Au Paraguay, les filles victimes de la violence sexuelle sont confrontées à de nombreux obstacles quand elles veulent reconstruire leur vie et obtenir justice, dans un pays où les autorités ne les entendent pas, les contraignent à mener à terme des grossesses causées par des violences, et qui par ailleurs ne tiennent aucun compte des avis de leurs propres spécialistes concernant la violence sexuelle, indique Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public le 1er décembre.
« Par action et par omission, le Paraguay tourne le dos aux filles et aux adolescentes qui subissent des abus inimaginables. Alors qu’il existe un cadre juridique prévoyant une aide pour les victimes de la violence sexuelle, dans la pratique ces victimes sont à la merci d’un système chaotique qui ne les écoute pas, qui n’accorde pas la priorité à leur bien-être, et qui au contraire ne vise qu’à les obliger à mener à terme leur grossesse », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International.
Le nouveau rapport, intitulé en guaraní Mitãkuña ndaha’eiva’erã sy (Ce sont des filles et non des mères), examine les failles du système qui a été mis en place au Paraguay pour faire face aux cas de violences sexuelles infligées à des filles, à des garçons et à des adolescent·e·s, en se fondant sur l’expérience d’un grand nombre de professionnel·le·s des secteurs de la santé, de l’éducation et de la justice.
Il s’agit d’une crise monumentale. Rien qu’en 2019, le parquet a reçu en moyenne chaque jour 12 plaintes concernant des violences sexuelles infligées à des garçons, à des filles et à des adolescent·e·s. Les spécialistes estiment qu’il existe probablement pour chaque cas porté à leur connaissance au moins 10 autres cas non dénoncés.
La majeure partie de ces actes sont commis dans le cadre familial, et dans certains cas, ces violences causent une grossesse. Ainsi, au Paraguay, en moyenne deux filles âgées de 10 à 14 ans donnent chaque jour naissance à un enfant. Au moins 1 000 filles âgées de 14 ans ou moins ont accouché d’un enfant entre 2019 et 2020 au Paraguay. Et en 2019, plus de 12 000 adolescentes âgées de 15 à 19 ans ont donné naissance à un enfant. Un grand nombre de ces grossesses peuvent être la conséquence de violences sexuelles, d’un manque d’éducation sexuelle exhaustive, d’un manque d’informations adéquates sur la prévention des grossesses précoces ou encore d’un accès insuffisant aux services de santé sexuelle et reproductive.
Pour les filles, le choix est très limité, malgré les énormes risques que représente un accouchement précoce pour leur corps et pour leur vie : les filles de moins de 15 ans risquent quatre fois plus de mourir en raison de complications liées à la grossesse, et elles risquent fortement d’avoir un accouchement prématuré.
Le Paraguay continue d’avoir certaines des lois les plus restrictives des Amériques en ce qui concerne l’accès à un avortement sûr et légal. L’interruption de grossesse est une infraction pénale punie d’une privation de liberté, sauf quand la vie de la personne enceinte est en danger.
Comme elles n’ont pas le choix, de nombreuses filles finissent par vivre avec leur agresseur ou dans des foyers pour l’enfance où l’on fait souvent pression sur elles pour qu’elles deviennent des mères, subissent d’autres violences, et sont privées de la possibilité de recevoir une éducation de qualité et d’avoir un projet de vie digne.
Parce qu’elles n’écoutent pas les professionnel·le·s qui s’occupent des filles et des adolescentes victimes de violences sexuelles, les autorités paraguayennes ne promeuvent pas la détection précoce, ne proposent pas d’éducation sexuelle exhaustive mettant l’accent sur les questions de genre, et ne prennent pas de mesures coordonnées et rationnelles pour éviter une victimisation secondaire.
« Les filles ont droit à une vie sans violence. Le fait de forcer une personne à poursuivre une grossesse, en particulier quand elle résulte d’un viol, constitue une forme de mauvais traitement qui peut même être considéré comme une torture, a déclaré Erika Guevara Rosas. Malgré quelques avancées en matière législative ces dernières années, le Paraguay n’est pas parvenu à mettre en place des mesures suffisantes pour protéger les personnes les plus vulnérables au sein de la société. »
En 2018, le Paraguay a adopté la loi n° 6202 qui vise à prévenir les abus sexuels et à garantir des soins exhaustifs pour les enfants et les adolescent·e·s qui en ont été victimes. Or, presque trois ans après, la feuille de route pour sa mise en œuvre n’a toujours pas été finalisée.
Les autorités se détournent en outre de l’éducation sexuelle exhaustive, qui est pourtant essentielle pour prévenir les grossesses prématurées. Alors même que le Code de l’enfance et de l’adolescence reconnaît son importance, en 2011, les autorités ont freiné sa mise en place. En 2017, le ministère de l’Éducation et des Sciences a interdit « la diffusion et l’utilisation de matériels […] faisant référence à la théorie et/ou à l’idéologie du genre, dans les établissements éducatifs ».
« Les autorités paraguayennes doivent immédiatement introduire l’éducation sexuelle exhaustive pour garantir que les filles et les garçons ainsi que les adolescentes et les adolescents disposent des connaissances nécessaires pour donner l’alerte s’ils risquent de subir des violences sexuelles, a ajouté Erika Guevara Rosas.
« Elles doivent également finaliser la tant attendue voie unique pour soigner de façon complète les victimes d’abus sexuels et éviter une victimisation secondaire chronique, et mettre en place un programme national d’aide pour celles qui restent enceintes et sont obligées de mener à terme leur grossesse, afin de les aider à reconstruire leur vie et à surmonter les graves préjudices à long terme que peuvent causer les violences sexuelles. »