Il faut que la Fédération internationale de football association (FIFA) veille de manière rigoureuse et transparente à ce que les candidatures à l’organisation des éditions 2030 et 2034 de la Coupe du monde masculine prévoient une protection complète des droits humains et qu’elle rejette toute proposition risquant d’entraîner une nouvelle fois des atteintes qui entacheraient le plus grand événement sportif au monde, a déclaré Amnesty International dans un rapport publié le 6 juin.
Ce rapport, intitulé Un jeu dangereux ? Les risques liés aux éditions 2030 et 2034 de la Coupe du monde de la FIFA en matière de droits humains, évalue les risques pour les droits fondamentaux que comportent les différentes candidatures – une proposition conjointe de l’Espagne, du Maroc et du Portugal, avec des matchs prévus également en Argentine, au Paraguay et en Uruguay pour la phase finale de la Coupe du monde 2030, et une proposition de l’Arabie saoudite pour accueillir le tournoi en 2034. Les candidatures détaillées, y compris les stratégies relatives aux droits humains, doivent être présentées à la FIFA aux fins de leur examen dans les prochaines semaines, et cette instance indiquera les pays retenus en décembre.
Steve Cockburn, directeur du programme Droits du travail et sport à Amnesty International, a déclaré :
« Sachant qu’une seule et unique candidature sera présentée pour chaque tournoi, et compte tenu des graves préoccupations relatives aux droits humains que suscitent ces propositions, de grandes questions se posent quant à la volonté de la FIFA de se tenir aux engagements qu’elle a pris et aux réformes qu’elle a engagées ces dernières années, y compris s’agissant d’exercer son droit de rejeter toute candidature qui ne satisferait pas à ses exigences en matière de droits fondamentaux.
« Les problématiques de droits humains associées à la candidature conjointe pour la Coupe du monde de la FIFA 2030 sont importantes et doivent être prises en considération, mais les risques liés à la candidature de l’Arabie saoudite pour l’édition 2034 – notamment ceux qui concernent les travailleuses et travailleurs, les fans et les journalistes – sont d’une ampleur et d’une gravité tout autres.
« Comme nous l’avons vu par le passé, la Coupe du monde peut être synonyme de dignité ou d’exploitation, d’inclusion ou de discrimination, de liberté ou de répression, ce qui fait de l’attribution des droits d’accueil pour les tournois 2030 et 2034 par la FIFA l’une des décisions les plus lourdes de conséquences qu’une organisation sportive ait jamais prises. »
Andrea Florence, directrice de la Sport & Rights Alliance, une coalition à laquelle participe Amnesty International et qui fait campagne en faveur des droits humains dans le sport, a déclaré :
« Avant d’attribuer l’organisation d’un quelconque tournoi, la FIFA doit passer des accords contraignants en matière de droits humains qui protègent pleinement les travailleuses et travailleurs, les populations locales, les joueurs et les fans, y compris contre les atteintes et la discrimination visant des minorités raciales ou religieuses, les femmes ainsi que lesbiennes, gays et personnes bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI). »
La FIFA a insisté pour que les candidats consultent des organisations de la société civile, notamment des groupes de défense des droits humains, mais ceux-ci ne l’ont pas fait. Elle n’a pas répondu aux demandes d’Amnesty International, qui souhaitait s’entretenir avec des consultant·e·s participant à l’examen des candidatures sous l’angle des droits fondamentaux.
Le fait que la FIFA n’ait pas veillé pleinement à ce que les droits humains soient protégés avant de choisir les pays hôtes de la plupart des éditions précédentes de la Coupe du monde a facilité les atteintes. Lors de la phase finale de l’édition 2022 au Qatar, des travailleuses et travailleurs participant au déroulement du tournoi ont subi de graves préjudices, certains ont même été blessés ou sont morts.
Le nouveau rapport se fonde sur une enquête réalisée par Amnesty International et ses partenaires de la Sport & Rights Alliance. Une synthèse de ce document a été transmise à la FIFA, aux associations de football nationales et aux autorités gouvernementales des pays candidats, et toutes les réponses reçues ont été intégrées ou seront rendues publiques.
Risques liés à la candidature pour la Coupe du monde 2030
La candidature conjointe de l’Espagne, du Maroc et du Portugal pour 2030 – laquelle prévoit que trois matchs se jouent en Argentine, au Paraguay et en Uruguay – comporte des risques pour les droits humains, principalement liés aux droits du travail, à la discrimination, à la liberté d’expression et de réunion, au maintien de l’ordre, au respect de la vie privée et au logement.
Des projets de construction de grande ampleur seront nécessaires au Maroc, dont un nouveau stade de 115 000 places, mais la législation prévue pour améliorer la santé et la sécurité au travail n’a pas encore été adoptée, et des expulsions forcées sont à redouter. Dans les trois pays hôtes potentiels, les travailleuses et travailleurs migrants risquent d’être exploités et de subir également d’autres préjudices, comme la traite. En Espagne et au Portugal, le taux d’accidents du travail est supérieur à la moyenne de l’Union européenne. Des travailleuses et travailleurs migrants ont été victimes d’atteintes et de vol de salaire lors de l’agrandissement du stade Camp Nou du FC Barcelone, en 2023.
L’important afflux de personnes à l’occasion de la Coupe du monde risque d’aggraver les sévères pénuries de logements abordables au Portugal et en Espagne, notamment par une augmentation des locations de courte durée, qui entraînera une hausse du coût du logement ou l’expulsion des habitant·e·s actuels.
Le recours excessif à la force par la police, y compris l’utilisation de balles en caoutchouc, est un risque avéré dans les trois pays, à la fois dans l’univers du football et dans d’autres contextes. En Espagne et au Portugal, la police a fait l’objet de nombreuses plaintes de fans aussi bien locaux qu’étrangers. Le droit au respect de la vie privée risque aussi d’être menacé par les logiciels espions intrusifs et la surveillance biométrique, en particulier au Maroc et en Espagne.
Une évaluation indépendante de la FIFA concernant la candidature précédente du Maroc pour l’accueil de la Coupe du monde 2026 a mis en évidence que la criminalisation des relations entre personnes de même sexe était « particulièrement problématique ». D’autres dispositions du droit marocain perpétuent le risque de discrimination liée au genre à l’encontre des travailleuses et des visiteuses, notamment la criminalisation des relations sexuelles extraconjugales, qui empêchent souvent les femmes de signaler des cas de violence sexuelle.
Le Maroc restreint la liberté d’expression en érigeant en infraction les critiques à l’égard de l’islam, de la monarchie, des institutions étatiques, de l’armée et de l’intégrité territoriale. Des journalistes et des défenseur·e·s des droits humains ont été harcelés, détenus arbitrairement, roués de coups et poursuivis en justice pour avoir critiqué le gouvernement, en particulier au sujet du différend territorial concernant le Sahara occidental.
La discrimination raciale est un problème dans les trois pays et a donné lieu à des actes racistes à l’encontre de joueurs de football noirs, dont Vinicius Junior en Espagne, Moussa Marega au Portugal et Chancel Mbemba au Maroc. Au Portugal, 60 % des acteurs et actrices du milieu du football interrogés lors d’un sondage réalisé en 2020 estimaient qu’il y avait du racisme dans ce sport.
Les émissions de gaz à effet de serre produites par les déplacements liés au tournoi pour les 48 équipes qui joueront sur trois continents seront probablement non négligeables, en dépit de l’engagement affiché de la FIFA sur le changement climatique qui consiste à réduire de moitié les émissions de carbone d’ici à 2030 et d’atteindre le niveau zéro en volume net d’ici à 2040.
Risques liés à la candidature de l’Arabie saoudite pour la Coupe du monde 2034
La situation des droits humains en Arabie saoudite est déplorable et la candidature de ce pays comporte tout un éventail de risques extrêmement graves. Le royaume a dépensé des milliards ces dernières années pour redorer son image, en misant fortement sur l’investissement dans le sport, notamment le football, pour détourner l’attention de son épouvantable bilan en matière d’atteintes aux droits humains. Le projet de Code pénal semble voué à entériner encore davantage de nombreuses violations de ces droits.
Accueillir le tournoi nécessiterait un ambitieux programme de construction, ce qui renforcerait les risques d’expulsions forcées, comme celles qui ont eu lieu dans le cadre de projets en cours, sachant que la force meurtrière a déjà été utilisée pour évacuer des villages dans le contexte du chantier The Line, qui fait partie du projet de construction de la ville de NEOM.
Des centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs seront probablement nécessaires pour les chantiers et le déroulement du tournoi. La plupart de ces personnes seront certainement des étrangers, qui représentent déjà la majeure partie de la main-d’œuvre du secteur privé et sont fortement exposés à des atteintes dans le cadre professionnel. Le système de kafala, qui lie juridiquement le statut migratoire des travailleuses et travailleurs migrants à un employeur ou un parrain, laisse peu de recours à ces personnes lorsqu’elles sont victimes de vol de salaire, de violences ou d’autres atteintes.
La discrimination est profondément ancrée dans la législation et les pratiques ; elle pourrait toucher les fans, les travailleuses et travailleurs, les joueurs et les journalistes. Les supportrices risquent de subir des poursuites judiciaires injustes et disproportionnées en vertu de lois qui érigent en infraction les relations sexuelles hors mariage, dispositions souvent utilisées pour réduire au silence les victimes de violences sexuelles, notamment de viol, et qui peuvent entraîner une détention illimitée. Le système de tutelle masculine discrimine les femmes et les filles.
Bien que la direction saoudienne du tourisme assure que « tout le monde est bienvenu », il n’existe pas de protection juridique pour les personnes LGBTI. Des poursuites sont souvent engagées en vertu des législations nationales relatives à l’ordre public et à la moralité, qui sont formulées de manière floue et excessivement générale, ainsi que de la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité.
Il est interdit de pratiquer en public toute autre religion que l’islam et la minorité musulmane chiite est victime d’une importante discrimination. Les autorités saoudiennes ont condamné récemment 12 supporteurs chiites du club d’Al Safa à des peines d’emprisonnement allant de six mois à un an pour avoir entonné un chant religieux folklorique lors d’un match.
La liberté d’expression, d’association et de réunion est pratiquement inexistante. Les organisations de défense des droits humains, partis politiques et syndicats indépendants sont interdits. En outre, des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques, des écrivain·e·s, des dignitaires religieux et des militant·e·s des droits des femmes ont été arrêtés et emprisonnés en masse. Actuellement, presque tous les défenseur·e·s des droits humains sont en instance de jugement, purgent une peine d’emprisonnement, se trouvent sous le coup d’une interdiction de voyager ou sont en exil. Une législation antiterroriste définie en des termes généraux a servi à poursuivre des militant·e·s, en leur imposant des peines d’emprisonnement allant jusqu’à 45 ans et même la peine capitale pour outrage « direct ou indirect » au roi ou au prince héritier.
Il n’existe aucun média indépendant et les journalistes qui critiquent le gouvernement se heurtent à la censure, à la prison et à la répression. Le journaliste Jamal Khashoggi a été assassiné en Turquie en 2018, avec l’approbation de l’État saoudien. Les autorités bloquent l’accès à divers sites web et ont réprimé des personnes en ligne. Salma al Shehab, une doctorante saoudienne de l’université de Leeds (Royaume-Uni), a été arrêtée et condamnée à 27 ans de réclusion en raison de ses activités sur Twitter/X et Manahel al Otaibi, une professeure de fitness, à 11 ans de prison pour des tweets en faveur des droits des femmes. Des comptes en ligne de détracteurs et détractrices ont été piratés et le logiciel espion Pegasus a servi à cibler les téléphones de militant·e·s des droits des femmes, de dissident·e·s politiques, de journalistes et de membres de leur famille.
Les fans se rendant au tournoi et les travailleuses et travailleurs migrants pensent peut-être que la peine capitale leur sera épargnée, mais 39 % des personnes exécutées dans le royaume entre 2010 et 2021, y compris pour des actes sans violence comme des infractions à la législation sur les stupéfiants, étaient étrangères. En 2023, Amnesty International a recensé les exécutions de 172 personnes, dont six femmes, originaires d’au moins 13 pays différents en Arabie saoudite.
Amnesty International fait campagne et a lancé une pétition en faveur de la libération des militant·e·s et des autres personnes détenues pour avoir prôné le changement.
Réparations et recommandations
Prévenir les violations des droits humains liées à la Coupe du monde de la FIFA 2030 nécessitera des mesures destinées à renforcer les droits du travail, lutter contre la discrimination, protéger le droit au logement et permettre la liberté d’expression.
Les réformes requises pour empêcher les atteintes en rapport avec la candidature de l’Arabie saoudite pour l’édition 2034 du tournoi devront être plus profondes, notamment prendre la forme d’un changement radical de la législation relative au travail pour protéger les travailleuses et les travailleurs, et il conviendra aussi de libérer les militant·e·s et les défenseur·e·s des droits humains emprisonnés injustement.
Parmi les recommandations clés du rapport, il est suggéré à la FIFA de réaliser des évaluations véritablement indépendantes des risques liés aux droits fondamentaux pour chacune des candidatures et d’obtenir des pays hôtes qu’ils prennent des engagements contraignants afin de prévenir les violations des droits humains et se dotent de systèmes de suivi et de mise en œuvre rigoureux, y compris de mécanismes de plainte et de réparation effective.
La FIFA doit aussi veiller à une véritable participation des organisations de la société civile, des syndicats, des représentant·e·s de fans, des associations professionnelles de joueurs et des groupes victimes de discrimination, tout au long du processus d’appel d’offres et des préparatifs du tournoi.
Le rapport indique également que la FIFA ne doit pas sélectionner une candidature qui ne garantirait pas le respect des droits humains et mettre fin à tout accord concernant l’accueil du tournoi si les droits fondamentaux sont compromis ou bafoués.