En Namibie, les discriminations très répandues à l’égard des Sans empêchent ces personnes indigènes d’accéder aux soins de santé et les rendent vulnérables à des maladies mortelles comme la tuberculose et sa souche multirésistante, qui font des ravages parmi ces populations dans les régions d’Omaheke et d’Otjozondjupa, a déclaré Amnesty International ce mercredi 6 octobre dans un nouveau rapport.
La Namibie est l’un des pays les plus touchés au monde par la tuberculose et par la souche multirésistante de cette maladie, et selon certaines études, les cas de tuberculose chez les Sans dépassent de près de 40 % la moyenne nationale. Pourtant, le rapport d’Amnesty International intitulé “We don’t feel well treated”: Tuberculosis and the Indigenous San peoples of Namibia montre que le gouvernement n’a pas pris de réelles mesures pour garantir le droit des Sans à la santé, bien qu’il les ait classés parmi les groupes les plus à risque de contracter la tuberculose.
« Depuis des années, les autorités namibiennes ne se préoccupent guère des besoins médicaux des Sans, y compris des personnes atteintes de la tuberculose, les laissant en danger de mort », a déclaré Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.
« Il est temps que les autorités cessent de négliger les Sans, reconnaissent leur droit à la santé et veillent à ce que ces personnes puissent bénéficier de soins de santé au même titre que les autres en Namibie. »
Connus pour leur culture et leurs traditions de chasseurs-cueilleurs, les Sans sont confrontés à un accès inégal aux soins de santé et à des discriminations perpétuées par des stéréotypes négatifs et des préjugés, y compris de la part de représentants de l’État appartenant à d’autres groupes linguistiques.
Groupe le plus marginalisé de Namibie, les Sans, bien souvent, n’ont pas accès à des services sociaux essentiels tels que les soins de santé et l’éducation, et sont le seul groupe ethnique de Namibie dont la santé ait décliné depuis l’indépendance du pays, en 1990. Ils présentent non seulement des taux plus élevés de mortalité infantile et maternelle, mais aussi des niveaux élevés de malnutrition, celle-ci pouvant être un facteur de risque majeur pour la tuberculose, retardant la guérison et entraînant des taux de mortalité plus élevés.
Les obstacles à l’accès aux soins et la menace mortelle de la tuberculose
Les États sont tenus de veiller au respect du droit fondamental qu’est l’accès aux soins de santé, y compris l’accès, en temps utile, à des soins de santé acceptables, d’une qualité satisfaisante et d’un coût abordable pour toutes les personnes.
Malgré ces obligations en matière de droits humains, les Sans atteints de la tuberculose se heurtent à de nombreux obstacles pour accéder aux soins de santé en Namibie. Ils sont plus touchés par la pauvreté que le reste de la population, et dans de nombreux villages, les gens n’ont pas les moyens d’acheter des médicaments ou de payer le transport vers des établissements de santé éloignés pour se faire soigner. Établis dans des zones rurales reculées, les Sans doivent souvent entreprendre un dur périple pour se rendre à l’hôpital ou à la clinique (l’établissement le plus proche étant parfois à 80 kilomètres), en empruntant des réseaux routiers médiocres.
« La plupart des établissements de santé publics se trouvent à distance des villages des Sans, mais les autorités namibiennes n’ont pas mis en place de solutions de substitution, comme des dispensaires et des services de santé mobiles. En conséquence, des milliers de Sans passent entre les mailles du filet. », a déclaré Deprose Muchena.
« Lorsqu’ils sont disponibles, les établissements de soins de santé primaires sont en sous-effectif, sous-équipés et manquent de fournitures médicales pour soigner convenablement les personnes. »
Les longues expéditions de chasse font toujours partie intégrante de la vie de nombreux Sans. Mais cela signifie qu’ils doivent partir pendant de longues périodes, ce qui fait qu’il est encore plus difficile pour eux d’accéder aux soins de santé ou de suivre un traitement jusqu’à son terme.
La barrière de la langue est un autre obstacle majeur qui empêche les Sans de bénéficier d’une bonne prise en charge médicale. La plupart des membres du personnel de santé n’appartiennent pas aux peuples sans et ne parlent couramment aucune des langues sans. Aussi, les Sans ne peuvent ni décrire leurs symptômes, ni recevoir des instructions sur leur traitement dans leur langue.
Discriminations
Le rapport fait état de discriminations très répandues à l’égard des Sans dans les centres de santé, où ces personnes sont souvent confrontées à des violences verbales et physiques et à des refus de prise en charge. Des Sans ont également indiqué à Amnesty International que le personnel de santé traitait systématiquement mieux les patients appartenant aux autres groupes ethniques.
Une personne san ayant reçu des soins a dit à Amnesty International : « Les infirmières nous parlent en anglais et nous font aussi comprendre, aux expressions de leur visage, qu’elles ne veulent pas aider. »
Une patiente san qui se plaignait de douleurs liées à la tuberculose s’est vu accuser de mentir. « Je leur ai dit que j’avais mal au dos, ils m’ont répondu que je voulais obtenir une aide financière pour la tuberculose et que c’était pour ça que je me plaignais de la poitrine et du dos », a-t-elle dit à Amnesty International.
Les discriminations et les préjugés profondément ancrés dissuadent les Sans de recourir aux services médicaux, ce qui contribue à leur mauvais état de santé et, par voie de conséquence, au nombre élevé de cas de tuberculose. Selon un membre du personnel infirmier de la clinique de Tsumkwe, les Sans « ont peur de venir à la clinique » et « ne se défendent pas » quand le personnel les traite mal.
« Le gouvernement namibien n’a pas mis en place un système de santé accessible et inclusif offrant des soins de qualité à toutes les personnes, y compris aux Sans, en violation du droit fondamental à la santé », a déclaré Deprose Muchena.
Amnesty International appelle les autorités namibiennes à faire évoluer de toute urgence leur politique et leurs pratiques pour garantir le droit à la santé de toutes les personnes, y compris des Sans, en l’absence de toute discrimination. Le gouvernement doit également prendre immédiatement des mesures pour garantir l’accessibilité des établissements de soins de santé primaires, conformément aux normes minimales fondamentales relatives aux droits humains.
Complément d’information
La tuberculose a de graves répercussions sur la santé publique en Afrique. Selon certaines estimations, sur les 10 millions de cas de tuberculose recensés dans le monde en 2018, 24 % provenaient d’Afrique subsaharienne. Autre fait préoccupant, cette région représente près de 80 % des quelque 1,8 million de décès liés à la tuberculose chaque année. De plus, la tuberculose est l’une des principales causes de décès chez les femmes en âge de procréer et la cause non obstétricale la plus courante de mortalité maternelle en Afrique australe. Près de 15 % des décès maternels en Afrique australe sont imputables à la tuberculose.
La Namibie est actuellement l’un des pays qui présentent le plus de cas de tuberculose et de tuberculose multirésistante au monde. D’après une étude de 2020, le pays présente un taux de 442 cas pour 100 000 personnes, et figure au cinquième rang des pays où le nombre de cas est le plus élevé.