit au Sahel se caractérise par de graves atteintes aux droits humains commises par toutes les parties concernées, notamment des massacres de civils imputables à des groupes armés qui n’ont pas de comptes à rendre. Plus d’un million de personnes sont déplacées dans la région et la crise humanitaire se mue rapidement en l’une des plus tragiques du monde, a déclaré Patrick Wilcken, responsable du programme Entreprises, sécurité et droits humains à Amnesty International.

« Dans ce contexte qui ne cesse de s’aggraver, les États doivent faire preuve d’une extrême prudence en matière de transferts d’armes au Sahel. Il existe un risque inacceptable que les armes soient détournées vers des groupes armés, tandis que les armées et les forces de police nationales de la région présentent des bilans affligeants en termes de respect des droits humains. Alors que se tiendra la semaine prochaine la conférence annuelle sur le Traité sur le commerce des armes, nous engageons tous les États à se montrer à la hauteur de leurs obligations et à ne pas valider de transferts d’armes susceptibles de favoriser des violations des droits humains. »

Le 30 août, des délégués de 110 pays se rencontreront à Genève à l’occasion de la septième Conférence des États parties au Traité sur le Commerce des Armes (TCA). Le TCA interdit les exportations d’armes lorsqu’il existe un risque majeur qu’elles soient utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves des droits humains internationaux ou du droit humanitaire. Cela englobe le risque que les armes vendues à des gouvernements soient cédées illégalement à des auteurs d’atteintes aux droits humains.

Un conflit qui s’aggrave

L’instabilité ne cesse de croître dans la région du centre du Sahel et les groupes armés prolifèrent dans ce contexte de conflit à multiples facettes et d’une grande violence. Selon l’ONG Armed Conflict Location Event Database Database (Base de données sur le lieu et le déroulement des conflits armés, ACLED), on a recensé plus de 6 000 morts parmi les civils entre 2017 et 2021 au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Plus de 1 200 000 Burkinabés ont été déplacés depuis 2016, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

En juin 2021, des hommes armés non identifiés ont tué 130 civils dans le village de Solhan au Burkina Faso – l’attaque la plus meurtrière visant des civils observée jusqu’à présent dans le cadre du conflit. L’État islamique au Grand Sahara (EIGS) a revendiqué la responsabilité de plusieurs attaques contre des civils en 2021, dont une le 21 mars qui a fait 137 morts dans diverses localités au Niger. Les groupes « d’autodéfense », créés en réaction à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), se rendent eux aussi responsables de massacres de civils, enclenchant un cycle sanglant de représailles. En mars 2020, l’un de ces groupes, les Koglweogo, a lancé une série d’attaques contre des villages au Burkina Faso, qui ont fait au moins 43 morts. Un mois plus tôt, Dan na Ambassagou, une milice armée ethnique, a tué 32 villageois à Ogossagou, au Mali.

Des armes serbes entre les mains des combattants

Amnesty International a recueilli et analysé plus de 400 contenus numériques en provenance du Burkina Faso et du Mali, dont des photos et des vidéos authentifiées, publiées sur les réseaux sociaux par des membres de groupes armés entre janvier 2018 et mai 2021. Ces images montrent des stocks d’armes, ainsi que des fusils entre les mains des combattants de divers groupes armés dont l’EIGS, le GSIM, Dozos, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), les Koglweogo et Dan au Ambassagou, à la fois au Mali et au Burkina Faso.

Si la plupart des armes visibles sont des Kalachnikovs héritées de l’ère soviétique, datant de plusieurs décennies, Amnesty International a identifié 12 cas dans lesquels les combattants avaient des armes plus récentes, fabriquées par l’entreprise serbe Zastava – notamment des mitrailleuses lourdes M02 Coyote et des fusils-mitrailleurs M92 et M05, dont les modèles dernier cri M05E3, qui n’étaient pas disponibles avant le début des combats dans le nord du Mali en 2011.

S’il s’est avéré impossible de retracer précisément la chaîne de responsabilité, il est fort probable que ces armes aient été détournées vers des groupes armés, soit par des canaux illicites soit par des prises sur les sites des affrontements.

Entre 2015 et 2020, la Serbie a indiqué dans ses rapports annuels au TCA avoir transféré au total 20 811 fusils et carabines, 4 000 fusils d’assaut, 600 revolvers et pistolets à chargement automatique, et 290 mitrailleuses au Burkina Faso.

Le TCA exige des États parties qu’ils évaluent le risque de détournement des armes couvertes par le Traité – particulièrement les armes légères et de petit calibre, qui sont faciles à cacher et transporter. S’il existe un risque considérable que celles-ci soient détournées vers des utilisateurs finaux qui s’en serviront pour commettre ou favoriser des violations des droits humains, les exportations ne doivent pas être autorisées.

« En 2020, lorsque la Serbie a effectué son dernier transfert d’armes déclaré vers le Burkina Faso, les violences entre les groupes armés étaient déjà constatées. Si la Serbie avait mené une réelle évaluation des risques, elle aurait conclu que les ventes d’armes au Burkina Faso risquaient fort de contribuer à des violations des droits humains », a déclaré Patrick Wilcken.

Autres armes européennes

D’après les données officielles du rapport annuel de l’Union européenne, depuis 2013, les États membres de l’UE ont accordé 506 licences pour des équipements militaires, pour un montant de 205 millions d’euros, au Mali et au Burkina Faso.

La Slovaquie a indiqué avoir livré au Mali 1 000 armes d’assaut, 2 460 fusils et carabines, 550 mitrailleuses, 680 pistolets et revolvers, et 750 pistolets-mitrailleurs. La République tchèque a indiqué avoir livré au Burkina Faso 3 500 fusils d’assaut et 10 pistolets-mitrailleurs, et la France a livré au Mali 1 164 pistolets et revolvers à chargement automatique, 4 fusils et carabines, ainsi que 13 véhicules blindés de combat.

« Les armes serbes que nous avons identifiées prouvent une nouvelle fois que les armements vendus à des gouvernements de la région du Sahel risquent de tomber entre les mains de groupes armés violents et d’alimenter un conflit qui ne cesse de s’aggraver, a déclaré Patrick Wilcken.

« Alors que la situation se détériore au Sahel, tous les États exportateurs doivent adopter des garanties strictes afin d’empêcher que des armes ne soient détournées vers des groupes armés ou ne servent à commettre des violations des droits humains imputables à des forces armées. Si de telles garanties ne peuvent être mises en place, les transferts ne doivent pas avoir lieu. En outre, les États importateurs doivent lutter contre les ventes d’armes illicites et assurer la sécurité des stocks. »

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