Les demandeurs·euses d’asile et les migrant·e·s qui tentent d’entrer dans l’Union européenne depuis le Bélarus font l’objet de refoulements et de graves violations des droits humains à la frontière polonaise. Ces personnes sont soumises à des actes de torture et des mauvais traitements, à des extorsions et à d’autres abus aux mains des forces biélorusses.
Des témoignages poignants révèlent que des personnes, y compris des familles avec enfants, qui ont souvent besoin d’une aide immédiate, ont été frappées à coups de matraque et de crosse de fusil par les forces biélorusses, et menacées par leurs chiens. Elles ont en outre été contraintes de traverser la frontière à plusieurs reprises dans des conditions dangereuses, notamment en passant par une rivière à fort débit.
Coincées dans ce qui est une zone d’exclusion à la frontière entre le Bélarus et l’UE, les personnes demandeuses d’asile et migrantes sont confrontées à la faim et à des niveaux de brutalité choquants de la part des forces biélorusses, qui les forcent à entrer en Pologne
Jennifer Foster, chercheuse d'Amnesty International sur les droits des réfugiés et des migrants.
« Coincées dans ce qui est une zone d’exclusion à la frontière entre le Bélarus et l’UE, les personnes demandeuses d’asile et migrantes sont confrontées à la faim et à des niveaux de brutalité choquants de la part des forces biélorusses, qui les forcent à entrer en Pologne, parfois à plusieurs reprises. Elles sont ensuite systématiquement refoulées par les agents polonais. Les autorités présentes jouent un jeu sordide avec des vies humaines », a déclaré Pablo Cruchon, responsable migrations à Amnesty International Suisse.
Amnesty International a interrogé au total 75 personnes qui ont été attirées au Bélarus entre juillet et novembre 2021 par la fausse promesse d’un passage facile vers l’UE. Elles ont subi des refoulements de la part de pays de l’UE, dont la Pologne. Parmi les personnes interrogées figurent 66 Irakien·ne·s, sept Syrien·ne·s venu·e·s d’Égypte, du Liban et de Syrie, un Libanais et un Soudanais.
Les recherches d’Amnesty International révèlent des passages à tabac et d’autres actes de torture ou mauvais traitements graves, notamment des privations de nourriture, d’eau, d’abri et d’installations sanitaires, ainsi que le vol de téléphones et d’argent ou l’extorsion de pots-de-vin par des membres des forces biélorusses.
Les personnes interrogées par l’organisation ont déclaré avoir été soumises à ces abus par les forces biélorusses alors qu’elles se déplaçaient de Minsk vers ce qui est devenu une zone d’exclusion à la frontière du Bélarus avec la Pologne, la Lettonie et la Lituanie. Les personnes ont été escortées en groupes vers des « sites de collecte » à l’intérieur d’une zone clôturée, avant d’être violemment contraintes de franchir la frontière vers la Pologne, tout en étant poursuivies par des chiens et forcées par les autorités biélorusses à marcher dans des rivières glacées.
Un Syrien a raconté à l’organisation qu’il faisait partie d’un groupe d’environ 80 personnes conduites dans un camion militaire jusqu’à la frontière. « Ils nous ont débarqués […] Il y avait environ dix soldats [biélorusses] et ils avaient quatre chiens avec eux. Ils ont dit qu’ils lâcheraient les chiens et que si nous ne courrions pas vite, nous serions mordus. Les soldats nous ont couru après en frappant à coups de matraque ceux qui ne couraient pas assez vite. Après nous avoir poursuivi sur environ 200 mètres, les soldats ont fait demi-tour, nous laissant dans la zone tampon au milieu des bois. Des familles avaient été séparées. Ceux qui avaient été mordus par les chiens saignaient.
Des personnes ont été laissées sans aucune nourriture pendant des jours, ou avec des quantités minimales d’eau et de pain, sans disposer d’un abri. Elles n’étaient autorisées à quitter les sites de collecte qu’après avoir payé les pots-de-vin.
Une fois dans un « site de collecte », les personnes ne sont pas autorisées à sortir ou à retourner vers des zones non clôturées accessibles aux civils, et sont piégées dans des conditions inhumaines pendant des jours ou des semaines. Des personnes ont été laissées sans aucune nourriture pendant des jours, ou avec des quantités minimales d’eau ou de pain, sans disposer d’un abri et d’installations sanitaires. Plusieurs ont dit à Amnesty International qu’elles n’étaient autorisées à quitter les « sites de collecte » et la zone de la bande frontalière qu’après avoir payé des pots-de-vin.
Pologne : les refoulements, une pratique courante
La plupart des personnes qui ont réussi à franchir la barrière frontalière avec la Pologne ont été immédiatement interceptées et refoulées par des soldats polonais après quelques centaines de mètres. Amnesty International a également recueilli des informations sur plusieurs cas de personnes qui ont réussi à pénétrer sur le territoire polonais, notamment en marchant pendant des jours. Elles ont ensuite été interceptées par les forces de l’ordre polonaises ou se sont elles-mêmes adressées aux autorités après plusieurs jours sans nourriture ni abri.
Toutes les personnes avec lesquelles Amnesty International s’est entretenue, à l’exception d’une seule, ont été refoulées au Bélarus. Bien que ces personnes aient exprimé leur intention de demander l’asile dans l’UE, elles ont été arrêtées dans le cadre d’une longue série d’expulsions massives et systématiques, au mépris total des obligations découlant du droit international et du droit européen.
Les forces polonaises nous ont fait descendre des véhicules et nous ont poussés dans l’eau. Tous ceux qui ne sont pas entrés dans la rivière ont été frappés avec des matraques. J’ai vu un homme emporté par le courant. Si vous ne saviez pas nager, vous vous noyiez.
Une personne voulant traverser la frontière polonaise, renvoyé par la suite vers le Bélarus
Les forces de sécurité polonaises ont clairement été témoins des mauvais traitements subis par les demandeurs·euses d’asile et migrant·e·s du côté biélorusse, mais elles les ont tout de même refoulé·e·s de l’autre côté de la barrière frontalière.
La plupart des personnes avec lesquelles Amnesty International s’est entretenue et qui avaient tenté de franchir la frontière ont déclaré que leurs téléphones étaient fréquemment endommagés par les forces polonaises, et que certaines personnes étaient parfois victimes de traitements violents, notamment des enfants aspergés de gaz poivré et des adultes poussés dans des rivières.
Un Yazidi irakien a raconté à Amnesty International qu’environ une heure après avoir traversé la Pologne, il a été intercepté par les forces polonaises et emmené, avec plusieurs autres hommes, vers une petite rivière qui marque la frontière avec le Bélarus : « La rivière ne faisait que 10 ou 15 mètres de large, mais elle était profonde et le courant se déplaçait rapidement. Ils nous ont fait descendre des véhicules et nous ont poussés dans l’eau. Tous ceux qui ne sont pas entrés dans la rivière ont été frappés avec des matraques. [Ils] avaient aussi des chiens. Les femmes et les enfants, ainsi que certains hommes, ont été emmenés ailleurs. J’ai vu un homme emporté par le courant. Si vous ne saviez pas nager, vous vous noyiez. »
La commission européenne n’agit pas contre les abus
Malgré les violations flagrantes des droits humains commises par les États de l’UE limitrophes du Bélarus, la Commission européenne (CE) n’a pas mené à bien les procédures judiciaires visant à faire respecter les lois européennes. En outre, le 1er décembre 2021, la CE a proposé des mesures d’urgence provisoires qui pourraient permettre à la Lettonie, à la Lituanie et à la Pologne de déroger aux règles de l’UE, notamment en retenant les demandeurs·euses d’asile à la frontière pendant 20 semaines, selon des standards minimaux et avec des procédures d’expulsion facilitées. Cette mesure est injustifiable et affaiblira le cadre juridique de l’UE en matière de migration et d’asile.
Le Bélarus doit mettre fin à ces violences, et l’UE doit cesser de refuser aux gens la possibilité d’échapper à ces violations flagrantes.
Jennifer Foster
« Des milliers de personnes – dont beaucoup fuient la guerre et les conflits – se retrouvent bloquées au Bélarus en plein hiver, dans des conditions extrêmement précaires. Au lieu de recevoir les soins dont elles ont besoin, elles sont soumises à une violence brutale. Le Bélarus doit immédiatement mettre fin à ces violences, et les États membres de l’UE doivent cesser de refuser aux gens la possibilité d’échapper à ces violations flagrantes, sans parler de les renvoyer au Bélarus pour qu’ils y soient à nouveau confrontés », a déclaré Pablo Cruchon
Les personnes qui restent bloquées au Bélarus en situation irrégulière, que ce soit dans les régions frontalières, dans la capitale Minsk ou d’autres villes, sont exposées à de graves violations des droits humains. Les autorités biélorusses ont en outre commencé à les renvoyer de force dans leur pays d’origine. De nombreuses personnes auxquelles l’organisation a parlé risquent d’être renvoyées en Syrie et non dans les pays d’où elles sont parties, notamment l’Égypte, la Turquie et le Liban, en raison d’interdictions de retour sur le territoire de ces pays.
Contexte
À partir de juin 2021, le nombre de personnes arrivant sur le territoire de l’UE en provenance du Bélarus a commencé à augmenter. Les dirigeant·e·s de l’UE ont décrit ce phénomène comme une « menace hybride » orchestrée par les autorités biélorusses en réponse aux sanctions mises en place par l’UE après les violations généralisées des droits humains qui ont suivi l’élection présidentielle de 2020.
Amnesty International a mené neuf entretiens approfondis avec des personnes syriennes, libanaises et soudanaises qui ont voyagé, certaines accompagnées de leur famille, depuis l’Égypte, le Liban, la Syrie et la Russie dans l’intention de demander l’asile dans l’UE. Au moment des entretiens, ces personnes se trouvaient en Allemagne, au Liban ou encore au Bélarus. En outre, l’organisation s’est rendue en Irak où elle a pu s’entretenir avec 66 personnes qui avaient été renvoyées dans leur pays, volontairement ou non, après avoir tenté en vain de rejoindre l’UE. Ces entretiens ont eu lieu à Bagdad, Dohuk, Baadre, Khelakh, Shariya, Zakho, et Raniya et dans les environs.
Amnesty International a demandé aux autorités biélorusses l’accès à la zone frontalière et aux personnes qui y sont bloquées. Dans leur réponse, les autorités ont déclaré que « la partie biélorusse ne voyait aucune utilité à la visite des représentants d’Amnesty International dans le but indiqué. »