De multiples guerres, des inégalités extrêmes, la menace d’un effondrement climatique et des nouvelles technologies capables de transformer notre existence même ont mené l’humanité à la croisée des chemins. Le temps de la complaisance ou du défaitisme est révolu – il nous reste une responsabilité commune de sauver le monde que nous devons transmettre aux générations futures.
Du fait de l’inaction et d’efforts inadaptés face à ces menaces, nous nous retrouvons dans un monde en proie à la tourmente. Ses tensions et ses incertitudes génèrent une anxiété généralisée, provoquant une colère, des désillusions et des divisions au sein de la population.
Quel « meilleur » moment pour le Sommet de l’ONU sur l’avenir ? Ce sommet, qui se déroule ce mois-ci, est une « occasion unique de restaurer une confiance érodée et de démontrer que la coopération internationale permet d’atteindre de manière efficace les objectifs convenus et d’aborder les nouvelles menaces et les nouvelles possibilités. »
La dernière fois que l’humanité a été confrontée à un nombre comparable de défis,dans les années 1940, les dirigeants mondiaux se sont mobilisés pour semer les graines d’un système dont ils espéraient qu’il mettrait les générations futures à l’abri de la haine, de la peur et du besoin. L’Assemblée générale des Nations unies, alors naissante, a adopté la Convention sur le génocide et les Conventions de Genève, ainsi que la Déclaration universelle des droits de l’homme – une architecture mondiale qui, bien qu’imparfaite, a consacré la protection universelle des droits humains.
Soixante-seize ans plus tard, nous sommes face à un autre moment unique. Les dirigeant·e·s mondiaux se réuniront à nouveau pour concevoir un avenir qui se veut meilleur. Or, la version la plus récente du Pacte qu’ils approuveront à ce Sommet suscite de sérieux doutes quant à leur capacité à tenir cette promesse.
Tout d’abord, il montre que les dirigeant·e·s restent dans les faits inaptes ou peu disposés à répondre à la situation catastrophique des millions de personnes touchées par les conflits à Gaza, au Myanmar, au Soudan et en Ukraine. La version actuelle du Pacte ne contient pas suffisamment d’engagements en faveur du renforcement de la justice internationale, ni de propositions visant à lutter contre l’utilisation du veto qui paralyse fréquemment le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Ce projet comprend des engagements importants et des propositions intéressantes, tels que l’élargissement de la composition du Conseil de sécurité à un État africain, la réforme du système financier mondial et un appel à l’adoption de nouveaux indicateurs pour mesurer les progrès du développement durable de manière plus complète qu’avec des indicateurs étroits tels que le PIB. Il témoigne également d’un effort concerté afin de relancer le système multilatéral, en difficulté actuellement, qui est absolument essentiel à la stabilité mondiale.
Il ne propose cependant pas de vision intégrée et convaincante de notre avenir, et réitère souvent des engagements que des États ont délibérément ignorés et bafoués à plusieurs reprises. Par exemple, sa modeste promesse d’« intensifier les efforts » pour faire respecter les libertés fondamentales est presque risible compte tenu de l’état déplorable des protections relatives aux droits humains dans le monde.
Tout en réitérant l’importance d’une action prompte et efficace pour lutter contre le changement climatique, la dégradation de l’environnement et la perte de biodiversité, le Pacte néglige plusieurs obstacles majeurs. En outre, bien que le projet fasse référence à la décision de la COP28 de « s’éloigner des combustibles fossiles », il est encore plus faible sur le sujet que cet accord, qui était déjà miné par un ensemble de clauses de sortie. Le Pacte doit être audacieux et tourné vers l’avenir, et non pas une redite d’un accord existant, lui-même édulcoré.
Au cours de la décennie écoulée, l’ONU a intentionnellement érigé des obstacles pour empêcher la participation de la société civile aux procédures de l’ONU. Le projet de Pacte ne modifiera pas cet état de fait, n’offrant qu’un engagement tiède à plus de coopération. S’il ne s’agit que de paroles à l’adresse des parties réclamant une vision plus audacieuse et des solutions plus efficaces, l’ONU risque de gâcher cette occasion historique de redresser le cours de la situation mondiale.
Comme de nombreuses autres organisations non gouvernementales, Amnesty International a rencontré des obstacles tandis qu’elle s’efforçait de faire entendre sa voix à l’approche du Sommet. Nous nous félicitons de la possibilité qui a été donnée de soumettre une série de recommandations visant à placer les personnes au cœur du Pacte, mais regrettons vivement que de nombreuses organisations de la société civile consultées sur le projet de Pacte soient exclues lorsque les dirigeant·e·s mondiaux négocieront l’accord final.
Nous ne cesserons pourtant jamais de lutter pour un monde meilleur. L’humanité se trouvant face à des difficultés qu’il aurait été impossible de prévoir dans les années 1940, Amnesty International a créé une Commission 2048 dans le but de concevoir un système de gouvernance mondiale du 21e siècle qui soit fondé sur les droits humains. Notre Commission donnera des conseils sur la composition d’un tel système, les ressources dont il aura besoin et son fonctionnement – veillant ainsi à ce qu’il soit pleinement apte à faire respecter les droits humains universels en cette ère de changement rapide et imprévisible.
Pour nous et les défenseur·e·s des droits humains du monde entier, il est temps d’agir. Des Vendredis pour l’avenir aux jeunes filles amazoniennes qui risquent leur viepour défendre la forêt pluviale, en passant par celles et ceux qui résistent courageusement à la guerre contre les femmes en Iran, et les millions de personnes qui exigent la fin du carnage à Gaza, les jeunes et les moins jeunes s’opposent aux attaques locales et mondialisées contre les droits humains. Ils sont notre plus grande ressource dans la lutte pour protéger et défendre tous les droits de toute la population mondiale.
Tandis que se déroulera le Sommet de l’avenir, les États membres devront respecter l’engagement pris dans la Charte des Nations Unies à rendre des comptes aux « peuples du monde », et commencer à jeter les bases d’un avenir durable fondé sur les droits humains.